Quelle évolution a connu le catholicisme depuis la démission de Benoît XVI et l’élection du pape François ? Alors que la célébrité du premier Pontife sud-américain fait rage chez les non-catholiques, derrière le respect envers sa fonction pas mal de fidèles de l’Église romaine vivent un malaise caché pour une stratégie qui pourrait changer la forme et le contenu de leur credo.
À première vue la grande popularité du pape François auprès de l’opinion publique internationale semble l’affirmation d’un principe essentiel du catholicisme, qui fonde sa structure ecclésiastique sur la primauté juridique du pape sur les autres évêques. En réalité, il se passe exactement le contraire : depuis son élection comme pontife romain Jorge Mario Bergoglio est devenu très populaire non pas pour son action doctrinaire et de gouvernement en qualité de pape, mais bien à cause de la médiatisation de sa personne et de la sensation qu’il donne d’être différent par rapport à tous ses prédécesseurs. Derrière la vénération pour la personne de François se cache donc un affaiblissement de la papauté comme institution.
Si l’on analyse les questions relatives à l’Église catholique au-delà de la foi, c’est-à-dire au-delà du propre du christianisme, si l’on étudie l’Église tout simplement comme une importante institution internationale, il est hors de doute que le style de Jorge Mario Bergoglio a momentanément augmenté la popularité du catholicisme. La volonté de relancer l’image du catholicisme auprès de non-catholiques en ce moment semble l’emporter sur les questions internes et sur les principes moraux. Néanmoins, sur la longue durée ce seront justement ces questions et ses principes qui décideront le sort du catholicisme.
Sur le plan doctrinaire, la « révolution » du pape François apparaît bien significative. Premièrement, il s’agit d’un changement de modes et de conduite extérieure : dans la mimique de ses gestes, dans son langage simple et élémentaire, tout semble contribuer à une désacralisation de la fonction pontificale qui plaît beaucoup aux adversaires du christianisme dans la mesure où cela donne l’impression que le pape, c’est quelqu’un comme tout le monde, presque une espèce de grand-père sympathique et affable. Deuxièmement, on observe une échelle de priorités dans ses interventions publiques qui après un an et demi ne peut plus être jugée aléatoire. Le pape François insiste bien souvent sur des thèmes qui ne sont pas spécifiquement liés à la foi, à la morale, aux mœurs. Au cœur de ses discours il y a souvent l’immigration, la critique du capitalisme, le respect pour l’environnement, les questions proprement religieuses restant en quelque sorte périphériques et subordonnées à un message de concorde civile et humanitaire. Bergoglio n’a jamais renié clairement aucun dogme ou principe catholique : sa « révolution » consiste plutôt à prononcer des propos ambigus ou bien à tolérer des pratiques hétérodoxes sans les approuver ouvertement.
L’exemple le plus frappant de sa stratégie communicative est sans aucun doute la célèbre proposition « Qui suis-je pour juger ? », utilisée par les progressistes pour justifier l’approbation de toute transgression. Le pape François voulait-il « libéraliser » des actes considérés jusqu’à présent contraires à la loi naturelle ? Ou bien entendait-il seulement rappeler que personne hors de Dieu ne peut juger la conscience de chacun, les actes restant toutefois bons ou mauvais en eux-mêmes ? On dirait qu’il préfère rester sciemment ambigu, en s’éloignant du style des papes du passé tout comme de l’exhortation du Christ à l’égard de la transmission de la doctrine : « Que votre parole soit oui, oui, non, non ; ce qu’on y ajoute vient du malin » (Mt 5.38). Les appels à la nécessité d’une Église « pauvre, pour les pauvres » sont aussi très révélateurs. Comme les abus du clergé sont très choquants auprès de l’opinion publique, qu’est-ce qu’il y de plus médiatique du fait que le chef de l’Église réclame une pauvreté généralisée ? Il ne faut pas être un génie pour remarquer la rhétorique d’un tel propos. C’est bien louable de condamner les richesses personnelles du clergé, mais si l’Église comme institution devenait en soi « pauvre » et donc sans ressources, comment pourrait-elle aider les déshérités du monde et s’engager à combattre la pauvreté ? Ce genre de propositions donnent bien l’image fausse d’un pape extraordinaire parmi des « collègues » ecclésiastiques totalement corrompus.
La médiatisation de la figure personnelle du pape François a aussi l’effet de cacher les problèmes à l’intérieur du catholicisme qui restent énormes. Dans l’Église catholique il existe aujourd’hui une fragmentation presque incroyable, avec tellement de groupuscules qui soutiennent des positions incompatibles les uns avec les autres et surtout en contraste avec la foi catholique traditionnelle elle-même. Certains vaticanistes parlent déjà de l’existence de plusieurs églises à l’intérieur de l’Eglise catholique : il suffit d’aller voir les différences, par exemple, entre l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, une société apostolique de forme canoniale très répandue en France et assez fidèle à la tradition catholique, et les pratiques du Chemin néocatéchuménal, un groupe reconnu par les hiérarchies vaticanes que certains experts qualifient toutefois de secte extrémiste protestante. Le gouvernement du pape François semble bien privilégier les réalités les plus progressistes, celles qui ne s’opposent pas avec force à la déchristianisation de la société, à l’imposition de la théorie du genre, des thèmes sur lesquels le silence réticent de la hiérarchie vaticane devient de plus en plus assourdissant.
