Les héros sont rares ; ils sont à la fois tragiques et inspirants. Zakaria Zubeidi, 45 ans, de Jénine en Palestine, est un héros dans la vie réelle. Homme de tête et de muscle, d’épée et de harpe, il était commandant des Brigades al Aqsa et directeur du Théâtre de la Liberté. Il y a quelques années, le Sunday Times l’avait qualifié comme « l’un des ennemis les plus recherchés et les plus implacables d’Israël ». Tel un chat doté de neuf vies, il a survécu à de nombreuses tentatives d’assassinat israéliennes ; il est entré et sorti de prison à de nombreuses reprises ; il avait reçu sa première balle israélienne à 13 ans ; et assisté à la première de son premier film à 14 ans.
Il y a quelques jours, il a organisé une audacieuse évasion de la prison de haute sécurité d’Israël, avec cinq autres condamnés. Ils ont creusé un tunnel de 20 mètres de long avec leurs cuillères, comme le comte de Monte Cristo, et sont sortis hors des murs, en se faufilant par un étroit canal de communication. Cet exploit courageux, voire impossible, a donné du courage à tous les Palestiniens captifs et leur a donné un second souffle alors qu’ils étaient épuisés et désespérés. Les habitants de Terre Sainte et la grande diaspora palestinienne ont retenu leur souffle après leur évasion et ont prié pour qu’ils soient en sécurité.
Il est normal que les humains éprouvent de l’empathie pour les fugitifs, plutôt que pour les poursuivants. Les jeunes lecteurs de La Case de l’oncle Tom ont ainsi suivi le destin d’Elisa, traînant son enfant avec elle, traversant la rivière Ohio gelée pour passer de l’esclavage à la liberté, échappant aux chiens meurtriers et aux chasseurs d’esclaves. Hélas, Zakaria n’a jamais atteint la rive sûre. Dans le Dixie des années 1830, des Blancs courageux et nobles abritaient les esclaves noirs en fuite. Des Allemands et des Russes, des Polonais et des Français donnaient refuge aux juifs qui s’échappaient des camps. En Israël 2021, pas un seul juif n’a offert aux fugitifs de l’eau ou du pain, ni aidé un Palestinien en fuite ; tous ceux qui les ont vus ont immédiatement informé la police, ont déclaré les autorités. En quelques jours, quatre prisonniers affamés ont été traqués, battus et ramenés en prison ; deux sont toujours en fuite.
J’ai vu aux informations de la télévision israélienne quatre prisonniers enchaînés dans le tribunal. Zakaria a été sévèrement battu. Ses ravisseurs lui ont cassé les côtes et la mâchoire, alors qu’il était déjà menotté. Son visage était émacié, sinistre et sévère comme celui d’un Christ souffrant devant le tribunal véreux du Synédrion. C’était un triste spectacle, le retour du héros dans les sombres oubliettes de l’État juif. Mais il était né et avait grandi sous l’occupation. Son histoire est celle de la génération bernée qui s’est manifestée avec force après la grande trahison.
En 1993, l’État d’Israël et l’OLP signent les accords d’Oslo ; cet accord certifié par une poignée de main sur la pelouse de la Maison-Blanche promet aux Palestiniens une indépendance totale après cinq ans de transition. Les juifs ont renié l’accord. Si, individuellement, les juifs peuvent être honnêtes et honorables, en tant que collectivité, ils sont généralement extrêmement indignes de confiance. Cela vient d’un complexe de supériorité juif, d’un refus d’obéir aux règles établies pour les espèces inférieures, et du sentiment qu’ils peuvent faire tout ce qui leur chante. Le fair-play n’est pas du tout une idée juive.
Les Palestiniens, escroqués par Israël, n’avaient personne vers qui se tourner ; ils ont répondu en lançant la deuxième Intifada, le soulèvement qui a eu lieu en 2000. Ce fut l’événement charnière pour la génération de Zakaria ; pour moi aussi. J’ai été radicalisé par l’Intifada, par la malhonnêteté et la cruauté de l’État juif, et par le courage des résistants palestiniens. En 2001, j’ai commencé à écrire en anglais à l’intention d’un public international ; l’année suivante, en 2002, je suis entré dans l’Église.
Les juifs se sont eux aussi radicalisés : le soutien des juifs américains au récit officiel du 11 Septembre et à la guerre contre le terrorisme ne peut être compris en dehors de ce contexte : les accords d’Oslo, le reniement des accords d’Oslo, l’Intifada et le 11 Septembre sont les maillons d’une même chaîne. Avant le 11 Septembre, les juifs étaient conspués pour avoir bafoué les accords d’Oslo et pour la répression sanglante de l’Intifada. Après le 11 Septembre, ils ont pu écraser les Palestiniens de tout leur poids. Pour les jeunes hommes comme Zakaria, la survie même devenait problématique.
Zakaria mériterait un Plutarque pour raconter sa vie, mais je vais faire ce que je peux, en attendant qu’un Plutarque se présente. Zakaria est né et a grandi dans le camp de réfugiés de Jénine, un endroit où les Palestiniens expulsés du Carmel de Haïfa ont été rassemblés en 1948 par les juifs victorieux. Son père était professeur d’anglais ; il est mort assez jeune, laissant derrière lui une veuve et leurs huit enfants.
