Surproduction, concurrence, toute-puissance des éditeurs... Malgré une popularité croissante du secteur, les créateurs ont de plus en plus de mal à vivre de leur métier, ont souligné Les États généraux de la bande dessinée lors du Festival d’Angoulême.
En (léger) retard, on avait peur de ne pas avoir une place de libre samedi matin pour cette conférence des États généraux de la BD au Festival d’Angoulême, cherchant à alerter sur la précarisation croissante des auteurs. Sujet ô combien important puisque ce sont les premiers acteurs de la chaîne du livre. Heureusement pour nous, et malheureusement pour la profession, il n’y avait pas foule, seulement une trentaine de personnes dans une salle pouvant en accueillir 250. Certes les auteurs sont souvent en dédicace à cette heure-là. Tout de même, cela démontre la difficulté qu’ils ont à penser la dimension collective du métier.
- L’hypermarché d’Angoulême
Créés en 2014, Les États généraux de la bande dessinée, qui se sont constitués en association, lance chaque année une grande enquête quantitative pour, au-delà des présupposés, savoir exactement où en sont les créateurs. Les résultats sont encore plus inquiétants que ce qu’ils pensaient au départ et se dégradent, ont expliqué à la tribune Denis Bajram (Universal War One), Valérie Mangin (Alix Senator) et Benoît Peeters (Revoir Paris). Près de 1 500 personnes ont répondu en 2016. Ce qui permet de noter une féminisation croissante, « 27% de femmes », et une relative jeunesse « 56% des auteurs interrogés ont moins de 40 ans. La moyenne d’âge des femmes est de 34 ans, celle des hommes de 41 ans ».
C’est pour l’argent que ça se gâte. « En 2014, 53% des répondants ont un revenu inférieur au Smic annuel brut, dont 36% qui sont en dessous du seuil de pauvreté ». Pour les femmes, c’est encore pire : « 50% des autrices sous le seuil de pauvreté, 67% sous le SMIC annuel ». « En partie parce qu’elles sont en moyenne plus jeunes », note Valérie Mangin. Difficile dans ces conditions de penser au futur. Un tiers ne cotise pas, 66% craignent que la situation se dégrade.
Les raisons de cette précarisation du métier sont plurielles et parfois inattendues. Sans surprise l’augmentation très forte des titres publiés, alors que la demande n’a pas autant suivi, a entraîné une baisse des ventes par album et donc une diminution des revenus. La plupart du temps, l’auteur touche seulement les avances sur livre et jamais de droits d’auteur. Benoît Peeters note également « l’effet pervers du roman graphique qui a permis d’abandonner le paiement à la page ». Cette révolution narrative entrée dans les mœurs a permis de sortir de la contrainte du 48 pages CC traditionnels à la Tintin mais oblige les auteurs à produire plus sans forcément être mieux payés. Résultat : un travail parfois pas complètement abouti graphiquement. Pour Benoît Peeters, « le dessin réaliste classique, qui demeure essentiel, est impraticable dans de telles conditions ».
Dans son ouvrage la Bande dessinée au tournant (éd. Les Impressions nouvelles), l’historien spécialiste Thierry Groensteen remarque « qu’après des années de communiqués triomphalistes, on se réveille avec la gueule de bois. Et c’est bien cette réputation en trompe-l’œil, entretenue par les médias, d’un secteur affichant une santé à toute épreuve, qui a entraîné la crise : elle a poussé de plus en plus d’acteurs à entrer sur ce marché et a incité les éditeurs à produire toujours plus ».