Aussi sur le plan du gouvernement de l’Église y a-t-il des procédés assez douteux. Par exemple, depuis juillet 2013 le catholicisme vit un grand secouement à son intérieur, peu connu par l’opinion publique internationale mais bien étudié par les spécialistes. Celui qui était peut-être le meilleur institut religieux de toute l’Église catholique, la congrégation des Franciscains de l’Immaculée, a été bouleversé par des mesures de la part des hiérarchies vaticanes. Dans un contexte historique où le clergé catholique fait le beau et le mauvais temps, pendant des décennies les frères et les sœurs de cet institut n’ont jamais été touchés par des scandales financiers ou sexuels. Ils se sont répandus partout dans le monde, ils ont conquis la confiance des fidèles, ils ont toujours vécu dans une ambiance d’austérité, de prière, de pratique religieuse. Certains d’entre eux sont devenus des brillants théologiens aussi. À partir de juillet 2013 l’ancien fondateur a été exilé, la plupart des frères ont été mutés des grandes diocèses vers des petites églises, leurs publications ont cessé, les ordinations sacerdotales des prêtres ont été suspendues, le séminaire de l’institut est en crise. Quels crimes ont commis ces religieux pour que les autorités vaticanes procèdent à un tel démantèlement ? Suite à la dénonciation d’une minorité de frères, il semble que l’esprit de l’institut soit devenu trop « conservateur » pendant le Pontificat de Benoît XVI, avec la promotion de la liturgie traditionnelle en latin et l’organisation de colloques modérément critiques sur l’histoire du Concile Vatican II. Rien plus que cela. Cette conduite autoritaire dans la résolution d’une petite incompréhension interne est justement à l’opposé des appels à la miséricorde que le pape aime répéter en toute occasion. Le but, c’est peut-être d’affaiblir les composantes de l’Église qui vivent vraiment dans la pauvreté et consacrent leur vie à la prière, à l’approfondissement de la foi et au salut des âmes.
D’autres mesures contestables concernent le sommet de l’Église. Le Cardinal Raymond Leo Burke, préfet du tribunal suprême de la signature apostolique, est l’un des plus renommés archevêques de l’Église romaine, un homme de haute culture et de réputation exemplaire, très apprécié par les simples fidèles et les milieux académiques. Selon certaines sources, il serait sur le point d’être déclassé à la fonction purement honorifique de chef d’un ordre chevaleresque. Sa faute serait là aussi un excès de « traditionalisme » : Burke a toujours pris des positions claires contre la politique antichrétienne du gouvernement Obama, en participant toujours à des événements publics contre l’avortement et en prenant position contre les théories progressistes du cardinal Kasper.
Certes, il y a aussi des éléments positifs qui ont caractérisé la première année de ce pontificat. La politique étrangère du Saint-Siège, par exemple, est devenue grâce au pape François plus influente : ses prise des positions contre la menace étasunienne de guerre à la Syrie, sa conduite sage et équilibrée par rapport à l’Ukraine, de même que la lettre qu’il a envoyée en 2013 au président Poutine pour le G-20, ont été guidés par le bon sens. Le meilleur résultat du travail diplomatique du Vatican sous le pape François est sans aucun doute la « désoccidentalisation » du catholicisme. Souvent, l’Église catholique a été perçue comme le soutien idéologique aux intérêts de la puissance géopolitique euro-américaine (c’est une opinion très répandu surtout chez les chrétiens orthodoxes). On peut évaluer positivement l’éloignement du Vatican de cette perspective, qui pourrait en principe donner la chance d’un positionnement géopolitique adéquat aux problèmes futurs. En même temps, beaucoup de questions restent ouvertes. L’Église catholique n’est pas la personne de Jorge Mario Bergoglio, qui ira terminer son existence comme tout être humain. Ce ne sera pas à sa popularité de revitaliser la religion catholique. Le pape François lui-même, dans sa première homélie en 2013, avait affirmé que l’Eglise ne peut jamais se transformer dans une ONG « philanthropique et charitable », ce qui parfois semble être son destin inéluctable. Le catholicisme pourra au contraire survivre dans la mesure où il sera capable d’offrir une perspective alternative aux modèles dominants, d’expliquer la destination métaphasique de la vie humaine dans un monde qui désormais a mis Dieu à l’écart.
Dario Citati