Question à Madame Taubira, garde des Sceaux et ministre de la Justice : comment la justice française va t-elle réagir alors qu’à la veille d’être interrogés, les témoins du juge Trévidic sont « liquidés » ?
Deux témoins du juge Trévidic ne témoigneront plus. Le colonel Patrick Karegeya, ancien chef des renseignements extérieurs de Paul Kagame prétendait prouver au juge l’implication de ce dernier, dans l’assassinat du président Habyarimana ; il fut étranglé le 31 décembre 2013 dans sa chambre d’hôtel de Johannesburg. Emile Gafarita, l’un des trois membres du FPR qui transportèrent depuis l’Ouganda jusqu’à Kigali les missiles qui abattirent l’avion du président Habyarimana a été enlevé à Nairobi le 13 novembre 2014. Il n’a pas réapparu depuis.
Tous deux étaient à la veille d’être auditionnés par les juges Trévidic et Poux qui enquêtent sur l’attentat du 6 avril 1994 qui coûta la vie au président Habyarimana, assassinat qui fut le déclencheur du génocide du Rwanda.
Après le meurtre de Patrick Karegeya, le général Kagame avait prévenu : « Celui qui trahit son pays, celui qui trahit le Rwanda, quel qu’il soit, ne peut pas s’en sortir sans payer le prix. »
La semonce était claire et nul ne pouvait ignorer que la vie d’Emile Gafarita serait menacée si sa volonté de témoigner contre son ancien chef venait à être connue. Dans une procédure de réouverture d’instruction, le résumé de ce qu’il allait dire au juge étant en théorie normalement accessible aux avocats, le général Kagame avait bien conscience des conséquences mortelles de telles déclarations pour son régime. Malgré cela, la justice française a été incapable de protéger ce témoin essentiel puisque ses ravisseurs ont été prévenus qu’il était depuis quelques semaines à Nairobi où il vivait clandestinement sous un nom d’emprunt dans l’attente de son départ pour la France afin d’y être entendu par le juge Trévidic.
Qui a livré l’adresse secrète d’Emile Gafarita à ses ravisseurs, se rendant ainsi complice d’enlèvement, probablement de torture et peut-être d’assassinat ? La convocation à comparaître devant le juge Trévidic est en effet directement arrivée chez son avocat français chez qui il était domicilié, or, ne connaissant pas son adresse au Kenya, ce dernier lui a transmis la convocation du juge par mail.
Une enquête administrative s’impose car il n’existe que trois hypothèses :
1) Celle d’une fuite au niveau du cabinet du juge.
2) Celle d’une interception des communications de l’avocat français par les ravisseurs,
3) Celle d’une fuite au niveau de l’ambassade France à Nairobi, cette dernière étant probablement chargée d’organiser le voyage du témoin.
Dans son livre La France dans la terreur rwandaise (Éditions Duboiris, 2014, p. 302), le journaliste Onana rapporte de graves propos tenus par le colonel Karegeya peu avant son assassinat : « (...) tout ce que fait votre juge [Trévidic] se trouve dans les médias, même les noms des témoins qui peuvent ainsi être retournés par Kigali ou assassinés. »
L’affaire, qui est gravissime, n’est plus du niveau du juge Trévidic, mais de celui de madame Taubira et du Quai d’Orsay. La France peut-elle en effet, et cela sans réagir, laisser ainsi « liquider » des témoins qui s’apprêtent à parler à un juge anti-terroriste ? Le silence des autorités françaises étant à ce jour assourdissant, la question doit être posée ; compte tenu de la gravité de l’événement, il serait logique qu’elle le soit par des députés.
Même si l’enlèvement d’Emile Gafarita porte un coup très sévère à la crédibilité de la lutte anti-terroriste française, il n’anéantit pas pour autant l’instruction en cours sur l’attentat du 6 avril 1994.
Le juge Trévidic, qui a succédé au juge Bruguière en 2007, n’est en effet pas désarmé car son dossier contient les nombreux éléments rassemblés par son prédécesseur : témoignages, numéros de série des missiles (respectivement 04-87-04814 et 04-87-04835) qui faisaient partie d’un lot de 40 missiles SA 16 IGLA livrés par l’URSS à l’armée ougandaise quelques années auparavant, lieu du tir des missiles, marque et couleur des véhicules utilisés pour transporter ces derniers depuis l’Ouganda jusqu’au casernement de l’APR situé au centre de Kigali et de là jusqu’au lieu de tir à travers les lignes de l’armée rwandaise, ainsi que le déroulé de l’action. Emile Gafirata, le témoin enlevé à Nairobi, allait raconter au juge comment il avait véhiculé ces missiles depuis l’Ouganda.
En juillet 2013 puis en janvier 2014, le juge Trévidic a pu interroger Jean-Marie Micombero, ancien secrétaire général au ministère rwandais de la Défense et qui, le 6 avril 1994, était affecté à une section chargée du renseignement dépendant directement de Paul Kagame ; le témoin lui a donné les noms des deux membres de l’armée de Paul Kagamé qui, le 6 avril 1994, tirèrent les deux missiles qui abattirent l’avion présidentiel. Il a également livré nombre de détails sur les préparatifs et sur le déroulement de l’attentat. [1] Ces déclarations recoupaient en les confirmant celles recueillies en leur temps par le juge Bruguière auprès d’autres témoins.
Relais constant des thèses du régime de Kigali, la presse française n’a fait aucun écho au scandale judiciaire et humain que constitue l’enlèvement d’Emile Gafirata venant après l’assassinat du colonel Karegeya. C’est pourquoi j’invite les lecteurs de ce blog à donner toute la publicité nécessaire à ce communiqué. [2]