On avait d’abord pensé filer, la patronne et moi, juste après la projection presse du film d’Yvan Attal, Ils sont partout, qui est sorti le 1er juin, mais on s’est retrouvés pris dans un cocktail. On s’était dit qu’il valait mieux pour tout le monde éviter une rencontre avec le réalisateur qu’on aimait bien et qui nous aurait obligés à lui mentir ou à nous mentir. Mais c’est Yvan Attal, qui nous avait sans doute vu bondir en regardant son film, qui est venu se planter devant nous et devant tout le monde pour nous demander avec un geste séfarade et sa gueule d’humour : « Alors, qu’est-ce qu’il a mon film ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »
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Le deuxième sketch a commencé, et lorsque les premières images d’une banlieue « populaire » sont apparues j’ai sincèrement cru que l’auteur déroulait son récit pour nous mener du passé antisémite « vieille France » vers son présent le plus « jeune », comme on dit pudiquement pour ne pas nommer ceux qui sont plutôt Coulibaly que Charlie, et qu’on allait rire de la haine du Juif chez la racaille islamisée, comme on rirait plus loin du préjugé antisémite résiduel chez le catholique. J’ai donc été sérieusement déçu quand le mot « Fin » est apparu sans que l’on ait vu le moindre musulman dans le décor ni entendu le mot « islam » dans la bande-son de la cité sensible.
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Évidemment, le ton est monté – c’est la patronne [Élisabeth Lévy, NDLR] qui a dû me rappeler au calme, c’est dire –, et puis il est redescendu. L’affrontement a glissé vers l’échange, on a même fini par se comprendre – ce qui ne signifie pas excuser…–, alors on a décidé de se revoir pour mettre notre dispute par écrit. Yvan Attal a du cœur, de l’intelligence et de la gouaille. C’était plus qu’il n’en fallait pour transformer un désaccord en rencontre. En belle rencontre, comme on dit dans le cinéma.
- Dans ce film, Yvan Attal incarne un jeune juif français qui devient agent du Mossad
Causeur. Pourquoi faire ce film ? Et pourquoi maintenant ?
Yvan Attal. Le projet, c’était de démonter les clichés antisémites. « Les Juifs ont de l’argent ! Les Juifs sont partout ! Les Juifs ceci ! Les Juifs cela ! » Pourquoi maintenant ? Cette histoire, pour moi, date d’il y a dix ans. Ça a commencé, je pense, avec la seconde Intifada, avec Dieudonné… Quand j’ai commencé à soupçonner un peu d’antisémitisme ici ou là, on me disait : « Tu exagères, tu es paranoïaque. » D’où l’idée d’un mec qui va chez le psy pour dire : « Je vois de l’antisémitisme partout, et les gens me disent que je suis paranoïaque ! » Et puis j’ai commencé à écrire, je me suis arrêté, j’ai fait un film comme acteur, un film comme metteur en scène…
D’habitude, l’antisémitisme est un sujet grave, traité par des intellectuels qui produisent des thèses. Pourquoi une comédie ?
Parce que c’est ma nature ! Et puis, ceci, plus important : il y a une multitude de clichés, et j’ai pensé qu’à travers un film classique, avec une dramaturgie unique, je ne pouvais pas m’attaquer à tous les poncifs. Ce qui caractérise l’antisémitisme, c’est qu’on est attaqués sur tous les fronts. J’ai donc choisi de faire des histoires courtes, ce qui impliquait une forme de comédie, de légèreté. Il y a dix ans, j’ai même pensé solliciter plusieurs réalisateurs. Et puis j’ai compris que ça ferait trop « grande cause » : le sida, le tabac, l’antisémitisme… Ce n’est pas une grande cause, c’est un sujet qui me titille. Ce n’est même pas que je voulais faire un film plus personnel, ça s’est vraiment imposé à moi. Un jour, je me suis levé et je me suis dit : « Il y en a marre ! Je fais ça ! »
Donc il n’y a pas eu « un matin », mais il y en a quand même eu un !
Bah ! Il a dû y avoir un matin où j’en ai eu ras-le-cul ! En dix ans, l’antisémitisme que j’avais repéré est devenu un phénomène avéré. Alors, certains critiques disent : « Le mec, il est en colère ! » Oui ! Je suis en colère ! Je suis particulièrement en colère aujourd’hui, je me suis réveillé en colère !
Cet « antisémitisme avéré », est-ce que tu l’as ressenti ? Ce qui t’a vraiment énervé, n’est-ce pas que dans ton milieu, celui du cinéma, les gens, au mieux, s’en fichent éperdument ?
Si seulement ils s’en foutaient ! Je vais vous raconter une vraie anecdote. C’est le moment de la seconde Intifada : je ne peux plus aller nulle part, dans le cinéma, sans qu’on me casse les couilles. On parle d’Israël comme ça, à tort et à travers, j’entends des trucs, on me dit des trucs… Je parle de mon milieu : le cinéma français. Un soir, Charlotte me dit : « On est invités à dîner chez machin. » Je lui dis : « Écoute, laisse-moi tranquille, je reste chez moi, je vais regarder le football, je reste avec les enfants, va à ton dîner… » Elle insiste, promet que tout se passera bien. Moi : « On va encore me casser les couilles avec le conflit israélo-palestinien, je vais être le Juif de service, je n’en peux plus ! » Elle allait travailler avec les gens qui nous invitaient, j’ai cédé, j’ai accompagné ma femme. Il y avait là un distributeur, avec lequel j’allais faire, plus tard, deux films, qui me dit : « Israël, machin, etc. ! » Je regarde Charlotte, je lui dis : « Tu vois bien ? Aujourd’hui, où que j’aille, c’est la même chose ! » Pour abréger la conversation, je dis au gars, et c’était sincère : « De toute façon, tu veux deux États ? Tu es pour un État palestinien et un État israélien indépendants ? Eh bien ! tu sais quoi ? Viens, on mange, on boit, on est d’accord ! » Et lui me répond : « Mais si on est d’accord, pourquoi vous nous faites chier ? » Il m’a dit cette phrase ! « Pourquoi vous nous faites chier ? » Et j’ai répondu : « C’est qui, “vous” ? C’est qui, “nous” ? C’est quoi, l’histoire ? » Et là, c’était fini. Le prochain qui dit un mot, je lui mets un coup de boule et je me casse. Et j’étais vraiment en colère. Je pense que le film est sorti là. De ce « Pourquoi vous nous faites chier ? »