Après La Face karchée de Sarkozy, le dessinateur et l’avocat-scénariste de BD s’attaquent à la présidente du FN, Marine Le Pen.
La rencontre. Ils se connaissent depuis près de vingt-cinq ans. On les rencontre tous les deux ensemble et on nous a prévenu : l’extraverti et l’introverti. Est-ce si simple ? L’avocat Malka est un extraverti qui a le goût du secret chevillé au corps et le dessinateur Riss est un introverti qui transgresse les tabous dans ses caricatures. Et, en effet, quelque chose, dans leur corps, porte la trace de cette double inconstance. Car Malka, plus sociable, parlera moins que Riss, plus réservé. Ils se méfient des postures, des discours. Ils semblent à eux-mêmes leurs propres vigies même s’ils sont protégés par plusieurs policiers du matin au soir. Le voudraient-ils, mais ils ne le veulent pas, que rien ne peut être oublié. Même les particules d’air semblent les ramener au drame d’hier.
Ils ont en commun une longue histoire
D’ailleurs, pour évoquer La Face crashée de Marine Le Pen, ils diront : « C’est un projet d’avant ». Ils ont en commun une longue histoire. Tout a commencé en 1992, lors de la renaissance de Charlie Hebdo. Malka a 24 ans, Riss a 26 ans. Le premier procès de Malka est d’ailleurs autour d’un dessin de Riss sur Caroline de Monaco. Ils vont progresser, en parallèle, chacun dans son domaine. Aujourd’hui : l’un est un avocat et scénariste réputé ; l’autre est un grand dessinateur et le directeur de la publication de Charlie Hebdo. L’attentat contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 a concentré leurs liens (par le nombre d’amis morts) et resserré leurs liens (par le nombre d’épreuves endurées). Riss était présent lors de l’attaque terroriste islamiste et a été blessé à l’épaule par balle. Elle aussi, son épaule, se rappelle à lui.
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Marine Le Pen. La bande dessinée, La Face crashée de Marine Le Pen, est très sérieuse dans le fond. Le journaliste du Point Saïd Mahrane a vérifié ; le scénariste Richard Malka a raconté ; le dessinateur Riss (assisté de Ptiluc) a dessiné. Malka et Riss s’étaient déjà lancés dans l’aventure, sur une idée de Philippe Cohen, avec La Face karchée de Sarkozy (2006), envolée à 200 000 exemplaires. Quand Nicolas Sarkozy a croisé Richard Malka, il lui a lancé : « Pourquoi ne faites-vous pas une BD sur François Hollande ? », « Parce qu’on en vendrait 25 exemplaires », a répondu le scénariste. Ça et autre chose. Si les deux amis devaient faire une BD sur François Hollande, l’actuel président serait un simple fil rouge permettant de parler de la gauche dans son ensemble. Alors que, disent-ils, Nicolas Sarkozy, c’est Nicolas Sarkozy.
Parler de choses sérieuses de manière non sérieuse
Le journaliste Philippe Cohen, décédé en 2013, le voyait comme un personnage de BD en soi. Ils avaient aussi choisi Nicolas Sarkozy car ils pressentaient qu’il était l’homme autour de qui tout allait tourner durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2007. Ils savent que Marine Le Pen va donner le ton, lors de la campagne pour 2017. Tout est donc réuni pour une bande dessinée provocatrice, drôle, dérangeante. Une nécessité d’information, un bon personnage pour BD, une forme d’expression populaire. Car, à chaque fois, le but est le même : parler de choses sérieuses de manière non sérieuse. Qui est réellement Marine Le Pen ? On connaît la façade, on ne connaît pas le visage. Malka, Riss et Mahrane racontent un parti où tout est marketé, sondé, formaté. Un parti anti-système en plein dans le système. Les membres du FN ne sont d’accord sur rien, sauf sur une idéologie anti-immigrés. Ils jouent sur la peur des « arabo-musulmans ». Le FN est un parti d’extrême droite : liaisons dangereuses et grosses ficelles.
La fiction et la réalité. Le journaliste Saïd Mahrane a été la voix de la raison par son devoir professionnel de neutralité. Ses notes de 30 000 signes se sont retrouvées concassées dans trois petites bulles de bande dessinée. On est dans la caricature mais tout a été vérifié. La jeunesse fêtarde, la dédiabolisation du parti, la rupture avec le père, les oppositions et les proximités au sein du FN avec, notamment, Florian Philippot et Marion Maréchal-Le Pen. On rit beaucoup. Marine Le Pen se lève, au son de Dalida, et sera peut-être présidente en fin de journée. Elle se rend chez son psychanalyste, se souvient de son enfance avec les week-ends à la campagne (« ici, les filles, vous verrez des vaches plutôt que des Arabes ! »), de sa sœur Marie-Caroline destinée à la politique, de son rêve d’être avocate, de son père omnipotent.
Mais plus drôle que Marine Le Pen, il y a l’entourage de Marine Le Pen. Riss dessine une Marine Le Pen accablée sous le poids du père, mais entourée d’une garde rapprochée épanouie. « Marine Le Pen n’est jamais détendue. Son entourage, lui, n’en revient pas d’être arrivé là où il est. Après, Gilbert Collard, on peut le poser n’importe où, il est heureux. Il mériterait une BD à lui tout seul. Je me souviens de lui à Nîmes, dans une cour d’assises, plaidant avec des lunettes de soleil. Le FN, entre Alain Soral et Bruno Gollnisch, c’est La Nef des fous. On est dans "Freaks". Quand on est un dessinateur de presse, on est dans la caricature et l’outrance mais vient toujours un moment, avec le FN, où l’on est dépassé par la réalité ».