Visite des lieux
Pascale Goufan – Un très beau portrait de vous.
Alain Soral – Ouais, ça c’est un camarade qui l’a peint et qui me l’a offert. C’est-à-dire il me l’a offert mais je lui ai acheté parce que j’estimais que ça méritait d’être rémunéré. En fait, on voit pas tout, il faut lever les bras pour voir ce qui a marqué. C’est une allusion à un tableau de Magritte.
Pascale Goufan – Ok.
Alain Soral – Qui est ce tableau de Magritte « Ceci n’est pas une pipe ». Donc là, c’est « Ceci n’est pas un antisémite ».
(...)
Là c’est marrant puisque ça étonne les gens, puisque j’ai réédité aussi. Quand j’ai été prof de sociologie du vêtement à ESmod – parce qu’il fallait que je gagne ma vie, j’ai fait ça pendant trois ans – j’avais écrit et édité un livre de cours sur l’histoire du vêtement et de la mode masculine et féminine, et c’était mon bouquin de cours. J’ai été spécialiste du vêtement.
Pascale Goufan – Oui.
Alain Soral – Là, c’est le petit chien de Dantec. [Petite tape sur le museau articulé du chien]
Pascale Goufan – (rires)
Alain Soral – Couché Dantec !
Pascale Goufan – Pourquoi vous vous acharnez sur Dantec ?
Alain Soral – Parce que c’est une merde, un petit con. J’aime pas les pousse-au-crime planqués qui font 60 kilos. J’ai horreur de ça.
(…)
Petite pépite : le fameux Los frutos de la pasión, Les fruits de la passion.
Pascale Goufan – Et c’est qui la demoiselle ?
Alain Soral – Ça, c’est production Anatole Dauman, en 1981. Et là nous avons Arielle Dombasle, Madame Bernard-Henri Lévy en train de se faire prendre en levrette par Klaus Kinski. C’est très difficile à trouver.
Pascale Goufan – (rires)
Alain Soral – Je l’avais vendu à Penthouse il y a des années avec comme titre « Le vrai visage d’Arielle Dombasle », où on voyait son cul, comme ça. Et Bernard-Henry Lévy n’aime pas du tout qu’on sorte les débuts cinématographiques. Alors le plus intéressant, c’est que non seulement elle se fait prendre en levrette par Klaus Kinski mais elle a la tête qu’elle avait avant d’être entièrement refaite par la chirurgie esthétique. Et elle a vraiment une tête de caissière de Franprix.
Pascale Goufan – (rires)
Alain Soral – Et c’est assez drôle de voir la réalité que chez ces gens-là, tout est contrefait de a à z. Leur femme, leur CV, leur éthique, leur nationalité. On est dans le faux intégral.
(…)
Y’a cette rareté là.
Pascale Goufan – C’est quoi ça ?
Alain Soral – Ça c’est la poupée vaudou de Nicolas Sarközy qu’il avait essayé de faire interdire. Donc c’est un collector. C’est une poupée de Sarközy avec des aiguilles et je pense que c’est grâce à ça qu’il n’a pas été réélu. [Présidentielles de 2012] J’ai pas mal travaillé, j’ai mis toute les chances de mon côté. Donc ça, c’est un collector.
Pascale Goufan – (rires)
Alain Soral – Un portrait du Duce dans les chiottes, voyez, parce que je trouve que physiquement, il a une très bonne gueule. C’est un peu Erich von Sroheim en mieux. Donc Mussolini, faute de goût intégrale.
Et puis bon là, c’est les chiottes. Donc on va pas aller plus avant. Et les portraits de moi qu’on m’a offerts, je les mets dans mes chiottes pour montrer que je suis.
Pascale Goufan – Une raison particulière ?
Alain Soral – Oui, c’est pour montrer que je suis fondamentalement humble et ironique sur moi-même.
Interview astro
Alain Soral est
Balance. En a-t-il les traits de caractère ?
Pacifique ?
Alain Soral – Ouais, ouais, mon but est plutôt pacifique, oui. Même si c’est par des moyens parfois un peu énervés, quoi. Mais ouais, ouais, plutôt oui.
Optimiste ?
Alain Soral – Dans la manière de me comporter, oui, parce que je rebondis toujours et je vais toujours de l’avant quels que soient les écueils. Donc ouais, ouais. On va pas dire le contraire.
Joyeux ?
Alain Soral – Oui, joyeux dans la vie courante, oui, je suis un rigolo. Je vais toujours chercher à m’amuser moi, toujours.
Élégant ?
Pascale Goufan – Vous avez travaillé dans la mode.