Zakaria a 11 ans lorsque la première Intifada commence. Il s’agit d’une protestation spontanée, provoquée par le bouclage des terres palestiniennes communes et leur transfert à des colons juifs. Ce faisant, des avocats juifs, principalement des femmes d’obédience libérale, appliquaient l’idée anglaise du 16ème siècle de « l’enclosure des terres communales » et ils ont revendiqué toutes les terres communes comme appartenant désormais uniquement aux juifs. En Angleterre, cette politique avait provoqué une grande vague d’émeutes contre les enclosures, et il en alla de même en Palestine. En réponse à l’accaparement des terres par les juifs, des paysans sans armes ramassaient des cailloux à leurs pieds et les jetaient sur les voitures des colons juifs. Les juifs ont répondu par le feu. Des centaines de Palestiniens non armés ont été tués par balles. Ce sont les enfants qui ont le plus souffert.
Des garçons comme Zakaria vivaient dangereusement dans le camp. L’armée israélienne traitait les camps de réfugiés comme leur terrain de chasse. Ils arrivaient en Jeep et tiraient partout, terrorisant les enfants et les adultes. Chris Hedges, du New York Times, a décrit leur modus operandi dans son « Journal de Gaza », publié dans le Harper’s Magazine :
« Le camp de réfugiés... est calme et paisible. Les enfants jouent avec des cerfs-volants en papier et des ballons de football en lambeaux. Soudain, deux Jeep des FDI équipées de haut-parleurs s’arrêtent. Ils narguent immédiatement les garçons avec des obscénités, les attirant vers la clôture. Puis une grenade à percussion explose. Les garçons, dont la plupart n’ont pas plus de 10 ou 11 ans, se dispersent, courant maladroitement sur le sable lourd. Ils dévalent, pour se mettre hors de vue derrière un banc de sable en face de moi... Les soldats tirent ; les balles des M-16 sifflent, bout à bout, à travers les corps légers des enfants. Des enfants ont été abattus dans d’autres conflits que j’ai couverts, mais je n’avais encore jamais vu des soldats attirer des enfants comme des souris dans un piège et les tuer pour le sport. »
Au lieu de se laisser intimider, les garçons du camp comme Zakaria ont pris le danger à bras le corps. Les plus téméraires lançaient des pierres sur les jeeps envahissantes, comme Farris Odeh, ce garçon de 13 ans. Farris était le jeune Palestinien que nous avons vu jeter des pierres sur les chars israéliens avec la nonchalance d’un villageois chassant un chien enragé. C’était un jeu dangereux : la célèbre photo de Farris a été prise le 29 octobre, et une semaine plus tard, le 8 novembre, un sniper juif l’a assassiné de sang-froid.
Dans des circonstances similaires, Zakaria, 13 ans, avait été touché par un soldat juif. La balle est entrée dans sa jambe ; il a passé six mois à l’hôpital et a subi de multiples opérations. Il en est resté boiteux jusqu’à ce jour. Le soldat n’a jamais été jugé ou puni pour avoir tiré sur un enfant, mais un soldat juif n’est pratiquement jamais jugé ou puni pour avoir blessé ou tué un enfant palestinien, et il y a des milliers d’enfants qui ont été assassinés.
Pendant que Zakaria se rétablissait, sa mère (qui croyait fermement à la coexistence pacifique avec les juifs israéliens) a invité une nouvelle compagnie de théâtre à faire des répétitions chez elle. Elle leur a donné l’étage supérieur de leur maison, les a nourris et les a aidés. Il s’agissait d’un théâtre pour enfants, joué par des enfants du camp et pour des enfants du camp, le tout organisé par une personne inhabituelle, Arna Mer. Cette dame juive communiste a « trahi son peuple » (comme disaient bien des juifs) et épousé un Arabe, un Arabe palestinien chrétien orthodoxe, également communiste, et même membre éminent du Parti communiste. Ils avaient appelé leur fils Spoutnik, en signe de leur amour pour l’Union soviétique, phare de ces mouvements de libération. Spoutnik finit par trouver son nom trop exotique et le change en Juliano Mer. Il devient l’ami de Zakaria. Ensemble, ils jouaient sur scène ; la troupe était composée de six ou huit enfants. Le théâtre s’appelait le Stone Theatre, le « théâtre de (la) pierre ». C’était vers 1988-89, au plus fort de la première Intifada, le soulèvement qui avait convaincu Israël de chercher un compromis et de conclure les accords d’Oslo avec les dirigeants palestiniens.
Des années plus tard, Juliano Mer a réalisé un film intitulé Les enfants d’Arna, basé sur leurs souvenirs et des archives vidéo. Il s’est avéré que la majorité des jeunes acteurs avaient déjà été tués par des juifs à cette époque. La mère de Zakaria a également été tuée par un sniper juif, qui a tiré à travers la fenêtre, alors qu’elle était chez elle, à la maison. Une heure plus tard, le même sniper a tiré sur son fils aîné et l’a tué. Leur maison, qui avait servi de siège au Stone Theatre, a été rasée au bulldozer avec de nombreuses autres maisons de Jénine.
