La prophétie de Georges Marchais a fini par se réaliser, mais pas pour des raisons de justice immanente, ou de victoire du communisme. Jean-Pierre Elkabbach, monsieur « interview politique » d’Europe 1 pour le grand public, homme au croisement de puissants réseaux dans le système politico-médiatique, s’est tu aujourd’hui. Il n’est pas mort, il est juste remplacé à l’antenne dans la prestigieuse « matinale ». Par Fabien Namias, le directeur de l’information de la station. Un ami du capital, pas vraiment un bolchevique. Le Système peut souffler, la relève ne sortira pas des clous.
En vérité, Jean-Pierre ne part pas vraiment auréolé de gloire. Son interview était tellement impartiale, son cake tellement truffé de fruits confits oligarchiques, que ses lancements et ses relances faisaient tache. Interroger Marine Le Pen en la menaçant avec un DVD de Shoah, de Claude Lanzmann, c’est à la limite du répréhensible. Partir en sucette pendant le débat de la primaire de la droite, ça vous enterre un bonhomme. Mais la véritable question est là : comment se fait-il qu’un insupportable faux journaliste soit arrivé à ce niveau de responsabilités ?
Ce sympathisant giscardien a toujours su se faire bien voir des pouvoirs de gauche ou de droite. Totalement brûlé lors de l’avènement de François Mitterrand en 1981, à force de petits cadeaux « informatifs », et par la grâce de Jacques Attali, il finira par re-rentrer dans le cercle du président, pour finir par le harceler avec Vichy (mais Mitterrand ne crachera pas le morceau).
On ne se refait pas. Ce sioniste libéral de la première heure aura fait beaucoup pour disqualifier la radio de la rue François 1er. C’était plus fort que lui : il fallait dézinguer les grévistes, la CGT, les communistes, survendre le libéralisme (on a vu le résultat à Europe 1, avec une bonne partie de son audience qui s’est barrée chez RMC), le sionisme, et surtout les puissants contre les non-puissants.
D’une obséquiosité sans failles, l’homme au phrasé incertain aura marqué l’histoire de la radio du marchant d’armes Lagardère. Ne pas se fâcher avec l’actionnaire, ni avec l’État, aller dans le sens du vent, blablater sans fin sur la politique politicienne dont les Français se foutent, tel était le rôle de cet enfumeur de talent. On se demande quel poids il avait pour que la hiérarchie de la chaîne continue à l’engager dans la matinale, tant les réactions populaires – sur les réseaux sociaux – étaient brutales.
Mais Elka n’a pas toujours été impopulaire. Lorsqu’il prend en 1993 la direction de France Télévisions, il mise lourd sur les vedettes du divertissement du moment : les stars Mireille Dumas (dézinguée par Malaussena dans Les Animatueurs), Jacques Martin, Jean-Luc Delarue, Arthur, Nagui et Michel Drucker, toucheront en tant qu’animateurs-producteurs 640 millions de francs par an sur un budget total de 4,8 milliards. Soit, en euros, 100 millions pour les « voleurs de patates », selon l’expression des Guignols de l’info, sur un budget de 720 millions d’euros. Delarue et Arthur se gaveront éhontément de cette manne publique, et deviendront multimillionnaires.
- Michel, à droite, a survécu à Jean-Luc, à gauche
Dénoncé par le député de droite Alain Griotteray, Elka dut rendre gorge sur ces stupéfiants contrats. Et démissionna avec fracas, dénoncé par ses propres créatures. Malgré cette gestion désastreuse, il retourne à la maison, c’est-à-dire Europe 1, en tant que conseiller spécial de Jean-Luc Lagardère, le père, pas le fils. Toujours dans les bons coups, il arrive à obtenir « sa » chaîne en 1999, sous le nom de Public Sénat. Une purge, que personne ne regarde, mais qui lui fournit un salaire douillet de 15 000 euros par mois, hors frais. Libération épinglera le lobbyiste en révélant qu’il sucrera Mitterrand et ses enfants sur une série de documentaires pour France 2, déjà financée par le CNC… Il sera dans la foulée blanchi de sa gestion de PDG de France Télévisions, et reconduit à la tête de Public Sénat, malgré une fronde de sénateurs de tous bords. Visiblement, tout, mais vraiment tout lui aura été pardonné. Pourtant, il en aura fait, des ennemis. Tirade de Noël Mamère sur son ex-patron Elkabbach dans l’émission du câble Telle est ma télé, cité par Faits & Documents :
« Souffrant du syndrome de Network, voulant toujours être devant et seul si possible “pour montrer sa gueule”, spécialiste de la provocation, traitant les journalistes plus bas que terre, doué pour l’affrontement, la ruse, la mauvaise foi. Autres signes caractéristiques : censeur habitué des pressions politiques, expert en chantage affectif, roué, séducteur, fidèle serviteur du régime giscardien, grand manipulateur maniant souverainement la carotte et le bâton perfide, autoritaire, cassant. »
Au moins, Elka a un ami, et fidèle, dans tous les bons coups : Ramzi Khiroun. Un poème, celui-là, déclaré l’homme le plus influent de France par L’Obs en 2015.