Depuis quelques années, des consommateurs et des producteurs désireux de court-circuiter les réseaux de distribution alimentaire classiques, lesquels regroupent de nombreux intermédiaires (courtiers, grossistes, emballeurs, commerçants...) qui prennent leur marge sur toutes les transactions, s’unissent autour de projets associatifs pour organiser des réseaux de distribution plus équitables pour les deux parties.
Ainsi dans la droite ligne des « Teikeis » au Japon, des « Community supported agriculture » en Amérique du Nord, des « Jardins de Cocagne » en Suisse, des GASAP en Belgique, ou encore des GAS en Italie... sont apparus en France des points de vente directe tels que ceux organisés par les Associations de maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) ou encore par les associations des marchés paysans... Ces collectifs auto-gérés ont pour but de garantir, d’une part un juste prix aux producteurs qui échappent ainsi aux dictats des centrales d’achat, et d’autre part une véritable traçabilité et la fraîcheur des produits aux acheteurs.
Ce marché de niches ne pouvait pas longtemps échapper à la voracité de la Loi du marché. Fin 2010, une start-up : « Equanum », dont le nom commercial « La Ruche qui dit Oui ! » fleure bon la ruralité, a entrepris d’y planter ses griffes. Ses entrepreneurs parisiens sont issus des grandes écoles et ses investisseurs viennent de la galaxie du web.
« La Ruche qui dit Oui ! » est une plate-forme Internet de vente de « produits alimentaires fermiers ». Ses fondateurs se sont inspirés de la méthode commerciale « Tupperware » ainsi que de celle de la commande en ligne des grandes surfaces.
Le concept : un particulier doit créer un réseau de fournisseurs et de consommateurs en démarchant les producteurs et artisans de sa région et en sollicitant ses connaissances et voisinage, ainsi que trouver un local nommé « la ruche », pour réceptionner et distribuer la marchandise. Les fournisseurs doivent être présents lors des distributions pour présenter leurs produits mais s’engagent à ne pas faire de vente directe (le jour même). Les consommateurs deviennent des abeilles en s’inscrivant sur le site et en butinant les produits proposés.
« La Ruche qui dit Oui ! », qui promeut « une agriculture fermière et un système de vente directe pour une alimentation de qualité et une juste rémunération des producteurs », vante dans sa rhétorique bien rodée : le local, le saisonnier, le bio, les produits fermiers... Dans les faits, le local peut s’étendre sur un rayon de 250 km, les produits ne sont pas exclusivement bio, les fournisseurs également des transformateurs et les produits pas toujours alimentaires...
« La Ruche qui dit Oui ! » prétend fonctionner sur un système de vente en circuits courts, donc sans intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Mais peut-on arguer de circuit-court quand il y a trois intermédiaires qui empochent chacun leur part sur les transactions : le gérant/auto-entrepreneur de la Ruche, la société « Equanum » dite la « Ruche Mama » et la société « Tunz SA » qui gère le paiement en ligne ?
Au final 83,3 % des sommes perçues reviennent aux approvisionneurs et 16,7 % partent en frais de services, lesquels ont déjà augmenté depuis la création de l’entreprise et ne peuvent que mécaniquement impacter les prix proposés aux acheteurs ou le prix payé au fournisseur. Dans les AMAP, dont l’organisation de la distribution est gérée bénévolement et à tour de rôle, 100 % du prix de vente revient au fermier.
Le chiffre d’affaires, 9 304 199 euros en 2013, est en constante progression. 20 à 50 nouvelles ruches ouvrent par mois attirant des particuliers recherchant un complément de revenu si ce n’est un revenu tout court ! 27 000 000 d’euros de chiffre d’affaires est prévu en 2014, 80 000 000 d’euros espéré en 2015. Pour l’atteindre, des filiales européennes sont en projet.
Plus nombreuses seront les ruches et les abeilles, plus la « Ruche Mama » amassera de miel !
Nous sommes loin des valeurs sociales et solidaires des associations auxquelles cette entreprise a habilement associé son image grâce à une stratégie de communication abondamment relayée dans les médias.
Présentation de « La Ruche qui dit Oui ! » (.pdf)