Hegel, Kojève, Schwab et l’art du finitus interruptus
Histoire de la Trinité, trinité de l’Histoire
« Le dogme de la Trinité. Ce dogme implique toute la métaphysique chrétienne. Hegel dit quelle est la vérité de ce dogme et expose ainsi sa propre métaphysique. »
Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, p. 305
Le Père, c’est la révolution monothéiste (par exemple tengriste : rien de spécifiquement sémitique), solidaire de l’âge impérial de l’humanité (tel que l’avait déjà compris Ibn Khaldoun) : « à la fin, il n’en restera qu’un ». Qu’un seul empereur, siégeant dans une seule capitale, sous l’égide d’un seul dieu. L’Antique, en tant qu’il est post-tribal, post-chamanique, écrivant, admettant le commensurable (donc aussi le nombre : les premiers documents connus sont comptables), est la culture du Père. L’Antique n’est pas essentiellement polythéiste : l’unicité du divin le définit mieux que la multiplicité de ses avatars. Les Hébreux sont aussi antiques (sinon plus) que les Grecs, provinciaux marginaux de l’Antique qui doivent à leur graphomanie la place disproportionnée qu’ils occupent dans les histoires culturelles.
Le Fils, c’est le moment – assez bien saisi par Hegel – où cet universalisme des Maîtres trouve son pendant dans un universalisme des Esclaves : comme la virtualité de l’empire unique a conduit à l’idée de monde unique, c’est que ce monde doit aussi être peuplé par une unique humanité, chapeautant castes de Maîtres et castes d’Esclaves. En ce sens, la loi du Fils abolit/parfait (« dépasse ») la loi du Père. À ce point, le christianisme est stricto sensu la religion de l’incarnation : l’universel divin s’incarne dans le particulier humain. L’islam (notamment chiite, parce que son refus de l’iconoclasme et son culte d’Ali et des imams occultés l’ancre dans une forme d’incarnation) est le paroxysme de cette culture du Fils, qui est culture du zéro : face à l’infini du divin universalisé, toutes les valeurs humaines tendent vers ce zéro de l’égalité des Esclaves (islam). Le christianisme, pendant cette période, est resté plus ambigu.
Le Saint-Esprit, c’est le détournement manichéen de cette religion de l’incarnation. Les dynasties d’imams sont des dynasties naturelles, tout comme le Christ, quoique sans progéniteur humain, vient au monde par l’accouchement (Noël). L’érection de l’Église (par le manichéen Paul) implique la possibilité d’une cooptation sacerdotale hors des liens du sang : de ce baptême hyperbolique qu’est la transmission apostolique. L’Esprit (la valeur) prend le dessus sur le sang (la vie) : non seulement tous les lignages se valent au regard du divin (moment du Fils), mais tous sombrent aussi dans l’indignité au regard de cet infini discursif (de ce logos énoncé) qu’est l’idéologie (le Spectacle). C’est la culture de l’infini – aussi dite « occidentale » – c’est-à-dire du transhumanisme en régime de domination formelle pendant huit siècles (en gros, du sac de Constantinople au Premier Confinement), puis de domination réelle à compter de mars 2020.
