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Al-Zaïdi : un symbole de la résistance anti-américaine

Mardi 8 décembre, le Club 44 recevait un invité de marque : Muntader Al-Zaïdi, journaliste irakien devenu célèbre dans le monde entier pour avoir osé, lors d’une conférence de presse de l’ancien président George Bush en Irak, lancer sur celui-ci une de ses chaussures en signe de protestation.

S’en étaient ensuivis plusieurs mois de prison, dont trois d’isolement complet, et de nombreuses tortures, avant sa libération et son départ pour la Suisse, où le journaliste réside pour quelques mois, le temps de mettre sur pied une fondation en faveur des veuves et des orphelins de guerre, l’Al-Zaïdi Foundation.

Après avoir remercié la Suisse de l’avoir accueilli – « La Suisse, nation du monde libre » a-t-il précisé, rappelant que notre pays n’avait pas pris part à la croisade américaine en Orient – Al-Zaïdi a tenté de nous décrire la situation actuelle du peuple en Irak, la terreur qui y règne, l’insécurité permanente, l’écrasement physique et moral des habitants sous la botte de l’occupant. Contenant avec peine son émotion, il a évoqué devant nous les passants écrasés par les hammers et les jeeps de l’armée US, les gamins de sept ans tirés dans la rue à bout portant par les snipers américains, les viols en série, l’inquiétude des parents lorsque leurs enfants sont sur le chemin de l’école, la pénurie de tous les biens de consommation (y compris le pétrole, ce qui est un comble !), la corruption généralisée des partis au pouvoir (plusieurs dizaines de milliards de dollars !), tous sous contrôle de l’envahisseur, l’humiliation quotidienne de tout un peuple sous le joug de l’étranger.

L’engagement d’Al-Zaïdi en faveur de la paix ne date pas d’hier. Journaliste depuis plusieurs années pour la télévision, ses ennuis ont vraiment commencé le jour où il a réalisé un reportage sur le cas d’une femme violée par des GIs. Quelques heures après avoir rendu sa vidéo, il apprend qu’elle sera censurée et il est kidnappé par des agents américains qui le séquestrent plusieurs jours, le frappent et le menacent de mort. Rendu à la liberté, il décide pourtant de ne pas se laisser intimider et continue, tant que faire se peut, de faire son travail d’information avec sérieux, quitte à voir sa sécurité devenir de plus en plus compromise. Puis vient ce fameux jour de l’“attentat” à la chaussure. « Toutes les informations que vous avez pu obtenir sur la situation en Irak, nous explique-t-il, sont les informations que les Américains veuillent que vous receviez. On a fait croire au monde que l’armée US a été accueillie par notre peuple comme une armée de libérateurs, que nous l’avons reçue avec des roses. Si j’ai lancé ma chaussure contre Bush, c’était pour montrer au monde que non, personne ne le recevait avec des roses ici ! » Il précise le sens de ce symbole : « J’ai répondu à leur agression par une chaussure, parce que ce sont des chaussures qui nous écrasent tous les jours, parce que c’est sur leurs chaussures qu’on trouve le sang de nos concitoyens. »

L’Irak d’aujourd’hui, nous rappelle-t-il, c’est plus d’un million de martyrs, plus d’un million de veuves et plus de cinq millions d’orphelins. « En ce 9 décembre, pendant que nous parlons, ont eu lieu plusieurs attentats, plusieurs agressions, une centaine de morts rien que pour ce mardi. » L’Irak occupée, ce sont aussi des destructions matérielles incommensurables, des écoles fermées et un recul historique du niveau général d’instruction de la jeunesse, des dizaines de milliers de prisonniers détenus sans chef d’accusation. Al-Zaïdi a subi le sort de ces prisonniers : on l’a bastonné à coups de barres de fer et de câbles électriques, on l’a forcé à rester dans l’eau glacée en plein mois de janvier, on lui a fissuré le crâne, brisé les dents et le dos – et quant aux autres tortures subies, par pudeur, il préfère ne pas les évoquer devant nous. Aujourd’hui à peu près remis de ses blessures, il est toujours suivi médicalement et avoue, même hors d’Irak, vivre dans une menace permanente – bien qu’il précise qu’en Suisse, il n’a pour le moment rencontré aucun problème. Il ne souhaite toutefois pas demander l’asile politique chez nous : son but, coûte que coûte, est de retourner dans sa patrie pour œuvrer pour la paix et pour mener la lutte contre l’occupant ; il dit être prêt à offrir sa vie pour cette cause. « Il y a deux types de journalistes en Irak : les collaborateurs et les résistants. Je fais partie des premiers. »

