Le 2 août, peu après la forte mobilisation citoyenne qui s’est manifestée lors de l’élection d’une Assemblée Constituante, les vénézuéliens ont pu voir sur Globovision (une des télévisions privées majoritaires dans le pays) Henry Ramos Allup, un des plus belligérants leaders de l’opposition, déclarer : « Nous avons décidé de participer aux élections régionales, à celles des maires et aux présidentielles. [1] »
Un secteur important de la droite se démarque publiquement des violences de l’extrême droite de Leopoldo Lopez et admet la validité du Centre national électoral (qu’il dénigrait jusqu’ici comme instrument chaviste). Légitimer le retour à la voie démocratique préconisé par le président Maduro ? Le storytelling distillé à toute heure, tous les jours et par tous les moyens, et auquel croient par conséquent dans leur quasi totalité les citoyens occidentaux, commence à tourner dans le vide.
Plus le temps passe, plus le mammouth de la concentration mondiale des médias éprouve des difficultés à empêcher la diffusion d’éléments qui lui échappent. L’image d’une guerre civile ou celle d’une opposition démocratique en lutte contre un régime répressif ne tient plus. On sait que la majorité des victimes a été causée par les violences de l’extrême droite [2], que cette violence est confinée à quelques pour cents du territoire – zones riches ou paramilitarisées (municipalités de droite et frontière avec la Colombie), que la grande majorité vit en paix et rejette ces violences, y compris parmi les électeurs de droite [3]. Le « régime » (en réalité un gouvernement élu) a arrêté et jugé rapidement les membres des forces de l’ordre qui ont fait un usage excessif de la force [4].
- « Je ne comprends pas pourquoi Maduro ne se dépêche pas d’adopter la Constitution de l’Arabie Saoudite pour faire plaisir au gouvernement états-unien. »
Il faut aussi détruire le périlleux exemple d’une Assemblée constituante. Alors que ce 4 août des militants chavistes, féministes, écologistes, militants de la culture populaire ou contre la spéculation immobilière étrennent à Caracas leurs sièges de députés constituants [5], les grands médias dénigrent le suffrage des vénézuéliens en relayant les dénonciations de « fraude » lancées depuis Londres par le directeur de Smartmatic – une société commerciale qui a fourni les machines du Centre National Electoral (CNE) mais n’a pas accès aux données du vote [6].
Les médias ne mentionnent pas une source bien plus sérieuse. Après avoir observé le scrutin sur place, le Conseil des experts électoraux d’Amérique latine (CEELA) formé de juristes et d’ex-présidents des tribunaux électoraux de plusieurs pays d’Amérique latine, conclut que « le résultat des élections au Venezuela est véridique et fiable ». Le CEELA précise que le Conseil national électoral (CNE) a employé « le même système qu’il a utilisé pour toutes les élections, y compris celles de 2015 où l’opposition a remporté la majorité des sièges à l’Assemblée nationale ». Ce système électoral, qualifié par l’observateur Jimmy Carter de « meilleur du monde [7] » permet à « toute personne de vérifier que ceux qui sont venus voter étaient bien les 8.089.320 annoncés par le CNE [8] ».
Une des conséquences de la vitesse émotionnelle, de l’instantané satellitaire, de l’absence de contexte, etc. qui caractérisent toute campagne de propagande s’appelle l’obligation de moyenne. D’un côté mille médias nous martèlent exactement la même version, de l’autre le Venezuela réel reste lointain, difficile d’accès. La plupart des citoyens, intellectuels ou militants en sont réduits à faire une moyenne forcément bancale entre l’énorme quantité de mensonges quotidiens et une minorité de vérité. Ce qui donne, dans le meilleur des cas : « Il y a une lutte entre blocs, il y a des problèmes de droits de l’homme, une symétrie de la violence, une guerre civile, je condamne la violence d’où quelle vienne, etc. ». Et dans le pire, ce plaisir lâche de répéter les titres de 99,9 % des médias sans rien connaître du Venezuela, de crier avec la meute pour se sentir puissant, de montrer du doigt et de faire la chasse aux « suppôts du dictateur ». En France surtout, mais aussi en Espagne, le Venezuela est remplacé par un écran blanc pour projections privées et règlements de compte entre courants politiques. Le problème est que la quantité de répétition, même si elle crée une qualité d’opinion, ne fait pas une vérité en soi. Le nombre de titres ou d’images identiques pourrait d’ailleurs être mille fois plus élevé, cela ne signifierait toujours pas qu’on nous parle du réel.
Comment, dès lors, nous reconnecter au réel ? Quand le Mouvement des Sans Terre du Brésil, comme l’ensemble des mouvements sociaux [9] et les principaux partis de gauche d’Amérique latine [10] ou 28 organisations vénézuéliennes des droits humains [11] dénoncent la déstabilisation violente de la démocratie vénézuélienne et soutiennent la mobilisation des citoyens pour élire une assemblée constituante, on dispose d’un large éventail d’expertises provenant d’organisations démocratiques. C’est-à-dire de sources directes et d’une connaissance plus profonde de la réalité que la « moyenne » d’un « science-po » européen obligé de préserver un minimum de respectabilité médiatique pour protéger sa carrière.
Pour ne pas laisser assassiner Salvador Allende sans le savoir et ne pas agresser ceux qui rejettent la fièvre de la propagande et dont on découvrira demain qu’ils avaient raison sur le Venezuela, la société occidentale a besoin d’une démocratisation radicale de la propriété des médias – le développement du pluralisme de l’information est en France l’obligation légale du CSA [12] – et parallèlement à la création et à la multiplication de médias hors marché, qu’ils soient publics ou associatifs, de développer de nouvelles écoles ou seront rétablis comme facteurs centraux d’un journalisme au service des citoyens : le temps d’enquête, l’acquisition d’une culture historique, la possibilité de voyager sur place [13] et l’écoute d’un secteur aussi vivant que les mouvements sociaux.
Photos (invisibles dans nos médias et pour cause..) : l’Assemblée Constituante s’installe au Congrès, à Caracas, le 4 août.