Comme on ne peut décemment pas dire du Saint-Esprit qu’il « incarnerait » quoi que ce soit, on dira qu’il synthétise ce pouvoir des intellectuels qui différencie l’État chrétien (c’est-à-dire l’Église du Premier Occident, puis l’État monarchique absolutiste qui la dépouille de son pouvoir terrestre) de l’État des Maîtres antique : ce dernier se reconnaissait pour vocation d’atteindre à l’universel par le pouvoir des armes (les dieux antiques sont censés bénir ces armes, c’est-à-dire les rendre victorieuses, pas les justifier moralement) ; l’État chrétien est légitime dans la mesure où c’est « le Saint-Esprit qui l’inspire » – en termes plus mondains : l’intellectuel qui l’approuve. Quand Kojève, expliquant Hegel, nous dit que la Révolution française « réalise » la « synthèse […] de la Maîtrise et de la Servitude » (p. 226) dont l’intellectuel bourgeois/chrétien était l’actualisation purement « verbale », il décrit en réalité un processus entamé longtemps avant 1789 : suite à quelques tentatives du Premier Occident (papo-césarisme) en vue de transformer le Vatican en Rome, ce qu’il décrit, c’est l’appropriation progressive du Saint-Esprit par les laïcs, sous la forme de régimes cherchant d’abord à concilier légitimité héréditaire et légitimité idéologique (gallicanisme, anglicanisme, monarchies protestantes), puis sous la forme du parlementarisme et du bonapartisme, dans laquelle, le Souverain étant devenu le Peuple, c’est lui que le Saint-Esprit (relooké en « conscience du bien commun ») inspire en vue de faire entendre cette Vox Populi qu’on ne prend bientôt plus la peine d’assimiler à je ne sais quelle Vox Dei. Cette structuration intellectualiste du pouvoir en régime culturel d’Occident fait bien apparaître la nature essentiellement manichéenne de cette culture : pour qu’elle advienne, il faut que le verbe (l’idéologie de l’intellectuel) se « réalise », se « fasse chair », ou plutôt remplace la chair, conformément au programme transhumaniste – variante soft de cette Terreur jacobine qui donnait à Hegel des frissons d’aise. Au bout de la métaphysique du Saint-Esprit, il n’y a pas d’incarnation, mais bien au contraire l’annulation de l’animalité de l’Homme. Voilà pourquoi (on y reviendra ci-dessous) le projet de « fin de l’histoire », conçue comme un retour en mieux à l’animalité, est illusoire, comme Kojève lui-même a dû s’en rendre compte après la Seconde Guerre mondiale : c’est alors qu’il aura recours (cf. infra) à l’hypothèse de la japonisation.
Paradoxalement, c’est le discours antifasciste qui a entamé la mise à mal de cette réalisation du Saint-Esprit qu’on devait à la Révolution française. En insistant [1] sur la culpabilité d’une majorité électorale allemande dans l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir à travers les institutions de la république de Weimar en cours d’effondrement, ce discours remet en doute la coïncidence (à vrai dire mystique) de la Vox Populi et du progrès, c’est-à-dire du Saint-Esprit, tel que l’Intellectuel le formule. C’est ainsi que, dans le cadre de la Réinitialisation davosienne fille de l’élitisme antifasciste d’après-guerre, ces intellectuels, cessant d’être organiques pour le compte de tel ou tel parti de masse, vont devenir ces experts qui énoncent la vérité davosienne (climatique, virologique, sexologique, etc.) [2] à l’encontre des superstitions haineuses (« antiscience ») du populisme. La Vox Populi étant devenue fake news, le Peuple est passé du côté obscur du Saint-Esprit : du procès de Nuremberg au Premier Confinement, tel est le déroulé de l’abolition du moment démocratique.
Avatars de la liberté
Tout en n’étant essentiellement que le moment formel du processus occidental (avant Réinitialisation transhumaniste), la culture démocratique peut faire l’objet d’une hypostase absolutisante. C’est ainsi que les nostalgies du Peuple (stalinien ou jacobin) alimentent la résistance à la Réinitialisation, non moins que les nostalgies (libertariennes) de l’Individu. Le Peuple étant constitué de l’union dynamique des Individus, les deux nostalgies (nationaliste et libérale) sont naturellement solidaires, en tant que principales déclinaisons (macro et micro) d’un même mythe de la souveraineté/autonomie, qui est le mythe de la liberté. Ce mythe repose sur une interprétation formaliste de la liberté : comme forme extérieure, elle est purement négative (« interdit d’interdire » – « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ») ; comme contenu intérieur, elle fleurit à l’abri du mythe de l’indétermination. En s’interdisant de régir le particulier en tant que particulier (le « goût » individuel, ou « culture » des groupes), le droit, comme système théorique de ce formalisme, entretient la fiction d’un univers où nations et individus peuvent cohabiter pacifiquement dans le respect de goûts et de cultures réputées innées : chose que Kojève, commentant Hegel, appelle « (le naturalisme du Maître ». Se réserver le droit d’exclure les trans de son profil de recherche Tinder, par exemple, en vertu du fait qu’on estime être né homme ou née femme, c’est invoquer le Père pour limiter les prérogatives du Saint-Esprit, dont le représentant terrestre en chef (un jésuite du nom de Bergoglio) nous assure au contraire qu’une telle discrimination, allant à l’encontre de l’égalité, viole la loi du Fils. C’est l’épisode du mopping-up qu’avait décrit/prévu Kojève dès 1937, écrivant alors qu’il « faut [donc] supprimer la Religion et la Théologie chrétiennes, c’est-à-dire épurer l’anthropologie nouvelle des restes de la cosmologie et de l’axiologie païennes du Maître et libérer ainsi l’Esclave des restes de sa servitude ». Le Fils pensait « incarner » le Père, mais, à terme, le Saint-Esprit va lui imposer le meurtre du Père.
