Trump et Netanyahou – Explication de texte
Un article de Youssef Hindi en exclusivité pour le site E&R !
Sommaire
- Le plan de reconstruction de Gaza : Trump l’illusionniste
- Le cas iranien : Trump et Netanyahou en désaccord frontal
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Durant leur conférence de presse commune du 4 février 2025, des divergences entre Donald Trump et Benyamin Netanyahou sont apparues quant à l’avenir de Gaza et la politique proche-orientale des États-Unis.
Cette opposition entre les deux hommes, et entre l’administration Trump et le gouvernement Netanyahou, dépasse l’animosité qui existe entre les deux hommes. Elle traduit une opposition entre deux visions du sionisme et deux visions de la politique.
Le plan de reconstruction de Gaza : Trump l’illusionniste
Comme je l’ai expliqué dans mon précédent article, le cessez-le-feu à Gaza imposé par Donald Trump a contredit directement l’objectif israélien qui était de chasser les Gazaouis de leur terre. Le résultat du cessez-le-feu est le retrait de l’armée israélienne, notamment de la ligne de démarcation entre le sud et le nord de Gaza, la libération d’un millier d’otages palestiniens des prisons israéliennes et le retour des Gazaouis chez eux (dans le nord de Gaza).
Parallèlement à ce retour des Gazaouis sur leur terre, Donald Trump a proposé de les envoyer en Égypte et en Jordanie, contredisant ses actes.
Il a également évoqué un grand projet immobilier à Gaza, une fois vidée de sa population. Ce qui était censé réjouir les Israéliens qui veulent coloniser cette terre depuis des décennies.
Mais durant la conférence de presse, Trump surprend Netanyahou en annonçant que « les États-Unis vont prendre le contrôle de la bande de Gaza ».
« Netanyahou a un sourire crispé. Il est scotché sur place, mis devant le fait accompli, comme le fut Volodymyr Zelensky à une autre occasion quand Trump avait déclaré devant les caméras qu’ils allaient négocier avec Poutine. Le président ukrainien avait alors l’air d’un petit garçon à qui son professeur expliquait le programme du cours. Devant Netanyahou, Trump parle de transformer Gaza, qualifié de "site en démolition", en Côte d’Azur. » [1]
Dans un article très intéressant, publié dans le Courrier des stratèges, Édouard Husson propose une lecture complémentaire de la mienne sur la politique trumpienne. Ainsi, il écrit :
« A-t-on suffisamment prêté attention à la signification de l’annonce de Trump sur la prise en charge de la Bande de Gaza par les États-Unis ? Le président des États-Unis explique devant le Premier ministre israélien, qui vient de détruire le bâti de Gaza à 70 % que ce sont les États-Unis qui vont prendre en main la zone. Si j’étais un Israélien sioniste, j’aurais le sentiment d’être dépossédé. Est-ce que vraiment le sourire de Netanyahou est celui d’un homme qui se sent victorieux ? Ou bien s’agit-il d’une pose pour camoufler la défaite et la dépossession ? [...]
C’est une dépossession pour Netanyahou et les sionistes révisionnistes ou extrémistes religieux qui constituent son gouvernement. » [2]
Rappelons au passage qu’Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, a quitté le gouvernement de coalition de Netanyahou le 19 janvier dernier, le jour de la signature du cessez-le-feu, inacceptable pour ce juif sioniste extrémiste et suprémaciste. Donald Trump a donc aussi brisé le gouvernement de « [s]on ami Bibi ».
Durant son discours, Trump n’a pas parlé de déplacer les Gazaouis, mais plutôt d’améliorer leur vie et de créer des milliers d’emplois. « Les Gazaouis vivent dans un enfer. Et honnêtement, c’était déjà un enfer avant les bombardements [israéliens] », a-t-il déclaré.
Ce n’est qu’à la fin de la conférence de presse qu’une journaliste lui a rappelé ses propos sur le déplacement des Gazaouis vers l’Égypte et la Jordanie, et il a botté en touche en se focalisant sur son projet immobilier et économique. La question lui a été posée de nouveau dans le Bureau ovale. Il admet que la Jordanie et l’Égypte ont refusé, toutefois, « je dis qu’ils accepteront, mais je pense que d’autres pays accepteront aussi. Gaza est un site de démolition. Il n’y a pas un bâtiment debout. Gaza est invivable. On doit trouver un autre endroit où les gens seront heureux. Au cours des décennies, il n’y a eu que la mort à Gaza. On doit leur trouver un endroit où ils seront heureux, où ils ne seront pas abattus, où ils ne se feront pas tirer dessus, où ils ne seront pas poignardés à mort, comme ce qui se passe à Gaza » [3], a déclaré Trump sous les yeux de Netanyahou, coupable de ces crimes énumérés.
Trump semble oublier un élément fondamental : les Palestiniens n’ont pas quitté Gaza pendant le génocide, et ils n’entendent pas plus quitter leur terre depuis le cessez-le-feu. D’ailleurs, il a précisé que la prise de contrôle de Gaza par les États- Unis n’impliqueraient pas l’armée. Trump ne va pas enliser l’armée étasunienne après avoir imposé un cessez-le-feu aux Israéliens. Si reconstruction il y a, cela ne se fera pas sans les Gazaouis.
