En 1993, nous étions quelques uns, au PC, au FN ou chez les gaullistes, à avoir diagnostiqué la mort de la gauche et partant, la nécéssité d’un compromis nationaliste susceptible d’incarner une alternative à l’Empire naissant. Un texte, toujours d’actualité de J.P Cruse dans l’Idiot International, et qui devait lui couter sa place à Libé, avait magistralement prophétisé ce nécessaire rassemblement. Le PCF dompté et le FN en passe de l’être, aucune organisation existante ne semble en mesure de l’incarner aujourd’hui. A ER de se hisser à la hauteur de l’enjeu et du sens de l’histoire. Première étape : le congrès des 27 et 28 mars à Paris !
Marc George
1995, comme 1945 : l’avenir est au rapprochement des communistes et des gaullistes, pour une politique autoritaire de redressement du pays.
La gauche, en France, c’est fini. Pour toujours. Et c’est bien. Quoi, la gauche ? Idée sucées, espoirs sodomisés, rêves violés, roulés dans le béton de la mort blanche. Otées les fanfreluches crasseuses de la modernité, le cul de la vieille gauche est nu, absolument, totalement, définitivement et radicalement nu. En fait, même plus un cul. Ni peau, ni chair, ni os. Pas de mémoire, pas d’idées, pas de principes. Un trou, sans bords, sans fonds, et sans couleurs. Pas de valeurs, pas de pensées, pas d’analyses, pas de bilan, pas d’issue, pas de perspectives. Rien, mais rien : et c’est très bien. Nettoyage.
Les profits d’avant-hier n’ont fait ni les investissements d’hier, ni les emplois d’aujourd’hui – mais toujours plus de magouilles, de déchirements, d’échecs. 1993, 10 ans après 1983, la rigueur se met à table, elle parle, elle avoue son nom : corruption. Ils nous saoulaient de morale, et discutaient « affaires » avec les gens de Palerme, et leur succursale marseillaise. Quand la corruption politique rejoint la criminalité organisée, l’Europe se met à l’heure de Milan. La peur est sur les villes. L’insécurité du gîte et du transport, après celle du revenu, du statut, du travail. Sous les voiles de prêcheresse de Georgina Dufoix, des contrats de scanners. Mafia, mafia, mafia. Aujourd’hui, la destruction précipitée de la vieille gauche n’ouvre sur rien de neuf, à l’intérieur du champ. Il faut donc en sortir.
Gauche… Dévaluation d’un mot pâli, bon et brave vocable trop lavé par l’histoire, roulé dans le torrent, éclaboussé, éparpillé, écartelé, ruiné. Quoi, gauche ? Un cycle de 200 ans en a épuisé le sens. 200 ans d’une histoire marquée par de bons compromis, sous la Révolution, et même sous l’Empire, entre des classes nouvelles dont la Commune de Paris devait, en 1871, sceller dans le sang l’antagonisme… 200 ans d’une histoire souillée, dès Jules Ferry, par les massacres coloniaux, impasse économique sur fond de crimes de sang… 200 ans d’une histoire commune ; fêlée dès octobre 1917, avant que les urnes du Front Populaire ne préparent, dans la liesse et l’union, l’effondrement national de 1939-40…
On ne resservira pas ce plat. Il est moisi, et froid. Aucun des conflits fondateurs qui ont forgé l’esprit des vivants d’aujourd’hui ne s’est déployé sur l’axe droite-gauche. Qu’il s’agisse de la Résistance, dont le nœud fut, contre le Parlement du Front Populaire devenu l’Assemblée des pouvoirs à Pétain, l’alliance des communistes et de la droite catholique, nationale, militaire et maurrassienne du général de Gaulle. Ou qu’il s’agisse encore, de la liquidation du vieil Empire, fondatrice de la République moderne, et qui vit, là encore, le rouge du drapeau flirter avec la Croix de Lorraine, et l’ombre de Jeanne d’Arc danser avec le spectre de Louise Michel.
Mai 68 fut l’irruption brûlante et brève, sur les tapis de cendres chaudes de l’Apocalypse vietnamienne, de nouvelles forces vives, extra-parlementaires – hors du champ. Dans le vaste espace international ouvert alors par la rupture de la Chine avec l’URSS, et déchiré, en diagonale, par la question palestinienne, l’échec de l’« extrême gauche » illégaliste et ouvriériste, coincée entre le marteau pompidologiscardien, et l’enclume du programme « commun », ne pouvait qu’anticiper, 20 ans plus tard, l’effondrement des barbons de la Gauche du Panthéon, après une courte orgie. Tout cela, c’est la gauche. Et c’est mort.
C’est bien. La politique est simple. Qu’elle rassemble, aujourd’hui, les gens de l’esprit contre les gens des choses, la civilisation contre la marchandise – et la grandeur des nations contre la balkanisation du monde, qui yougoslavise l’Europe et libanise l’Afrique après avoir palestinisé le Liban, sous les ordres de Wall Street, du sionisme international, de la bourse de Francfort et des nains de Tokyo.
Plus que Maastricht, vrai-faux clivage pour ou contre une Europe en train de ne pas se faire, la guerre du Golfe a tracé les vraies lignes. Ceux qui rêvaient de raser Bagdad, et ceux qui rêvent, ici, d’achever la liquidation de l’« exception française », dorment vautrés dans la même bauge. Pas de politique sociale, pas d’égalité des chances, pas de justice possible sans un violent sursaut de nationalisme, industriel et culturel. Pas de réponse aux problèmes, effectivement liés, de l’immigration, de l’insécurité, du chômage, et de la criminalité urbaine, sans une politique volontariste, autoritaire, et de longue portée, d’aide aux jeunes États forts du Tiers-Monde, seuls aptes à briser le cycle mortel de la famine. A fixer leurs sols, leur foi, leurs langues et leurs peuples.
On est loin, évidemment, du perfectionnement infini de la démocratie, et de mille bavardages. Sur ce terrain, Pasqua, Chevènement, les communistes et les ultra-nationalistes […] vont se trouver plus proches les uns des autres que Marchais de Mitterrand, qui est mort, de Fabius, de Lalonde ou de Rocard d’Estaing. C’est un front, qui se forge, et qui se forgera, qu’on aime ou qu’on n’aime pas. Dans une dynamique de redressement, de dépassement, d’efforts de citoyens lucides, contre la logique de la crise, de soumission, d’avilissement et d’éclatement, qui déferle sur la planète au rythme du Sida.
On peut imaginer d’autres temps, d’autres termes de choix, rêver d’autres échappées, d’autres avenirs, d’autres issues. Mais le réel est là, et pas ailleurs.
Il n’y a que deux futurs. L’un est l’ennui barbare, l’agenouillement devant l’argent, le racisme anti-raciste, le soft-totalitarisme, la putasserie médiatique, la branlette informatique, la crétinisation marchande, le shoot au CAC-40, le chômage des cerveaux comme celui des corps, et la tête de veau de Clinton sur la graisse de Schwartzkopf.
L’autre futur, pour nous, ici et maintenant, n’est ni rouge, ni rose. Il marie deux fois trois couleurs. Un bleu-blanc-rouge, plus proche, au fond du fond des choses, du black-blanc-beur, que le rose-rouge-vert de la gauche caviardeuse, ou la bannière étoilée des Maîtres.
Jean-Paul Cruse, L’Idiot International, mai 1993.