Or ce que Kojève (alors simple philosophe mais futur négociateur des accords du GATT) appelait « les restes de [l]a servitude » de l’Esclave, en l’occurrence, c’est très exactement ce que les nostalgiques du moment démocratique (national/individuel) appellent « sa liberté ». Face à une telle contradiction, la perception conspirationniste parle spontanément de mensonge : des élites « indignes » « feraient passer » la liberté pour l’esclavage, et vice versa. Mais ce mensonge est accepté (plutôt que cru) par une majorité (au moins relative) de post-citoyens, dont beaucoup ont un QI dépassant celui du chimpanzé. Le « menteur » couronné de succès est donc (comme presque toujours dans l’Histoire) l’herméneute d’un glissement de paradigme que le « menti » désire sans réussir à l’articuler. En d’autres termes, cette liberté (formelle, de l’âge démocratique) a pour destin de finir, en bout de parcours, par se percevoir elle-même (en tant que subissant la détermination « de l’inné ») comme une servitude dont il est souhaitable qu’une Grande Réinitialisation vienne le libérer en le libérant de l’humain. Ce paradoxe aussi, Kojève – le « maillon manquant » entre Hegel et Schwab – l’avait anticipé :
« c’est parce qu’il n’est pas réellement libre qu[e l’Esclave] a une idée de la Liberté, une idée non réalisée, mais qui peut être réalisée par la transformation consciente et volontaire de l’existence donnée, par l’abolition active de la Servitude. » (Ibid. p.206)
Par rapport à la perspective historique de Hegel telle que Kojève la reconstitue, certes, une sorte de « glissement » s’est produit : au lieu de prendre fin en 1806 devant Iéna par l’universalisation de l’État maçonnique, « l’histoire » (l’Occident) prend fin en mars 2020, presque simultanément dans toutes les villes occidentales, par l’abolition de facto des constitutions civiques que le mopping-up post-Iéna avait péniblement mises en place à travers tout le XIXe siècle, jusqu’aux Jeunes-Turcs et à la révolution de février 1917. Ce que Hegel a pris pour le début d’un hiver éternel de « satisfaction » (Befriedigung) historique n’était que le début d’un automne occidental destiné, lui aussi, à finir – encore plus vite que l’âge des absolutismes qui l’avait précédé.
De là à penser que cette Befriedigung du moment démocratique restait, en réalité, incomplète, ne pouvant donc pas être le dernier terme de la dialectique occidentale, il n’y a qu’un pas. Ce pas, je l’ai franchi dans Køvíd, équivalent épochal de la Phénoménologie de l’esprit.
La thèse occidentale, morte mais non encore dépassée, dans sa forme actuelle de transhumanisme réel, n’ayant pour l’instant pas d’alternative largement identifiée comme telle, le paysage idéologique, par ailleurs débarrassé des débris de la dialectique interne du moment démocratique (« droite » et « gauche ») organise autour de ce monopole une opposition de fortune, nécessairement constituée de formes arriérées d’adhésion à la thèse occidentale dans ses versions successives. Une droite pensant pouvoir réchauffer le cadavre du Deuxième Occident (« Ancien Régime ») tombe finalement toute cuite dans l’escarcelle de la Réinitialisation, pourvu qu’elle lui soit vendue par un VRP suffisamment rétro, à la V. Poutine : tendance pan-occidentale, dont la France offre juste une mise en abyme légèrement parodique, sous la forme de l’électorat de premier tour Reconquête/Manif pour tous s’écoulant, comme tous les fleuves de la bourgeoisie, dans un vote Macron de second tour. Et aussi une gauche, sincèrement arriérée dans la nostalgie de l’épisode démocratique. Des deux faire-valoir, c’est le second dont l’existence est la moins tolérable du point de vue des architectes de la domination réelle du projet occidental : « pire qu’un crime – une erreur ».