Jénine a été le théâtre d’un assaut juif contre les Palestiniens en 2002. Récemment, le tribunal israélien a interdit le film Jenin, Jenin, qui relate ces événements fatidiques, mais vous pouvez toujours le retrouver sur YouTube. Zakaria était un grand combattant ; il est devenu le commandant de la brigade Al Aqsa de Jénine. Il a survécu à quatre tentatives d’assassinat par les Israéliens : en 2004, ils ont assassiné cinq Palestiniens, dont un enfant de 14 ans, en ciblant un véhicule soupçonné de transporter Zakaria. À une autre occasion, ils ont tué neuf Palestiniens, mais Zakaria en a réchappé.
Zakaria est devenu très connu et respecté en Cisjordanie et même en Israël. Yasser Arafat s’est lié d’amitié avec lui et il a soutenu l’élection de Mahmud Abbas, le successeur d’Arafat. Une Israélienne, Tali Fahima, est venue à Jénine pour soutenir Zakaria et lui servir de bouclier humain. Israël l’a arrêtée en 2004 et elle a passé trois ans en prison pour « aide à une organisation terroriste ». Après sa libération, elle s’est convertie à l’islam, totalement désabusée par le soutien juif massif aux actions punitives sanglantes contre les Palestiniens. Zakaria, qui parlait parfaitement l’hébreu et avait de nombreux amis israéliens, a également été déçu par la gauche juive israélienne. Personne ne l’a défendu pendant ces années terribles, malgré tous les efforts de sa défunte mère pour établir des relations avec les Israéliens.
Toujours est-il que le soulèvement a été vaincu. Et Zakaria a poursuivi sa lutte par d’autres moyens, en créant, avec Juliano Mer, son ami d’enfance, une nouvelle compagnie de théâtre plus importante, le Freedom Theatre of Jenin [1]. Cette compagnie existe toujours, et prospère même, bien que Zakaria soit maintenant en prison et que Juliano Mer ait été tué par des assassins inconnus. En 2007, Zakaria a accepté l’amnistie offerte par les Israéliens aux combattants du Fatah. Il a respecté les conditions de l’amnistie, qui lui interdisaient de quitter Jénine, mais cela ne lui a servi de rien : quelques années plus tard, Israël a annulé l’amnistie. En 2019, Zakaria a été rattrapé et envoyé en prison à vie.
Il allait pourrir en prison comme les autres prisonniers, et un Palestinien sur deux de sa génération avait été dans une prison israélienne pendant une partie de sa vie. Mais l’audacieuse évasion a ramené son nom à notre conscience. Il a ramené l’espoir dans le cœur des Palestiniens et de leurs amis, mais hélas, pour une courte durée.
Cela s’est produit exactement vingt ans après le 11 Septembre, l’événement qui a donné aux juifs le pouvoir d’écraser la résistance palestinienne. Aujourd’hui, les juifs peuvent faire ce qu’ils veulent avec leurs goyim captifs. Les gens n’ont même pas le droit de s’y opposer. Lors des récents Jeux olympiques de Tokyo, un judoka algérien, Fethi Nourine, a refusé de faire équipe avec un sportif israélien, affirmant que son soutien à la cause palestinienne l’empêchait de concourir contre un Israélien. La Fédération internationale de judo a rapidement suspendu le courageux algérien pour dix ans.
Dans le discours, les juifs occupent une position inattaquable, et quiconque s’y oppose se retrouve sans emploi et fustigé comme « fanatique ». Chaque fois que je publie un article sur la Palestine, Zuckerberg de Facebook me bannit pour une semaine. Jamais la domination juive n’a été aussi complète. Avant le 11 Septembre, la droite, en Occident, était traditionnellement anti-juive. Aujourd’hui, la droite nationaliste européenne et américaine accepte les règles du jeu. Il est difficile de trouver un « fasciste » ou un « nationaliste blanc » qui ne vénère pas Israël. La « gauche » juive en Israël soutient avidement l’actuel Premier ministre israélien, M. Bennett, qui est le juif le plus énergiquement chauvin qui ait jamais occupé ce poste ; et M. Bennett dit ouvertement que les Palestiniens ne seront jamais libres.
Et nous aussi, nous avons perdu notre liberté. La liberté de parcourir la terre, la liberté d’avoir et d’exprimer notre opinion. La liberté de refuser un traitement « médical » douteux. Ce que le 11 Septembre a commencé, le Coronacircus l’a terminé. Nous sommes tous des Palestiniens maintenant.
Cependant, en regardant le visage sévère et christique de Zakaria Zubeidi dans la salle d’audience, je me disais que malgré tous les efforts du Synedrion, le Christ souffrant et crucifié est revenu à la vie. Il en sera de même pour la Palestine. Ainsi que pour le monde entier. La résurrection est aussi inévitable que la mort, et elle triomphe de la mort.