Alain Soral – Ah ouais, oui, dans tous les cas j’ai le sens de ce qu’est l’élégance, je sais ce que c’est, quoi.
Pascale Goufan – Voilà.
Alain Soral – Après si je le suis tout le temps ? J’aime bien les fautes de goût aussi. Mais les fautes de goût, c’est un truc, il faut être élégant pour faire des fautes de goût parce que c’est basé sur le principe du contrôle. C’est comme la fausse note. Faut jouer juste pour décider de faire une fausse note quand les autres ne font pas la différence. Donc ouais, ouais, ouais, on peut le dire aussi.
Un certain goût du luxe ?
Alain Soral – Franchement non. Là non. Par contre, non, j’aime pas les choses laides, j’aime pas les choses tristes. Mais le luxe, non franchement, non. Ça me gêne le luxe.
Épris de justice et d’ordre ?
Alain Soral – Oui, oui, j’aime bien, et la justice, et l’ordre. Et les deux ensemble d’ailleurs. Justement, c’est pour ça, même quand je vivais à l’époque gauchiste et que je suis issu du gauchisme, y’a un truc qui m’a toujours horripilé, c’est le désordre que j’ai toujours d’ailleurs associé à un truc d’enfants de bourgeois. Donc j’aime la justice et l’ordre, ouais.
Pascale Goufan – D’accord.
Alain Soral – C’est pour ça d’ailleurs que j’ai toujours été un peu mal vu, même à l’époque, parce que c’était pas du tout la mode d’aimer l’ordre.
Pascale Goufan – D’accord. Vous êtes assez…
Alain Soral – J’ai toujours été à l’heure aux rendez-vous. J’ai toujours été habillé correctement. Je me suis toujours lavé correctement. J’ai toujours été à l’heure à mes entraînements. J’aime tout ce qui ritualisé, qui est en place, etc., oui.
Pascale Goufan – Vous n’êtes pas du tout anarchiste alors, bien que vous ayez une culture punk, non.
Alain Soral – Non, mais on peut être anarchiste au niveau « de ne pas aimer l’autorité », de ne pas aimer la domination, la soumission, etc. On peut être anarchiste et être ordonné dans son monde à soi.
Pascale Goufan – Ouais, je vois, je comprends.
Alain Soral – C’est pas opposé.
Qui est Alain Soral ?
Entrée aux beaux-arts
Alain Soral – Comme je ne suis pas bachelier, il fallait que je sois étudiant pour des raisons de Sécurité sociale, parce que toute ma vie est guidée par la survie, j’ai passé le concours des beaux-arts et j’ai postulé à l’École des hautes études en sciences sociales qui sont deux cursus qu’on peut atteindre, faire, sans le bac. Et comme je suis doué, j’ai eu les deux.
Donc je me suis retrouvé à la fois étudiant aux hautes études en sciences sociales, enfin élève aux hautes études en sciences sociales – d’abord élève stagiaire, je crois, puis après élève – et élève de l’école nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
Mais en fait aux beaux-arts, je suis très peu allé, parce que j’étais dans une école où on nous disait « que l’art ne s’apprenait pas ». Alors je me suis dit : ben autant ne pas y aller. En plus le niveau était nul, les mecs étaient nuls, c’était des branleurs. C’était sale aussi. Enfin y’avait tout ça, c’était le chaos, ça ne m’intéressait pas, sauf les cours d’anatomie. Je me suis intéressé aux cours d’anatomie, c’est tout.
Et puis par contre aux hautes études en sciences sociales, j’y suis allé un peu parce qu’il y avait quand même, j’étais dans le séminaire de Castoriadis que j’ai trouvé assez mauvais mais qui quand même qui était beaucoup moins nul que les sociologues actuels, qui était un marxiste psychanalytisant, c’est-à-dire que c’était un freudo-marxiste. Et ça me poussait surtout, en écoutant ses trucs, à me poser les questions de ses contradictions et de la faiblesse de sa construction théorique qui était un bricolage très facilement démontable. Et ça m’a poussé à lire énormément. Donc ça m’a boosté pour lire de la philosophie, de la sociologie, etc.
Pascale Goufan – D’accord.
1990 Entrée au parti communiste
Alain Soral – Oui, j’ai adhéré au Parti communiste après l’échec du putsch anti-Eltsine, c’est-à-dire du putsch néo-soviétique en Russie, quand à un moment donné, y’a eu un groupe de russes qui ont essayé de s’opposer à la dislocation de l’Union soviétique, qui ont échoué. Et donc quand l’URSS a été démantelée et que c’est devenue la Fédération de Russie, à ce moment-là – j’étais déjà marxiste de conviction et de formation –, symboliquement, j’ai adhéré au Parti communiste parce qu’il n’y avait plus aucun lien avec l’URSS et il n’y avait plus aucun lien avec un pouvoir politico-militaire. Ça pouvait redevenir une adhésion d’idées et surtout dans un contexte français.
