Donald Trump s’est trompé, dans sa carrière. Son style flamboyant en aurait fait un acteur de Kabuki populaire et très aimé. Les Japonais aiment ce qu’ils appellent aragoto, littéralement un style de drame héroïque « business à la sauvage », mettant en scène un énorme guerrier terrifiant maquillé en rouge et noir, avec un grand sabre. Le guerrier fait irruption sur la scène avec des cris stridents et tonitruants et il lance jusqu’au ciel son Shibaraku (« Attends un peu », ou mieux encore « Bas les armes, rends-toi »). Les fervents du Kabuki se souviendraient avec délices de la prestation de Trump à l’Assemblée générale de l’ONU, et cela pendant des années, si seulement il s’était produit au théâtre Kabuki-za de Tokyo.
Dans l’art japonais, il y aurait un rôle pour Kim, son adversaire, dans la pièce intitulée Tora-no-O, « La queue du tigre ». Il serait celui qui pose le pied sur la queue du tigre.
Trump et Kim auraient pu commencer par une battle en rap, en un superbe défi :
- C’est sûrement un voyou et un gangster qui adore jouer avec le feu !
- Je vais le dompter, ce gâteux dérangé, moi, avec mon feu !
- Rocket Man est en mission suicide pour lui-même et pour son régime !
- Un clébard effrayé aboie plus fort que ça !
Leurs personnages de rappeurs seraient Rocket Man et le Gâteux orangé, et ce serait très drôle.
Mais, pour un président américain aux Nations unies, son discours était d’une brutalité choquante et malvenue. Le monde entier a éprouvé un soupçon de nostalgie pour feu Adolf Hitler, un garçon sympa et tempéré, aux messages subtils, en comparaison avec le féroce président américain.
Le chancelier allemand est réputé avoir tué six millions de civils, et ce sacrifice sublime (ne me demandez pas à quelle divinité, c’est juste la traduction du mot grec « holocauste ») est considéré comme le pire crime de la sanglante histoire de l’humanité. M. Trump a publiquement proclamé bien haut qu’il en réduirait en cendres cinq ou six fois plus. Tandis que le Teuton ne s’était jamais vanté sur le sujet, l’Américain fanfaronne à l’avance sur ce crime encore en pointillé. Son désir de détruire totalement la Corée du Nord, de rayer de la carte une nation entière de 25 millions de personnes, et en plus de causer la mort de millions de Coréens au Sud de la péninsule dans la foulée, lui assure une place exceptionnelle parmi les méchants.
Kim, le King effronté du Nord, a traité Trump de « chien qui aboie », le genre de chiens qui, dit-on communément, ne mord jamais, et c’est certes une pensée réconfortante, mais pas autant qu’une bonne muselière. Le chien aboyeur est forcément dangereux et il faut le tenir en laisse, ou le délivrer de son malheur. Le molosse a été intimidé par ses ennemis tout proches, et le voilà comme possédé du démon, car il y a à peine quelques mois, Trump était un être épris de paix qui voulait s’occuper des infrastructures américaines, qui refusait de plier devant l’AIPAC et qui était amical avec Poutine. C’est Mme Clinton qui était la va-t-en guerre. Mais la magie par invocation a opéré efficacement sur lui.
Jadis, les magiciens invoquaient le nom de Belzébuth, et celui-ci apparaissait. Les Américains et leurs mentors juifs sont obsédés par l’Allemagne de Hitler ; Hollywood lance au moins un film par mois tournant autour de Hitler. Ils ont invoqué si souvent les noms de Hitler et de la Gestapo qu’ils en sont hantés.
Dans une intervention de la justice poétique, la nemesis de Trump porte le nom du chef de la Gestapo, et applique les méthodes choisies par son homonyme allemand. Bien des supporteurs principaux de Trump se réveillent avec des sueurs froides après toute une nuit à s’attendre à ce que les sbires du procureur Robert Mueller forcent leur porte pour s’introduire dans leur chambre à coucher à l’aube, comme ils l’ont fait avec Paul Manafort. Cette terreur style Gestapo a détourné les vents favorables de la barque de Trump. Les milliardaires américains et leurs politiciens ne sont pas si courageux que ça. Ils peuvent rugir contre un petit État du bout du monde, mais dès qu’ils se sentent vulnérables chez eux, leur bravoure rétrécit. Adolf Hitler avait Mueller de son côté, mais Trump fait piètre figure, en aspirant au rôle d’Hitler persécuté par Mueller.