Avatars de l’au-delà
« la période post-révolutionnaire, étant post-chrétienne, est aussi post-religieuse en général »
Ibid., p. 230
Depuis mars 2020, la Befriedigung du moment démocratique est achevée, dans tous les sens du terme, un peu comme la séquence historique qui culmine en 1806 devant Iéna a achevé celle du Deuxième Occident. Bien entendu, cette culmination enfonce un clou qui pénétrait déjà depuis belle lurette la matière de l’Ancien Régime : le rationalisme cartésien mène aux Lumières, qui mènent à la Révolution, qui mène à l’Empire, c’est-à-dire à l’État bourgeois. Semblablement, la culmination de mars 2020 enfonce le clou d’une séquence courte qui, en gros, coïncide en Occident avec la vie de cette génération massive connue sous le nom de génération des boomers [3]. Avant de décapiter Louis XVI, les philosophes, jeunes, dénonçaient les horreurs de l’inquisition, s’épouvantaient (comme les boomers devenus vieux) de celles de l’islam, etc. Les boomers, jeunes, ont été les artisans, animateurs et consommateurs du New Age.
Le New Age – ou « retour du religieux » annoncé, voire recommandé, par des mages de la taille de Malraux – a constitué le premier signe majeur laissant penser que l’hypothèse hégélo-kojévienne de fin de l’histoire allait être mise à mal. Je fais ici allusion à cette hypothèse telle que la formule Kojève à la fin des années 1930 (et non à sa régurgitation/adaptation par des épigones médiocres après la chute de l’URSS). Moi-même, à l’âge de trente ans, connaissant encore mal Kojève, je pensais sincèrement, d’une part, que le mérite de cette idée revenait essentiellement à Fukuyama, et que, d’autre part, c’étaient les événements du 11 septembre 2001 qui l’avaient ébranlée. J’avais cinquante ans de retard dans les deux cas. Kojève voyait dans la guerre froide l’un des épisodes tardifs d’un mopping-up qu’il avait théorisé à la fin des années 1930 – on peut donc dire qu’il l’avait prévue dix ans à l’avance, sinon dans ses détails événementiels, du moins dans son sens essentiel. Au moment où les événements de 1968 donnent une visibilité mondiale au phénomène du New Age – entre autres –, de même, il y a déjà plus de dix ans que Kojève a théorisé une évolution qu’on peut considérer comme un modèle philosophique de la dérive New Age, et que lui avait nommée japonisation.