Pascale Goufan – D’accord.
Alain Soral – Et surtout ça m’a intéressé parce que je suis entré au Parti communiste. Donc j’ai intégré une cellule – cellule Paul Langevin dans le cinquième – et j’ai vu de près comment fonctionnait un parti politique. Et j’ai vu de près l’effondrement du Parti communiste. J’ai vu ce truc en train de s’effondrer complètement. Tout était en ruine.
Et puis surtout y’avait pratiquement plus d’ouvriers. C’était plus que des profs finalement gaucho-trotskystes qui commençaient à prendre le contrôle.
Donc c’est important la théorie et la pratique. Lire des bouquins politiques et s’engager en politique, ça permet de faire vraiment le lien entre la théorie et la pratique et surtout l’écart abyssal qu’il y a entre la théorie et la pratique. Donc ça m’a nourri, ça m’a instruit. Et c’est toujours dans toutes mes démarches, c’est de comprendre comment le monde marche en allant au contact. C’est-à-dire que je fais vraiment de la sociologie de terrain.
Une sorte de légitimité du discours par les actes ?
Alain Soral – Je vois pas comment on peut comprendre ce qu’est le Parti communiste sans rentrer dedans, comprendre ce qu’est le Front national sans rentrer dedans, comprendre ce que c’est que la boxe sans en faire. J’ai horreur des spectateurs, non seulement parce que j’aime pas les gens qui considèrent le monde comme un spectacle et qui font comme ça et comme ça en regardant les autres se bouger le cul [pouce levé, pouce baissé], et puis en plus parce que je crois qu’on ne peut, y’a des problèmes de légitimité et qu’on ne peut comprendre qu’en… Comprendre ça veut dire « avoir en soi ».
Pascale Goufan – Qu’en expérimentant.
Alain Soral – Qu’on ne peut comprendre qu’en le faisant, en le faisant en plus avec passion, c’est-à-dire sans arrière-pensée, pas juste comme regarder à distance les tribus africaines. C’est-à-dire c’est adhérer, participer. Donc chaque fois que je me suis intéressé. Je me suis intéressé au cinéma, j’ai fait de courts métrages, j’ai fait un long métrage. Donc j’estime qu’un mec qui n’a pas tourné un mètre de pellicule ne peut pas parler de cinéma et y’a pas pire…
Pour moi les pires conards, c’est les critiques de cinéma qui délirent sur ce qu’ils voient dans un film alors qu’ils ne comprennent pas que souvent, telle manière de filmer est imposée par le fait que le groupe électrogène est placé là et qu’il faut deux heures pour le déplacer et que du coup on voulait cadrer ici, mais finalement on va cadrer là.
Donc y’a beaucoup, beaucoup de délires de cinéphiles qui sont de la branlette de mecs qui ne connaissent rien au cinéma. C’est un exemple.
Donc je me suis intéressé au cinéma, j’ai fait du cinéma. Je me suis intéressé aux vêtements et à la mode, j’ai travaillé avec un tailleur, j’ai étudié, j’ai enseigné, etc. J’ai même travaillé à un moment donné pour un créateur de mode pour réhabiliter des basiques. J’ai toujours fait à fond les trucs qui m’intéressaient.
Je me suis intéressé à la boxe, j’ai fait de la boxe, pieds-poings, anglaise. J’ai fait des combats parce qu’il faut être monté sur le ring et s’être battu réellement, à la salle Pouchet – c’est pas de la rigolade – en anglaise, en poids moyens en plus. Et j’ai passé mon brevet d’instructeur fédéral, etc.
Enfin je suis toujours allé jusqu’au bout et puis après, quand je suis allé jusqu’au bout d’ailleurs, en général, ça m’intéresse moins. Je fais le parcours complet puis après je passe un peu à autre chose. Mais ça me fait une culture un peu complète que j’appelle classique.
Démarche traditionnelle, homme partiel et homme généraliste
Alain Soral – En fait, je découvre que dans un monde moderne, je suis un type d’instinct traditionaliste. En fait ce qui parait très étrange quant au paradoxe de ma personne, je m’inscris totalement finalement dans une démarche plus que classique, on va dire traditionnelle.
Pascale Goufan – D’accord.
Alain Soral – Qui renvoie même à la notion de philosophe-artiste, à l’époque de Giordano Bruno, et puis aux formations des Grecs, etc., où on est à la fois formé à la philosophie, à la politique, au maniement des armes. Y’a pas cette division bourgeoise du travail que je conteste d’ailleurs par toute mon action, où un intellectuel devrait avoir des lunettes.