Donald a invoqué Hitler pour rejeter les tentatives de résoudre la crise coréenne par la négociation. Il a qualifié la tentative du président sud-coréen d’« apaisement » comme un nouveau Munich-1938. C’est le terme chargé de dérision favori de Bibi Netanyahou, le démon de Trump. Pour Bibi comme pour le nouveau Trump possédé, toute personne qui ne se soumet pas aux juifs est un Hitler qu’il faudrait anéantir. C’est une attitude parfaitement anti-chrétienne, car nous savons qui a dit : « bénis soient les faiseurs de paix, car ils seront appelés enfants de Dieu ».
Si quelqu’un doit devenir le nouvel Hitler, dans la scène zénithale où rivalisent Trump et Kim, ce n’est sûrement pas le Coréen dodu. Tout homme d’État sur la planète sait qu’on ne peut pas passer par-dessus les États-Unis. L’Amérique est puissante, vindicative et vicieuse, et on doit lui obéir peu ou prou. Ils vous détruiront, vous et/ou votre pays tôt ou tard, pour votre désobéissance. S’ils ne peuvent pas envahir, ils bombarderont, et s’ils ne peuvent pas bombarder, ils commenceront par vous affamer, en attendant de pouvoir bombarder, et à la fin, envahir. Il faudrait être fou pour résister. Mais le petit Coréen a résisté. Il est donc fou à lier. Seulement nous les humains nous adorons ce genre de rebelles cinglés qui envoient balader l’autorité suprême, qu’ils s’appellent Che Guevara ou Luke Skywalker. Ou encore McMurphy.
Oui, par son courage suicidaire, Kim me rappelle notre « Mac », Randle McMurphy, le personnage du roman de Ken Kesy et du film de Milos Forman Vol au-dessus d’un nid de coucou. Vous vous souvenez probablement de cette situation sans espoir, et de la bataille futile, perdue d’avance, contre la toute-puissante infirmière Ratched. Elle règne en maître sur les internés. Impossible de faire appel de sa volonté. Les internés tremblent devant elle. Mais elle ne peut pas briser Mac. Elle est obligée de lui brûler le cerveau, de le flinguer par d’autres moyens, et cet acte atroce va libérer les internés. Jusqu’alors, ils soutenaient l’infirmière et lui obéissaient comme les nations obéissaient au pouvoir judéo-américain. Et pourtant, la crémation des neurones de Mac met fin à sa domination. Révulsés, le placides internés quittent l’enclos, choisissent la liberté, et la laissent brisée derrière eux. C’est dans la nature humaine. Il n’y a pas d’autre moyen pour les États-Unis s’ils veulent gagner dans cette bataille contre Kim les grosses boules. Ils peuvent le tuer et avec lui trente millions de Coréens de plus, mais ils ne peuvent pas gagner.
Peut-être que la position de Kim est déraisonnable. Peut-être, si et quand la poussière radio-active aura été portée par les vents sur toute la péninsule coréenne, et que les rares survivants coréens hiberneront dans des tentes près d’Ussrisysk du côté russe de la frontière, les gens raisonnables diront-ils que Kim n’aurait pas dû résister au bison mauvais. Qu’il aurait dû fermer sa gueule, comme nous le faisons. Mais même alors nous continuerons à penser, même si nous ne le formulons pas : « Maudit soit le méga-tueur de Washington. Kim avait un sacré culot, trop gros pour qu’il s’en sorte, mais que Dieu le bénisse. »
Nous sommes habitués au fait que les Américains font tout ce qu’ils veulent, ils envahissent des pays indépendants, lancent des guerres de conquête, confisquent des bâtiments consulaires et s’assoient sur les traités et les conventions sans risquer plus qu’une note de protestation. En toute insanité, Kim le gros promet de frapper les Américains s’ils touchent à son pays. Nous sommes horrifiés, mais nous sommes secrètement heureux que quelqu’un ose dire des choses pareilles.
Tout le monde veut vivre, et les Russes, naturellement, sont heureux de la prudence de leurs dirigeants. Mais ils regardent Kim comme les internés dociles de l’asile regardaient McMurphy. La Russie est scandalisée par ce conflit qui la touche de près. La Corée, c’est près de Vladivostok, la grande ville russe, et les conséquences du conflit c’est la Russie et la Chine qui auront à les gérer. La Russie offrait aux Américains une solution raisonnable, un double gel : les Coréens gèlent leurs essais nucléaires, les Américains gèlent leurs manœuvres aériennes. Les Coréens avaient accepté la proposition russe, et les Américains l’ont rejetée en toute arrogance. « Ce serait offrir une prime aux Coréens », a répondu le Département d’État.
