Les attentats successifs qui ont frappé la Tunisie en 2015 ont amené les États-Unis à lui ouvrir les vannes de l’aide militaire, selon le magazine bimensuel américain Foreign Policy.
Trois semaines après l’attaque du Bardo, Washington a annoncé le triplement des dépenses tout en assurant la formation des forces armées tunisiennes. L’annonce est venue dans la foulée d’une coopération militaro-sécuritaire croissante. Au nom de sa lutte contre le terrorisme, la Tunisie a reçu ou recevra en 2016 des équipements militaires et sécuritaires d’une valeur d’au moins 81,9 millions de dollars, dont 12 hélicoptères Black Hawk, dont huit doivent être livrés cette année, ainsi que des missiles Hellfire, des mitrailleuses, des lunettes de vision nocturne, et bien plus encore.
La Maison-Blanche a demandé un budget de quelque 100 millions $ au titre de l’aide militaire à la Tunisie en 2016, soit une augmentation de 200 % par rapport à 2014, année au cours de laquelle les États-Unis ont fourni une aide de 32,9 millions $, selon l’Observatoire de l’Assistance Sécuritaire, un programme du Centre de politique internationale (CIP) chargé du suivi des programmes d’aide des États-Unis en matière de défense dans le monde entier. Et cela représenterait une augmentation de 350 % par rapport aux chiffres d’avant la révolution.
L’octogénaire Caid Essebsi, cependant, ne peut pas simplement être intéressé par la lutte contre le terrorisme ; il formerait également le projet de faire reculer les acquis démocratiques réalisés par la Révolution de jasmin en Tunisie. L’accent mis par les États-Unis sur le renforcement de ses relations militaires avec Tunis ne fera qu’augmenter les capacités répressives du gouvernement, estime le magazine.
Caud Essebsi, qui a servi sous le premier président de la Tunisie, Habib Bourguiba, à la tête du répressif ministère de l’Intérieur du pays, et en tant que président du parlement sous Zine el-Abidine Ben Ali, est arrivé au pouvoir suite aux élections présidentielles tenues fin 2014. Il a capitalisé sur une vague de frustration populaire due aux échecs des islamistes qui gouvernaient alors le pays et aux crises économique et sécuritaire en cours. Mais « son gouvernement a été critiqué par les militants et les défenseurs des droits de l’homme qui l’accusent de sévir contre tout le monde, de perpétuer les violences policières, et d’absoudre les anciens responsables du régime ».
Une loi anti-terroriste adoptée sous la houlette de Caïd Essebsi accorde aux forces de sécurité de vastes pouvoirs de surveillance, étend la détention sans procès pour les suspects de terrorisme, et permet aux tribunaux de tenir des audiences à huis clos. En outre, il a présenté au Parlement un projet loi sur la réconciliation blanchissant les fonctionnaires et les hommes d’affaires qui ont commis des crimes financiers sous le régime Ben Ali.
Malgré les signaux d’avertissement, les États-Unis ont salué la Tunisie, désignant la Tunisie pays allié majeur non membre de l’OTAN, ce qui se traduit par une plus grande aide en matière de défense et par l’examen et l’approbation plus rapides du financement militaire.
Lorsqu’on lui a demandé si le flux croissant de matériel militaire vendu ou offert à la Tunisie pourrait être utilisé à des fins de répression interne, un responsable du département d’État américain a répondu dans un courriel que « lorsque l’Administration américaine a eu connaissance de rapports sur des abus, nous avons exhorté le gouvernement à s’en saisir. Nous croyons également que les Tunisiens réalisent que la réponse aux préoccupations soulevées, le respect des droits de l’Homme, et l’adhésion à la primauté du droit sont essentielles pour le maintien des acquis démocratiques durement acquis. L’amélioration de la reddition de comptes chez les services de sécurité et la promotion de l’État de droit sont importantes à cet égard. »
Interrogé pourquoi le Département d’État continuerait à accorder de l’aide militaire à la Tunisie en dépit des allégations de mauvais traitements, le haut fonctionnaire a écrit : « Bien que je tienne à éviter de m’engager sur des conjectures et hypothèses, je note, en général, que nous considérons une grande variété de facteurs chaque fois que nous évaluons notre aide étrangère à d’autres pays. »
La sécurité avant la démocratie
Le gouvernement tunisien, cependant, peut accorder la priorité à la sécurité au détriment de la démocratie. Le budget du ministère de la Défense a été renforcé plus rapidement que tout autre entre 2011 et 2016, enregistrant une croissance de 21 % par an en moyenne. Une loi de finances complémentaire adoptée en juillet ici en 2015, suite à l’attentat de Sousse, a augmenté le budget de la Défense de plus de 153 millions $. Bien qu’il puisse s’agir d’un montant dérisoire au regard des dépenses budgétaires aux États-Unis, le chiffre représente environ 7,3 % de l’ensemble du budget du ministère de la Défense pour 2016.
Y a-t-il un bureau de Lockheed en Tunisie ?
Avec l’augmentation des dépenses de défense, les achats militaires et la dépendance vis-à-vis des armes américaines semblent en passe de devenir une tendance. Il semble que les industriels de la défense sont déjà en lice. Lockheed Martin a ouvert un bureau, « Lockheed Martin Global, Inc. – Succursale de Tunisie », selon le Registre de Commerce de l’Institut national de la normalisation et de la propriété industrielle, un organisme public dont la mission est « d’entreprendre toute action relative à la normalisation, la qualité des produits et services, ainsi que la protection de la propriété industrielle ».