Le Figaro le présente comme le Balzac – mâtiné de Zola – américain. C’est l’auteur de l’histoire oubliée, celle des petits et de leurs mœurs, ceux qui ne font pas l’histoire avec un grand « h ». Depuis 50 ans, Tom Wolfe décrit l’Amérique plus ou moins profonde avec l’œil du journaliste et la plume de l’écrivain. L’entretien du Figaro étant payant dans sa version complète, nous avons sélectionné trois questions qui résonnent avec l’actualité.
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Depuis l’un de vos premiers livres, Radical Chic (Le Gauchisme de Park Avenue en français), vous fustigez le politiquement correct, le gauchisme culturel, la tyrannie des minorités. L’élection de Donald Trump est-elle la conséquence de ce politiquement correct ?
Dans ce reportage, d’abord paru en juin 1970 dans le New York Magazine, je décrivais une soirée organisée, le 14 janvier précédent, par le compositeur Leonard Bernstein dans son duplex new-yorkais de treize pièces avec terrasse. La fête avait pour objet de lever des fonds en faveur des Black Panthers… Les hôtes avaient pris soin d’engager des domestiques blancs pour ne pas froisser la susceptibilité des Panthers.
Le politiquement correct, que je surnomme PC, pour « police citoyenne », est né de l’idée marxiste que tout ce qui sépare socialement les êtres humains doit être banni pour éviter la domination d’un groupe social sur un autre. Par la suite, ironiquement, le politiquement correct est devenu l’instrument des « classes dominantes », l’idée d’une conduite appropriée pour mieux masquer leur « domination sociale » et se donner bonne conscience.
Peu à peu, le politiquement correct est même devenu un marqueur de cette « domination » et un instrument de contrôle social, une manière de se distinguer des « ploucs » et de les censurer, de délégitimer leur vision du monde au nom de la morale. Les gens doivent désormais faire attention à ce qu’ils disent. C’est de pire en pire, en particulier dans les universités. La force de Trump est sans doute d’avoir rompu avec cette chape de plomb. Par exemple, les gens très riches font généralement profil bas alors que lui s’en vante. Je suppose qu’une partie des électeurs préfère cela à l’hypocrisie des politiques conformistes.
Dans votre œuvre, le statut social est la principale clef de compréhension du monde. Le vote Trump est-il le vote de ceux qui n’ont pas ou plus de statut social ou dont le statut social a été méprisé ?
À travers Radical Chic, je décrivais l’émergence de ce qu’on appellerait aujourd’hui la « gauche caviar » ou le « progressisme de limousine », c’est-à-dire une gauche qui s’est largement affranchie de toute empathie pour la classe ouvrière américaine. Une gauche qui adore l’art contemporain, s’identifie aux causes exotiques et à la souffrance des minorités, mais méprise les « rednecks » de l’Ohio.
Des Américains ont eu le sentiment que le Parti démocrate faisait tellement des pieds et des mains pour aller séduire les différentes minorités qu’il en arrivait à négliger une partie encore considérable de la population. À savoir cette partie ouvrière de la population qui, historiquement, a toujours été la moelle épinière du Parti démocrate. Durant cette élection, l’aristocratie démocrate a pris le parti de favoriser une coalition de minorités et d’exclure de ses préoccupations la classe ouvrière blanche. Et Donald Trump n’a plus eu qu’à se pencher pour ramasser tous ces électeurs et les rallier à sa candidature.
Que vous inspirent l’affaire Weinstein et la polémique #Balance ton porc ?
Personne ne se donne la peine de définir correctement le terme d’agression sexuelle. C’est une catégorie fourre-tout qui va de la tentative de viol à la simple attirance. C’est de cette confusion que naissent tous les excès. Je suis partagé entre l’effroi, en tant que citoyen, et l’amusement, en tant que romancier, pour cette merveilleuse comédie humaine. Si cela continue, cela peut devenir la plus grande farce du XXIe siècle. Dans la presse locale, encore ce matin dans le New York Post et le New York Times, ces affaires sont en lettres capitales à la une. Aujourd’hui, n’importe quel homme qui prête n’importe quelle sorte d’attention à n’importe quelle femme, par exemple sur son lieu de travail, devient un « prédateur ».
Depuis cette affaire, j’entends partout autour de moi des hommes dire à de jeunes femmes qu’ils fréquentent « je ne devrais pas être vu avec toi ici ou là », « nous travaillons dans la même entreprise et je suis à un poste hiérarchique plus élevé et tout cela va faire trop mauvais genre ». Les hommes s’inquiètent désormais de trouver certaines femmes attirantes. Voilà qu’on se retrouve à s’opposer aux lois naturelles de l’attraction qu’il faudrait désormais ignorer.
Personne ne parle de ces femmes, et elles sont pourtant nombreuses, qui prennent un plaisir réellement considérable à rencontrer sur leur lieu de travail un collègue masculin qu’elles trouvent attirant. Un homme qu’elles n’auraient pas eu la chance de rencontrer autrement. Je pense que le monde n’a pas tant changé pour que l’on se mette à proclamer qu’aujourd’hui les femmes ne désirent soudain plus attirer l’attention des hommes.
En vérité, rien n’a vraiment changé, hormis le fait que les femmes disposent d’un puissant outil d’intimidation qu’elles n’avaient pas auparavant. Elles peuvent maintenant remettre à leur place ces hommes dont l’attention est trop extrême ou qu’elles jugent trop vulgaires, écarter un rival sur le plan professionnel ou encore se venger d’un amant « trop goujat ». Pour inculper quelqu’un d’agression sexuelle, il semble désormais que la seule parole de la femme soit suffisante et certains demandent déjà un renversement du droit qui obligerait l’homme soupçonné à faire la preuve de son innocence.