S’en est suivie une petite partie de questions-réponses avec le public – j’en retranscris ci-dessous les plus intéressantes :

Pensez-vous que l’arrivée au pouvoir de Barak Obama puisse représenter un espoir pour le peuple irakien ?

« Jamais un homme politique n’aura autant parlé de paix sans faire quoi que ce soit dans ce sens. Ceux qui lui ont remis le Prix Nobel de la paix ont fait une grosse erreur ! Entre Bush et Obama, il n’y a pas de rupture, c’est une permanence. Mais il est vrai qu’Obama n’est que le fonctionnaire d’une plus grosse machine et qu’on ne peut pas demander à un simple fonctionnaire d’outrepasser ses fonctions… »

Si les Américains quittent l’Irak, ne risque-t-on pas de voir la guerre civile se radicaliser entre communautés, en l’absence d’ennemi commun ?

« C’est un argument fallacieux qui a été largement propagé par les médias aux ordres. Il n’y a pas de “communautés” en Irak : il y a des sunnites, des chiites, des kurdes, des chrétiens, des gens qui pratiquent des religions différentes mais qui ne se regroupent pas en fonction de leur foi et qui vivent très bien intégrés les uns avec les autres. Les mariages entre les uns et les autres sont monnaie courante et, pour tout dire, on parle rarement de religion au quotidien. Certaines de ces religions ont cohabité sur notre territoire depuis des millénaires, nous n’avons tout de même pas toujours été en guerre ! Ceux qui, aujourd’hui, commettent des attentats et tentent en vain de répandre la guerre civile inter-communautaire ne sont pas des gens du peuple, ce sont des milices fanatisées ; ces dernières sont, directement ou indirectement, encouragées par le pouvoir américain qui souhaite développer le communautarisme pour nous affaiblir. »

Mais auriez-vous pu vous débarrasser de Saddam Hussein sans l’intervention militaire américaine ?

« Je ne répondrai qu’une chose : ce n’est pas parce qu’on a une épine dans l’œil qu’il faut se laisser énucléer. »

Quels seront les projets concrets que va lancer votre fondation ?

« Nous ne souhaitons pas faire du simple humanitaire, nous souhaitons intégrer les victimes de la guerre à ce travail de pacification. Par exemple, nous allons réunir des veuves pour fabriquer des objets et des jouets pour les orphelins d’Irak, et nous les ferons distribuer par des handicapés et des blessés de guerre. Comme le dit le proverbe chinois, nous ne désirons pas donner seulement un poisson à nos frères, nous voulons leur apprendre à pêcher. »

Que pensez-vous du récent vote en Suisse concernant les minarets ?

« Je ne connais pas très bien le paysage politique suisse. Mais je pense que vous devez faire confiance à votre démocratie : le peuple se trompe rarement sur ses intérêts. Votre modèle est exemplaire, je rêve de le voir un jour faire sa place en Irak. Nous sommes pour l’instant gouvernés par des collaborateurs. Peu m’importe que notre chef soit sunnite ou chiite, je ne désire qu’une chose : qu’il soit un nationaliste irakien ! Lorsque le soleil se lèvera enfin à nouveau sur ma patrie, lorsque l’occupant repartira, tous ceux qui se sont agglutinés autour de lui comme de la cire, tous ceux-là fondront car ils ne seront plus rien sans l’occupant. Le salut de mon pays ne viendra pas d’un prince sur un cheval blanc, c’est tout un peuple qui doit se lever ! Et demain, peut-être, la démocratie… »

Pour Unité Populaire, David L’Epée