Il est rare qu’un dirigeant politique souffre de revers de fortune aussi extraordinaires en une seule journée. Mercredi matin, Ahmet Davutoğlu, le Premier ministre turc, a appris que son entêtement à négocier avec l’Union européenne un accord visant à freiner le flux de réfugiés vers l’Europe en provenance de la Turquie avait été couronné d’un prix qu’aucun gouvernement turc n’avait jusqu’alors réussi à obtenir : la libéralisation des visas, permettant aux Turcs dotés de passeports biométriques de voyager librement dans l’espace Schengen dès le mois suivant.
Il n’a toutefois pas eu le temps de célébrer sa prouesse. Peu après, Davutoğlu a appris que son poste de Premier ministre était menacé, l’homme ayant perdu les bonnes grâces du puissant président du pays, Recep Tayyip Erdoğan. Suite à une réunion avec Erdoğan plus tard dans la journée, qui a duré 1 heure et 40 minutes, Davutoğlu était certain de son licenciement.
Il projetait de révéler l’information officiellement lors de la réunion du comité central de l’AKP, le parti au pouvoir, le jeudi matin. Mais l’opportunité lui a été refusée lorsque, quelques heures seulement après la rencontre, des sources faisant autorité – probablement proches du palais présidentiel – ont fait savoir que son temps au pouvoir était révolu : le parti allait organiser un congrès spécial dans les trois ou quatre semaines à venir pour élire un nouveau président et Davutoğlu ne se présenterait pas à l’élection.
Donc jeudi matin, il ne restait plus à Davutoğlu qu’à confirmer la nouvelle, ajoutant que la conférence aurait lieu le 22 mai, et à dire aurevoir à ses collègues sans répondre aux questions.
Tout ceci vient compléter un tableau d’humiliation exceptionnelle pour un Premier ministre qui, il y a seulement six mois, remportait presque la moitié des suffrages lors des élections générales. Bien que ses efforts pour développer son propre charisme n’aient pas porté leurs fruits, un consensus existe sur le fait que Davutoğlu s’est avéré un travailleur capable ayant commis peu d’erreurs, voire aucune, pendant ses vingt mois au pouvoir.
La faute de Davutoğlu, s’il y en a une, a été de ne pas s’adapter suffisamment au style interventionniste et de plus en plus « ultra-présidentiel » du président Erdoğan. Bien que la loi sur la présidence turque n’ait pas été modifiée et qu’en théorie la fonction demeure non-exécutive, au-dessus des partis et cérémoniale, en pratique c’est Erdoğan qui dirige la Turquie depuis le palais présidentiel. Toutes les décisions clé y sont désormais prises et ses équipes surveillent le travail de chaque ministère.