"Il n’y a plus de prix Nobel de la paix."
La prestigieuse récompense a été vidée de son sens, expliquait le juriste Fredrik Heffermehl à Europe 1 en 2013. L’année suivante, il a porté plainte contre le comité qui désigne les lauréats, qu’il accuse de violer le testament d’Alfred Nobel, en ne récompensant pas de véritables pacifistes.
Une controverse qui rappelle que ce prix, d’une résonance mondiale sans équivalent, est attribué par un minuscule comité de cinq Norvégiens, élus par le Parlement, dont les décisions ne font pas toujours l’unanimité. Alors que le Nobel de la paix 2015 est attribué vendredi 9 octobre, Francetvinfo revient sur ses coulisses, entre nominations insolites, accrochages diplomatiques et erreurs de casting.
Un Nobel pour un ami de la Norvège
Dans son testament, rédigé en 1895 (en anglais), un an avant sa mort, Alfred Nobel demande à ce que le prix pour la paix soit attribué à la personne qui aura fait le plus pour "la fraternité entre les nations, pour l’abolition ou la réduction des armées, et pour la tenue et la promotion de sommets pour la paix". Si la remise des prix scientifiques est confiée à des institutions académiques suédoises qui font autorité dans ces domaines, qui serait indiscutable pour remettre un prix pour la paix ? Nobel reste vague, et confie cette tâche à "un comité de cinq personnes élues par l’Assemblée norvégienne", les royaumes de Norvège et de Suède étant alors unis. Quatre des membres actuels du comité sont d’anciens responsables politiques, comme quasiment tous leurs prédécesseurs. Le cinquième, un intellectuel, est aussi le fils d’un ancien Premier ministre (et le seul à avoir moins de 60 ans).
D’emblée, le Nobel de la paix a donc été lié à la politique. En 1905, quatre ans après le premier Nobel, la Norvège obtient son indépendance, et le président du comité d’alors devient aussi ministre des Affaires étrangères. "Il cherchait des amis de la Norvège", a raconté en 2005 l’ancien secrétaire du comité, Geir Lundestad, invité par l’université californienne de Berkeley. Coïncidence ? Le Nobel de la paix est attribué, en 1906, au président américain Theodore Roosevelt, qui a pourtant guidé son armée dans de nombreuses interventions à l’étranger. Même les Américains trouvent la ficelle un peu grosse : "Un large sourire a illuminé la face du monde quand le prix a été attribué... au plus va-t-en-guerre des citoyens des Etats-Unis", ironise le New York Times de l’époque.
Adolf Hitler, éphémère nominé au Nobel de la paix
Les cinq membres du comité Nobel ne sont pas complètement seuls pour prendre leur décision. Ils se basent sur une liste de nominés, de plus en plus pléthorique : ils étaient 273 cette année (le record est de 278, en 2014). Les anciens lauréats peuvent proposer leur candidat, de même que les parlementaires et ministres du monde entier, et même les professeurs de sciences humaines, explique le site internet du Nobel. Après la clôture des candidatures, le 1er février, le comité établit une liste d’une vingtaine de noms, sur lesquels l’Institut Nobel, dirigé par le secrétaire du comité Nobel, prépare des rapports, afin que les décideurs soient bien informés. Le lauréat est finalement désigné en octobre.
Le contenu des débats et la liste des candidats restent secrets pendant cinquante ans. Au-delà de ce délai, les archives sont accessibles en ligne, et on y trouve des noms étonnants. Adolf Hitler a ainsi été proposé au prix Nobel de la paix début 1939. L’idée venait d’un parlementaire suédois, qui y voyait là une façon de critiquer, par l’absurde, une campagne visant à attribuer le prix à Neville Chamberlain, Premier ministre britannique, qui pensait avoir obtenu la paix avec l’Allemagne. "S’il est vrai que Chamberlain a contribué à préserver la paix mondiale, par sa généreuse compréhension de la lutte de Hitler pour la pacification, la décision finale était celle de Hitler", ironisait-il dans sa lettre au comité, selon un historien spécialiste du Nobel. Face aux critiques, il a retiré la nomination, et le Nobel 1939 n’a finalement jamais été décerné, après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.