Le rapport sur le comportement sexuel des français paru en 1971, surnommé alors le « Rapport Kinsey des Français », a pour auteur un personnage central de l’évolution des questions de sexualité, de contraception, d’avortement et d’euthanasie : Pierre Simon. Ce dernier fut une référence du monde médical, un membre éminent de grandes loges françaises et une figure influente des appareils gouvernementaux. Ses idéaux « progressistes » perdurent aujourd’hui, y compris à travers les lois et les différentes structures institutionnelles qu’il a contribué à mettre en place au cours de sa longue carrière militante.
Pierre Simon est né le 3 janvier 1925 à Metz dans une famille « emblématique » du judaïsme alsacien-lorrain [1]. Après la Libération, il s’installe à Paris dans le but de poursuivre ses études de médecine. Il devient externe des hôpitaux de Paris en 1948, fonde le Club des Jacobins avec Charles Hernu en 1951 puis entre au parti radical-socialiste [2].
C’est d’un voyage en URSS en 1953 – où il se rend, en tant que délégué pour les relations culturelles du ministère des Affaires étrangères, afin de visiter l’Institut Pavlov – qu’il rapporte les techniques d’accouchement sans douleur. C’est aussi en 1953 qu’il est initié dans sa loge mère, La Nouvelle Jérusalem, au sein de la Grande Loge de France [3].
Il rejoint par ailleurs en 1954 le groupe Littré, un groupe maçonnique réfléchissant au contrôle des naissances et rassemblant des médecins francophones, français, suisses et belges [4]. Un rapport est présenté l’année suivante, en 1955, au congrès humaniste international de Genève. Ce rapport est à la base du premier projet de loi déposé à l’Assemblée nationale réclamant l’abolition de la loi de 1920 interdisant l’avortement et toute propagande anticonceptionnelle.
Pierre Simon obtient un prix et une médaille de la faculté de Médecine pour sa thèse en 1954, et reçoit une double qualification en gynécologie-obstétrique l’année suivante.
En 1956, il cofonde avec la sœur Marie-Andrée-Lagroua-Weill-Hallé le Mouvement français pour le planning familial (MFPF) – qui s’appelait à l’origine « Maternité heureuse » –, branche française de l’International Planned Parenthood, très largement subventionné par la fondation Rockefeller et lui-même une émanation du Birth Control, créé dans les années 20 aux USA par Margareth Sanger [5]. « Maternité heureuse » fournit alors des informations médicales et des formations clandestines pour les médecins (à Paris pour la théorie et à Londres pour la pratique) et organise des conférences dans les grandes villes de France.
Au sein du conseil d’administration du MFPF, on retrouvera Richard Dupuy, Grand Maître de la Grande Loge de France ainsi que Daniel Meyer, président de la Ligue des droits de l’homme [6].
En 1957, durant la Campagne des Cents Fleurs, Pierre Simon se rend en Chine – par des moyens détournés – afin d’étudier l’implantation du contrôle des naissances par le gouvernement chinois et les méthodes de sensibilisation de la population [7].
En 1963, il participe au congrès mondial des spécialistes de la contraception de Singapour, d’où il ramène la spirale de Margulies, qu’il présentera en France sous le terme de « stérilet ».
En 1967, son amitié et sa collaboration avec Lucien Neuwirth, gaulliste d’origine juive polonaise, portera ses fruits puisque ce dernier sera le porteur de la loi du 28 décembre 1967 sur la contraception [8]. Il faut noter que le docteur Simon participe à une commission parlementaire, qui dépose plusieurs projets dont celui de Lucien Neuwirth. Il anime aussi la « Commission Neuwrith », qui se nourrit de son livre paru la même année, Le Contrôle des naissances. Histoire, philosophie, morale.
- Lucien Neurwirth (1924-2013), ami proche de Pierre Simon et père de la loi sur la contraception orale
Membre du Commissariat au plan de 1967 à 1969, Pierre Simon appartient à la commission « Population-Démographie » présidée par Pierre Laroque, dans le cadre du Ve plan. Il écrit donc des articles concernant les questions démographiques, alors en pleine évolution avec les arrivées d’immigrés en France. Il essaie d’introduire par le biais de Pierre Laroque le concept de limitation des naissances [9].
Pour la première fois en 1969, il devient Grand Maître de la GLDF jusqu’en 1971, puis une fois encore de 1973 a 1975 [10]. Au même moment, il entre en tant que conseiller technique au cabinet de Robert Boulin, alors nommé ministre de la Santé dans le gouvernement Chaban-Delmas de 1969. En 1971, il fait paraître le rapport intitulé Le Comportement sexuel des français, qui sera surnommé le « Rapport Kinsey des Francais » [11], en référence à Alfred Kinsey, le très controversé biologiste américain [12]. L’origine du Rapport Simon remonte au lendemain des événements de Mai 68. Il cherche à mettre en débat dans l’opinion des questions sur les positions et les pratiques sexuelles, la masturbation ou l’homosexualité.
