Les émissions culinaires de télé-réalité sont rarement intéressantes et reflètent généralement bien plus la réalité du monde télévisuel que celui de la gastronomie. Néanmoins, cette année, l’émission Top Chef sur M6 nous offre un aperçu intéressant et révélateur de l’état d’esprit dans lequel évoluent nos grands chefs. Et ceci grâce à l’apparition d’une pré-émission Objectif Top Chef, au cours de laquelle le chef Philippe Etchebest, par ailleurs désigné meilleur ouvrier de France en 2000, est parti à la recherche d’un apprenti pour qu’il participe ensuite au concours parmi les professionnels.
Quelques mois plus tard, lors de la demi-finale de la compétition, Olivier Streiff, candidat atypique, original, expérimenté et talentueux, a dû rendre son tablier (au terme d’une épreuve qui a provoqué un tollé sur la toile) au profit de Xavier Koenig, le vainqueur du concours, un jeune apprenti doté d’un talent évident mais beaucoup moins expérimenté et technique que son camarade.
Il n’y a évidement aucun besoin de crier au complot comme aiment à s’en moquer les journalistes de L’Express [1] — afin d’éviter un questionnement vraiment légitime — puisque les complots sont par nature des projets cachés au grand public, alors qu’ici, au contraire, c’est sous nos yeux que nos grands chefs dévoilent leurs travers symptomatiques.
Comment explique-t-on donc ce qui apparaît comme une évidence pour nombre d’entre nous ? Qui n’a pas réalisé que Xavier Koenig a été aidé à de nombreuses reprises lors de ces émissions afin de lui permettre de terminer ses plats et de ne pas se faire exclure du concours ? Comment expliquer que Philippe Etchebest, meilleur ouvrier de France et technicien hors pair, n’ait pas réussi lors d’une émission suivant ce « scandale » (dans laquelle il venait justifier l’élimination d’Olivier Streiff) à trouver des arguments basés sur le goût et la technique des plats des concurrents, mais simplement sur le système de points et l’absence de diffusion intégrale des commentaires du jury (qui viserait à conserver le suspens) [2] ? D’ailleurs, ces fameux commentaires, apparemment occultés par une prétendue maladresse de montage, auraient bien pu être partagés a posteriori.
En réalité, il y a vraiment eu une mise en avant évidente du candidat alsacien et l’affection toute particulière et à peine dissimulée de Philippe Etchebest pour cet apprenti n’est pas le seul fait du hasard ni entièrement due au talent, par ailleurs indiscutable, de ce jeune cuisinier certainement plein d’avenir.
Xavier Koenig, en effet, n’est pas un simple apprenti comme il en existe des milliers en France. Il a reçu en 2012 la distinction de meilleur apprenti de France. Un titre organisé par la société des Meilleurs ouvriers de France, à laquelle appartient de fait Philippe Etchebest en tant que titulaire de ce titre. Durant la participation à ce concours, Xavier Koenig travaillait pour Olivier Nasti, chef deux étoiles, lui aussi meilleur ouvrier de France, qui avait repéré Koenig lors du concours régional du MAF. Nos deux MOF, comme on dit dans le milieu, se connaissent certainement puisqu’ils sont tous deux membres du conseil d’orientation de l’école privée Ferrandi (dont les coûts de scolarité atteignent 8 748 euros pour un CAP de cuisine) [3]. Cette année, c’est d’ailleurs Etchebest qui s’est occupé de la remise du titre du MAF (meilleur apprenti de France) dans la catégorie cuisine [4].
Plus intéressant encore, nous apprenons de la bouche de Xavier Koenig, lors d’un entretien pour un magazine, que la société des Meilleurs ouvriers de France l’a informé par mail que la chaîne M6 recherchait des candidats pour son émission Objectif Top Chef [5]. Détail qui a évidement son importance et qui tendrait à prouver que cette société était intéressée par l’émission phare de la chaîne. Doit-on donc voir une coïncidence dans l’arrivée cette année du meilleur ouvrier de France Philippe Etchebest dans l’émission (en tant que grand chef en charge de sélectionner l’apprenti qui participera à Top Chef parmi les professionnels) ? Doit-on considérer qu’il y a donc eu dès le commencement du concours un conflit d’intérêt, puisque la plupart des candidats ayant participé n’avaient probablement aucun lien avec la société des MOF ? Est-ce que ceci est de nature à nous expliquer le comportement parfois peu compréhensible du jury ?
Michel Sarran, autre juré du concours, nous explique dans un autre entretien, qu’il considère que Top Chef s’apparente plus dans son esprit au fameux MOF qu’à un simple « radio crochet » culinaire [6]. Au vu de ce que nous venons de constater dans cet article, nous ne pouvons effectivement que lui donner entièrement raison puisque le mode de fonctionnement de cette émission est en accord total avec l’esprit du petit monde de la gastronomie.
Bien que nos grands chefs nous expliquent partout que seul le travail, l’abnégation et le talent priment dans les métiers culinaires, dans les faits, la vérité est tout autre, puisque ces qualités ne sont rien sans la puissance des réseaux, du parrainage et de la cooptation si chère à nos grands chefs. Puissance des réseaux en totale symbiose avec l’esprit maçonnique dont sont imprégné nos grands chefs, comme le démontrent aisément les logos de leurs nombreuses associations. Et c’est exactement ce que nous a publiquement dévoilé cette année l’émission de M6.