Pascale Goufan – Ouais, grave !
Alain Soral – Ne jamais faire le coup de poing, etc., enfin qui sont ces catégories qui nous sont imposées par le monde bourgeois, pour que l’homme ne soit qu’un homme partiel, qu’on appelle l’homme sans qualités et auquel adhère même sans s’en rendre compte des types comme Nabe quand ils veulent à tout prix incarner la catégorie du « grand écrivain », ou d’autres, enfin voilà. En réalité, il faut garder une idée de l’homme généraliste, de l’homme complet.
De la drague de rue à Sociologie du dragueur, le livre qui vous a fait connaître
Alain Soral – En fait, j’ai d’abord publié La création de mode, le bouquin que je vous ai montré tout à l’heure.
Pascale Goufan – Ah ouais, excusez-moi, j’ai oublié, oui.
Alain Soral – Qui est le premier livre que j’ai écrit tout seul, qui était mon livre de cours.
Pascale Goufan – Oui, excusez-moi, excusez-moi.
Alain Soral – Parce que en
fait, le premier livre, Les mouvements de mode
expliqués aux parents, on l’a écrit à
plusieurs. Quand on a écrit à plusieurs, c’est pas pareil. C’est
bouger à plusieurs.
Après on se retrouve tout seul. Et donc j’ai écrit un livre tout seul qui s’appelle La création de mode qui est un livre de sociologie avec du concept, assez balaise d’ailleurs si on le lis. Et là je me suis dit : « Donc je peux écrire tout seul ».
C’est prendre confiance progressivement tout seul, sans aide, sans conseil. Donc j’y suis allé doucement quelque part.
Donc en 84-85, je sors Les mouvements de mode. En 87, je sors La création de mode, tout seul.
Là je me dis, je vais passer au roman, je vais écrire mon premier vrai livre roman. Et donc je pars comme je l’ai dit déjà, je pars à la campagne comme gardien de château puisque c’est le seul moyen de vivre sans argent à peu près, et pendant deux ans, dans deux endroits différents, j’écris, je ne fais que ça. Et j’écris, y’a ce roman qui s’appelle La vie d’un vaurien qui raconte ma vie de ce qu’on appelle « vaurien », de petit mec qui traine depuis l’âge de dix-sept ans dans une situation de survie permanente, en dragouillant, en embrouillant.
Et donc c’est un roman autobiographique qui s’appelle La vie d’un vaurien, et qui ne s’est pas vendu du tout. Donc c’est deux ans de boulot, zéro vente.
Donc là évidement, ça m’a mis en difficulté, mais je me suis de plus en plus intéressé à cette question de la drague, et sur le plan sociologie, psychologique, etc., parce que c’était un truc qui me touchait profondément. Je connaissais tous les gradeurs de Paris parce que c’était de mecs qui. Y’avait Laurent le kabyle, y’avait Francis l’antillais. Enfin voilà, c’était des mecs qu’on retrouvait – y’avait Dante – au bal de La Coupole, à la guinguette du Martin-pêcheur, au Palace, aux Bains-douches ou dans le quartier des Halles. Enfin voilà. Thierry Paulin. J’ai croisé Thierry Paulin.
Pascale Goufan – Vous avez un initiateur dans la drague sur Paris ou un pygmalion ?
Alain Soral – Non c’est, disons qu’à un moment donné moi j’ai déraillé de mon côté, et à un moment donné, j’ai rencontré un mec qui s’appelait Laurent-là, qu’on appelait Laurent la kabyle.
Pascale Goufan – C’est le personnage de Saïd Taghmaoui [Confession d’un Dragueur, 2001]
Alain Soral – Non, c’est pas que, il est pas que. Le personnage de Saïd Taghmaoui, c’est le mélange de plusieurs, mais bon c’est lui aussi. Et on s’est mis en tandem, ce qui est le principe. À deux on se sent. Comme à deux pour écrire un premier livre, on se sent mieux, à deux pour écrire un scénario, et à deux pour draguer, on se sent mieux. Et lui c’était un brun costaux et moi j’étais un grand blond, on va dire. Donc on était très complémentaires et on s’est mis en tandem.
Et c’est vrai qu’en même temps que la pratique, j’ai réfléchi sociologiquement sur tout ça. Et j’ai pris des notes, etc. J’ai toujours eu ce côté sociologue. Et donc en même temps que je le faisais, je me disais : je ferai un bouquin là-dessus.
Merci à Alain Soral.
Par Pascale Goufan et Romain Delajoux.
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