Dans la biographie de Pierre Simon présentée sur le site du Prix Pierre Simon, ce rapport est décrit ainsi :
« Il est aussi révolutionnaire par la méthode employée. Il consacre, d’ailleurs, en première partie une large place à la méthodologie employée. P. Simon prépare, également à cette époque, la mise en place de l’éducation sexuelle à l’école, qui sera décidée par le ministre de la Santé du gouvernement Messmer, Jean Foyer [13]. »
Pierre Simon explique par ailleurs que l’on doit aux États-Unis une stratégie de sociologie politique, celle dite de « récupération ». Son principe consiste à faire absorber par l’idéologie dominante des schémas issus de la contre-culture. Ce qu’il s’efforce de faire par la suite avec le gouvernement Chaban-Delmas.
En 1970, Pierre Simon se fait élire au Comité mondial de la reproduction humaine. De 1971 à 1974, il est ainsi conseiller des Nations unies (BIRD) pour le programme tunisien de planification familiale [14]. En 1973, il fonde l’Institut de formation, de recherche et d’études sur la sexualité et le planning familial, et de 1974 à 1983 il sera président de la commission de recherches du Conseil supérieur de l’information sexuelle, de la régulation des naissances et de l’éducation familiale [15].
En 1975, la loi Veil, qui légalise l’avortement, est vue par beaucoup comme le couronnement de son succès. Rappelons que Pierre Simon était alors – une fois encore – conseiller technique, mais cette fois dans le cabinet de… Simone Veil [16]. C’est également cette année-là qu’il fonde l’IFRES (Institut de formation, de recherche et d’études sur la sexualité et la planification familiale), qu’il est nommé expert à la Cour d’appel en gynécologie, obstétrique, contraception et sexualité et qu’il organise le premier Congrès international de sexologie en France.
En 1980, il cofonde avec Michel Lee Landa l’Association pour le droit de mourir dans la dignité. Celle-ci défend surtout l’euthanasie des personnes adultes. Elle n’aborde pas l’euthanasie des nourrissons ; néanmoins, sa succursale belge défend l’euthanasie des mineurs. Une loi autorisant cette dernière vient d’ailleurs d’être adoptée au Parlement belge [17]. Ce qui démontre que les idées maçonniques de Pierre Simon sont toujours présentes dans les organisations qu’il a créées.
Pour rappel, Pierre Simon déclarait sur ce sujet :
« L’euthanasie procède d’une démarche qui ne s’admet pas sans heurts. Les solutions que nous fournit la morale traditionnelle ne peuvent pourtant plus nous contenter. Elles reposent sur une sacralisation du principe de vie, dont l’essence est superstitieuse et la démarche fétichiste. »
« L’euthanasie est souvent l’objet d’une demande très profonde des parents, des mères surtout. Certaines, angoissées devant leur grossesse, n’ont de cesse qu’elles ne nous arrachent cette promesse : ne pas laisser vivre un enfant qui soit anormal sans remède possible. Paradoxe de notre fonction d’obstétricien, dans ce cas précis : laisser mourir n’est-ce pas préserver la vie ? [18] »
Un projet de mise en place de l’euthanasie à propos duquel Guy Arcizet, Grand Maître du Grand Orient de France (GODF), déclare ouvertement :
« Nous réfléchissons depuis plusieurs années à l’institution d’un droit à mourir dans la dignité. Personnellement j’y suis favorable mais chacun doit se déterminer selon sa conscience [19]. »
Pierre Simon a participé à la création d’Euro Mater, une association qui essaye de faire avancer la cause des mères porteuses [20].
De 2002 à 2006, il officie comme administrateur de la Compagnie financière de Deauville, qui intervient dans le secteur des services financiers, de l’Internet et de l’immobilier.
En hommage à sa carrière prolifique, le « Prix Pierre Simon, éthique et société » est créé en 2007, sous le patronage du ministère de la Santé. Ce prix récompense chaque année des personnalités et des œuvres qui s’inscrivent dans le cadre de l’action et de la réflexion sur l’éthique [21].
Pierre Simon est mort le 11 mai 2008. Lors de sa carrière, il a été fait chevalier de la Légion d’honneur, chevalier de l’Ordre national du mérite (1972) et commandeur dans l’Ordre national du Dahomey.
Document complémentaire sur la vie de Pierre Simon (pdf) :
Voir aussi, sur E&R : Marion Sigaut sur la révolution sexuelle et la pédophilie