Par ailleurs, Trump a précisé que des nations riches (les pétromonarchies) financeraient le projet de construction pour les Gazaouis, mais où ? Si l’Arabie saoudite et le Qatar participent au projet immobilier à Gaza, cela ne peut pas se faire après une épuration ethnique.
« S’il [Trump] veut vraiment être un héros de la paix et parvenir à la stabilité et à la prospérité au Moyen-Orient, il devrait transférer ses Israéliens bien-aimés dans l’État d’Alaska, puis au Groenland – après l’avoir annexé », a déclaré, Yousef bin Trad Al-Saadoun, membre du Conseil de la Shura, dans un article paru ,vendredi 7 février 2024, dans le journal saoudien Okaz.
« La politique étrangère officielle des États-Unis visera l’occupation illégale d’une terre souveraine et le nettoyage ethnique de sa population – deux méthodes d’Israël qui constituent des crimes contre l’humanité » a ajouté le responsable saoudien. [4]
Les Gazaouis refusent, les Jordaniens refusent, les Égyptiens refusent, les Saoudiens refusent, et les Israéliens, rappelons-le, ont perdu militairement face au Hamas.
Le discours de Trump, qui fait l’idiot, est totalement incohérent, parce que le projet n’est pas établi – il ne sait pas lui-même s’il se réalisera – et parce qu’il brouille volontairement les pistes, de façon à ce que ses interlocuteurs, y compris les Israéliens, ne sachent pas sur quel pied danser jusqu’à l’aboutissement d’un accord définitif.
Quant à Netanyahou, il n’a pas évoqué le projet immobilier à Gaza durant son discours. Il a répété que le principal objectif d’Israël était l’éradication du Hamas, et que cette guerre n’était pas terminée. Lorsqu’il a été interrogé par un journaliste sur le projet de Trump, Netanyahou a dit de façon diplomatique qu’il n’était pas d’accord.
Quant à la colonisation de Gaza par les Israéliens, Trump a répondu par un « non » diplomatique, une première fois, puis une deuxième fois à côté. Le président américain n’a pas non plus évoqué une seule fois la destruction du Hamas comme étant un objectif des États-Unis.
Le Premier ministre israélien a répété, durant l’interview dans le Bureau ovale, qu’il ne partageait pas les vues de Trump quant à la résolution du conflit. La destruction du Hamas – en d’autres termes, l’épuration ethnique – étant un objectif de Netanyahou, et celui de Trump, la paix, sans destruction du Hamas.
Pour l’instant, l’épuration ethnique à Gaza est rendue impossible, la défaite militaire d’Israël a été mise en évidence par le cessez-le-feu imposé par Trump, et Netanyahou est en désaccord avec le projet immobilier de Trump, sans parler de la prise de contrôle de Gaza par les États-Unis.
Le cas iranien : Trump et Netanyahou en désaccord frontal
Le cas iranien a été abordé longuement par Donald Trump durant la conférence de presse et durant l’interview dans le Bureau ovale. Là encore, il y a une opposition de fond entre Netanyahou qui veut pousser les États-Unis dans une guerre contre l’Iran, et Donald Trump, qui a affirmé à plusieurs reprises qu’il voulait parvenir à un accord avec l’Iran.
Il semblerait que Trump veuille revenir en arrière, c’est-à-dire conclure un accord sur le nucléaire iranien, alors qu’il s’était retiré de l’accord signé par l’Iran et l’administration Obama.
Lorsque Trump déclare que l’Iran ne doit pas obtenir la bombe atomique, et que pour ce faire il veut un accord et éviter une guerre contre l’Iran, Netanyahou ne peut s’empêcher de pouffer. Trump a également exclus le bombardement des centrales nucléaires iraniennes.
« Les Iraniens sont devenus très puissants, très rapidement. Ils ont vendu d’énormes quantités de pétrole à la Chine et à beaucoup d’autres qui n’achetaient pas de pétroles à l’Iran quand j’étais président. Ils sont devenus très riches très rapidement. Mais ils ne sont pas faibles. Mais vous savez quoi ? Nous voulons seulement qu’ils n’aient pas de bombe atomique. »
Un journaliste lui répond alors, « désolé Monsieur le Président, mais le Premier ministre [israélien] veut que vous frappiez l’Iran. C’est ce qu’il veut. »
Trump répond alors, devant un Netanyahou silencieux : « Vous ne savez pas ce qu’il veut. » [5]
C’est le même Donald Trump qui a publié dans son média Truth Social, la veille de son investiture, une vidéo de Jeffrey Sachs disant que ce sont les Israéliens et ce « fils de chienne » (deep dark son of a bitch) de Netanyahou qui ont entraîné les États-Unis dans les guerres contre l’Irak et la Syrie et qui tentent de les conduire dans une guerre contre l’Iran depuis des années.
Sachant bien tout cela, Donald Trump a dit durant la conférence de presse que « les États-Unis n’auraient jamais dû déclencher toutes ces guerres destructrices au Moyen-Orient qui ont coûté des trillions de dollars ». Des guerres pour le compte d’Israël.