Ce serait donc une prime, le droit de vivre chez soi, sur son territoire, sans avoir à affronter des menaces de génocide nucléaire ? Il nous semblait que cela relevait du droit inaliénable de chaque nation. Le nouveau Président de la Corée du Sud et ses habitants ne sont pas chauds pour une nouvelle Guerre de Corée, où des millions de leurs frères et sœurs du Nord comme du Sud vont périr. La Corée du Sud veut des négociations et une solution pacifique. De quel droit Trump refuse-t-il et prétend-il même agir dans l’intérêt de la Corée du Sud ? Si Kim survit à cette campagne, ce sera un immense soulagement pour l’humanité. Mais s’il n’y survit pas, et que Trump incinère la Corée et envoie des millions de Coréens au paradis, alors l’Amérique n’aura gagné que la haine et le mépris de l’humanité, comme l’infirmière Ratched, en cramant la cervelle au rebelle McMurphy.
Ce qui serait bien, c’est que le pape exorcise les démons de Trump, de façon à ce qu’il redevienne le Trump pour lequel les Américains avaient voté. Mais alors, on verrait que Trump est simplement plus explicite que le reste des gens au pouvoir. Les libéraux américains proposent de faire mourir de faim les Coréens, plutôt que de les bombarder. L’idée de laisser les Coréens vivre à leur manière, personne ne l’envisage, au Capitole.
Les Russes ont blêmi avec les projets de Trump de reformer l’ONU et d’éliminer ou de saboter leur droit de veto. Ils ont remarqué une ressemblance troublante avec l’appel d’Adolf Hitler à réformer la Ligue des Nations en 1937. Ils ne devraient pas accepter la moindre tentative pour les priver de leur droit de veto. Ils ne quitteront pas l’ONU, non plus. Ils ont essayé de s’en retirer jadis, et ça ne leur a pas réussi.
En janvier 1950, les Russes étaient effarés du refus obtus des Américains de transférer au Conseil de sécurité le siège de la Chine au nouveau gouvernement du président Mao. Ils insistaient, disant que le siège devait être occupé par le Kuomintang régnant à Taïwan. Les Russes ont boycotté le Conseil de sécurité à leurs risques et périls : le Conseil a voté (sans les Russes) pour appeler à une action militaire des Nations unies pour la première fois dans l’histoire de l’organisation.
Les Russes auraient pu bloquer la chose au Conseil de sécurité, puisqu’ils avaient alors le pouvoir absolu du veto, mais pas un seul délégué russe n’était présent. Peu de temps après, une force multinationale de l’ONU sous commandement américain a débarqué en Corée du Sud et la guerre épuisante de trois ans contre la Corée était sur les rails. Les Russes sont immédiatement retournés siéger au Conseil de sécurité mais ils n’ont jamais pu le faire revenir sur cette décision, et jusqu’à ce jour, les troupes US en Corée brandissent la bannière de l’ONU.
Les Russes s’en souviennent, et ne referont jamais leur erreur. Même si Trump sort ses alliés, les Russes et les Chinois resteront et continueront à faire fonctionner le Conseil de sécurité, sans les Américains, si besoin.
Les Américains veulent avoir l’ONU sans les Russes. La déclaration proposée par Trump de remanier l’ONU a été soutenue par plusieurs petits États, mais les grands ont refusé de les rejoindre. Dans un acte d’une rare arrogance, des pays qui étaient hésitants ou peu désireux de signer la déclaration (ce qui inclut la Russie, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud) n’ont pas été invités au lancement de l’opération. Une organisation sans eux, ce ne serait pas les Nations unies, mais peut-être une OTAN 2.0.
Les sentiments russes envers les États-Unis se sont beaucoup durcis après cette Assemblée générale. Les Russes ont aidé l’armée gouvernementale syrienne à traverser l’Euphrate et à s’emparer de la rive orientale, malgré les Américains qui exigeaient qu’ils restent de l’autre côté du grand fleuve. Pour la première fois ils ont menacé les Américains présents en Syrie de se servir de leur puissance de feu suprême si leurs troupes étaient piégées comme elles l’ont été il y a quelques jours, lorsque les islamistes menés par des instructeurs américains ont fait une tentative pour s’emparer d’un groupe de policiers russes.
Le rêve de beaucoup de politiciens américains de donner libre cours à une guerre contre la Russie ne semble plus aussi improbable qu’il y a quelques mois. Il y a des gens qui croient qu’elle est inévitable, pour une étrange raison. Ils disent que ce sera la réalisation d’une prophétie de la bataille d’Armageddon décrite dans Ezéchiel 39, et dans la Révélation, 16. Ils disent que, puisque le champ de bataille s’étend par-dessus l’Euphrate jusqu’à Babylone, le programme neuro-linguistique profondément ancré (NLP) a été activé, et qu’il conduit l’humanité à sa destruction ultime. En clair, le genre de prophéties qui, sitôt proférées, tendent d’elles-mêmes à se réaliser. Reste à voir, simplement, si cela va commencer en Corée, à l’Extrême Orient, ou en Syrie, au Moyen-Orient.
Il vaudrait vraiment mieux que Trump assume son rôle dans le cadre du Kabuki...