Or, détail des plus intéressants : en constatant la japonisation, Kojève a bien conscience d’ajouter pour le moins une concession (en réalité : un quasi-démenti) à ses propres thèses de l’avant-guerre. En effet, dans son cours des années 1930, en hégélien de stricte observance, décrit l’avènement (censé mettre un terme à l’histoire humaine) de l’âge démocratique comme une immanentisation du christianisme (thèse plus tard reprise par M. Gauchet), qui doit perdre son caractère religieux pour réaliser sur Terre son idéal émancipateur, et, si l’humanité dont accouche cet âge sort de l’histoire, c’est parce qu’elle retourne (pour ainsi dire « en mieux ») à l’animalité. Le modèle hégélien/kojévien reconnaît en effet le lien essentiel unissant religion et humanisation : pas d’humanité/d’histoire sans dieux. Par conséquent, en s’approchant (à partir, notamment de la crise des missiles de Cuba) du moment de convergence (finalement réalisé en 1991) des deux frères ennemis de la modernité progressiste, on doit en principe voir non seulement le religieux hérité (christianisme, etc.) finir sa lente extinction dans les cultures réformées par les Lumières, mais aussi et surtout : ce qui disparaît ne doit pas être remplacé. Aux cultures irrationnelles héritées (dans ma terminologie) des Premier et Deuxième Occidents doit succéder un mode de vie strictement utilitariste :
« D’après Hegel, dans l’État post-révolutionnaire, il sera donc tout aussi impossible d’écrire une tragédie ou de construire un bel édifice, qu’il y sera impossible de créer une Religion ou de faire une Philosophie de Bewusstsein. »
(Ibid., p. 235)
Et cet axiome prédictif n’est pas limité au seul Occident (lequel est de toute façon, tacitement, le monde tout entier du point de vue des hégéliens) :
« Au fond, dit Hegel, il n’y a […] qu’une seule Religion sur Terre. » (Ibid., p. 274)
« Et […] le Schicksal, le Destin de toute Théologie, de toute Religion, est en fin de compte l’athéisme. » (Ibid., p.251)1
Schwab et Malleret, idéologues besogneux qui recyclent des bribes de cette pensée dans la mesure exacte de leur utilité propagandistique à plus d’un demi-siècle de distance de leur date de péremption, en sont globalement – comme le plus gros de leurs générations de décisionnaires occidentaux, au demeurant – restés là : en-dehors de menus instants d’attendrissement sur la grandeur de Gaïa telle qu’elle se révèle au prophète-manager pendant ses balades dans la forêt suisse, « l’utopie » dystopique de la Grande Réinitialisation est une fiction censée illustrer grosso modo ce concept kojévien mis en circulation plus de huit décennies avant le Premier Confinement.
Avatars de l’avatar : c’est bientôt fini ?
Sauf que : caramba, encore raté ! En découvrant dans les années 1950 un Japon technologisé mais de facto non moins féodal pour autant d’un point de vue culturel, Kojève a l’intuition d’un virage qui sera plus tard largement confirmé par des évolutions moins marginales, observables même dans l’épicentre du processus occidental : Paris, Berlin, la Californie, etc. Au lieu de sea, sex & sun, on part en Inde attraper des mycoses dans des ashrams à eau froide : non seulement les religiosités périphériques de la sphère occidentale/occidentalisée résistent mieux que le christianisme au dépassement démocratique (même si l’existence que leur reconnaît Kojève est plutôt « esthétique » ou « formelle » [4]), mais les plus avancés des postchrétiens vont même se convertir à ces habitus étrangers (ou du moins, à la perception qu’eux parviennent à en développer). Il y a, dans la fin de l’histoire, quelque chose qui ne veut pas finir.
Kojève ne se dégonfle pas pour autant, et, au lieu d’entrer dans un déni de réalité [5] et/ou de remettre en cause les bases mêmes de sa philosophie, ce futur négociateur des accords du GATT produit son hypothèse sur la japonisation, comme conservation formelle [6] de ce que la modernité est censée avoir dépassé. Sachant que le dépassement hégélien est aussi une forme de conservation – mais une forme, en l’occurrence, débordée par la réalité de la « japonisation ».
Et si ces deux constats n’en faisaient qu’un ? Si, 214 ans après Iéna, il « faut » organiser un Køvíd, c’est que la Befriedigung du moment démocratique n’a pas vraiment tenu ses promesses (d’où le populisme). Et, comme par hasard, l’athéisme d’État, de façon parfaitement parallèle, ne les a pas tenues non plus (d’où le New Age). La liberté civique passe à la poubelle, et les saints « laïcs » de Davos (la pucelle inspirée Greta et le martyr coké Volodymyr), tout comme ceux de Moscou et de Marioupol, intéressent de plus en plus une opinion par ailleurs de moins en moins friande « d’experts », de « conseils scientifiques » et… de « science ».
La question épochale est donc : l’hypothèse de la japonisation va-t-elle tenir le coup ? En d’autres termes : le déroulé de l’histoire (horribili dictu) en cours va-t-il ou non avérer le caractère « formel » de ladite japonisation, c’est-à-dire, pour l’essentiel : son innocuité du point de vue de la « stabilisation » de l’humanité dans une posthistoire conservant les acquis de la modernité occidentale ?