La Cour de cassation avait toujours refusé de transmettre au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité dont elle était saisie, au motif que la question de la constitutionnalité de la loi Gayssot ne présentait pas un caractère sérieux. Ce blocage finissait par apparaître pour ce qu’il était : de l’obstruction pure et simple. La haute juridiction vient donc de finir par transmettre une question. Mais il s’agit d’une question qui n’a que très peu de chances d’aboutir.
L’idée en est que la loi Gayssot introduirait une inégalité entre les victimes de crimes contre l’humanité. Certains, juifs, Polonais, Tziganes, verraient la contestation du génocide dont ils ont été victimes interdite, tandis que d’autres, trop nombreux pour être ici tous énumérés, devraient supporter que l’on nie la gravité de leur souffrance. Rien de plus faux.
La loi Gayssot est certes le prolongement direct du jugement de Nuremberg, mais dans sa lettre ce texte n’est absolument pas limité à ce jugement. Sa formulation est générale, elle n’interdit pas seulement la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité dont ont été victimes les juifs ou les Tziganes pendant le second conflit mondial. Elle interdit de manière générale la contestation des crimes contre l’humanité commis par « une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ».
Non seulement il pourra s’agir des Polonais et des Tziganes, qui sont visés à Nuremberg, mais mieux et plus encore, il pourra s’agir de tout autre génocide, dès lors que la condition de condamnation se trouve remplie. Toute juridiction, française ou internationale, qui prononcerait une condamnation pour crime contre l’humanité énoncerait une vérité dont la contestation serait interdite sous la menace d’une peine.
Il n’est pas besoin pour cela de lois mémorielles ad hoc. Et c’est pourquoi la jurisprudence relative au génocide arménien est distincte de notre cas. C’est Robert Badinter qui l’avait noté. Qu’un tribunal français ou international condamne quelqu’un pour crime contre l’humanité commis en Turquie, en Palestine, en Amérique, en Afrique du Sud, en Algérie, au Cambodge ou ailleurs, et la contestation de son existence sera répréhensible.
C’est pourquoi la QPC relative à l’inégalité devant la loi n’a que très peu de chances d’aboutir. Et c’est sans doute ce qui explique qu’elle ait été transmise au Conseil constitutionnel.
Les objectifs de la loi Gayssot sont la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et la protection de l’ordre public. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la loi peut porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Mais pour être conforme à la Constitution l’atteinte doit être nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis par le législateur.
Il n’est pas certain qu’il y ait nécessité, pour lutter contre l’antisémitisme et protéger l’ordre public, d’interdire la contestation des crimes contre l’humanité condamnés à Nuremberg : les incriminations existantes, et notamment la provocation à la haine, devraient suffire. Si la provocation à la haine n’est pas toujours facile à établir, elle constitue néanmoins l’argument majeur de la répression du révisionnisme historique. Ce qui est incriminé, c’est, au fond, comme l’a dit Michel Troper, « l’idée (antisémite et donc antidémocratique) que le génocide est un mythe dont la fabrication est entièrement due à la perversité et à l’avidité des juifs ».
Avocat – Docteur en Droit