C’est au hasard des rues lyonnaises que l’œil se pose sur le slogan collé comme une gloire : “Ni frontières, ni Nations. Liberté de circulation ! ” . De prime abord, on se dit qu’Attali vient de sortir un nouveau bouquin mais Jacquot n’est homme de propagande si réduite et l’on s’approche alors pour connaître l’auteur du message scandé et découvrir qu’il est œuvre d’une coordination d’à gauche de la gauche.
Qui a dit que l’idéologie de cet extrême se nourrissait de clichés archaïques sclérosés en doctrine dépassée ? Que nenni, voilà bien la preuve d’un souci de parfaite adaptation aux exigences de l’économie politique actuelle et on ne peut que deviner derrière ce cri, la réflexion élaborée de celui qui résiste en regardant demain. La lumière attalienne fut et dissipa les sombres inquiétudes de l’internationalisme gauchiste : l’avenir passera par la circulation dérégulée des masses et de l’hyperclasse selon les besoins du marché, les frontières n’auront plus de sens et chaque pays se fera l’hôtel de clients apatrides.
Comment pourrait-on alors condamner l’anarcho-trotskard qui dans le sillon du penseur référent offre sa collaboration au projet universel de peuples sans nations ? On devinerait bien, en ce cas, la mauvaise-foi jalouse de celui qui, incapable d’adhérer à l’ambition oligarchique sans loi, s’entêterait à défendre l’homme selon l’appartenance et l’intérêt des siens. Egoïste va ! Non, vraiment, le futur sera transhumant et l’on se doit de louer l’écuyer servant qui appelle les peuples à embrasser la cause de la migration flexible au nom d’un système mondialiste sans contrainte.
Mais il serait injuste de réduire la pertinence d’une telle pensée à la fine collaboration de deux pôles politiques distincts mais si efficacement complémentaires à l’heure de construire demain. Car le propos sous-entend aussi la noble pensée qui envisage l’homme sans distinction au sein d’une même et immense communauté.
Cette ouverture à l’autre sans discrimination ni bornes s’érige fièrement en rempart de tolérance et fraternité en nique à tous les bas instincts des visions exclusives et autoritaires. C’est là que l’extrême gauche révèle toute la beauté de son idéologie et, comme à la lecture d’un poème de Gérard Lenorman, on retient non sans difficulté la larmichette à l’évocation d’une telle humanité. On ne compte d’ailleurs plus les occasions attestant de l’élan fraternel qui place la solidarité des êtres en adéquation au respect des différences.
À Rennes, quelques militants à chiens n’ont-ils pas fait preuve du plus grand tact envers les gérants tamouls qui accueillaient conférence en leur local ? N’ont-ils pas invité avec entrain les fils de l’immigration à participer à une manifestation culturelle dans un esprit d’accès à tous ? Mieux encore, pour guider le public égaré, n’ont-ils pas aidé la Twingo perdue à se sortir du dédale de la cité ? D’aucuns disent même qu’ils sollicitèrent les forces de police afin de favoriser le bon déroulement de l’évènement au nom du droit à la liberté d’expression.
Et cette invitation au Fleurte n’est pas exception car le respect de ladite liberté est sans cesse protégée par ces défenseurs de peuples rassemblés dont ils défendent la voix contre le fascisme censeur qui sévit ça et là. À Lyon, par exemple, leur implication à l’encontre des procédés « les plus bas » (1) est sans relâche et on leur doit la bonne tenue de conférences organisées ou le maintien d’entretiens radiophoniques sur des ondes courageuses et indépendantes.
Les philanthropes n’ont-ils pas poussé leurs convictions jusqu’à laisser parler en leur nom une journaliste peinant à se faire entendre dans les salons parisiens qui réunissent le gotha des influences franco-américaines (2). Allons, allons, prêter, comme certains l’osent, de fafs intentions à des initiatives si généreuses relève du complot aveugle et on ne saurait décemment ternir cet idéal universel de liberté sans frontières discriminatoires.
N’oublions pas de souligner la cohérence sans faille du slogan totalement en phase avec les fondements politiques. La revendication est bien sûr considérée ici comme gage d’amélioration de vie du travailleur qui laisse un pays où son bien-être général n’est plus envisageable. On appréciera à nouveau l’adaptabilité d’un mouvement ouvriériste de tradition révolutionnaire et viril qui appelle à la fuite des forces vives pour organiser la résistance depuis un lointain maquis d’Algeco où l’union des sans-papiers attend pacifiquement que sa terre soit libérée par une guerilla de veuves et d’orphelins.
En tous cas, le côté très pratique n’est pas à ignorer puisqu’étant données l’abolition des frontières et la fin de l’attachement à la Nation, nul besoin pour l’opprimé de risquer sa vie chez lui dans une lutte commune afin de retrouver une dignité d’existence spoliée par la puissance occidentale. Le bain de sang est évité, la stabilité d’exploitation préservée. Mélange efficace et fin de courage et lucidité qui impose l’admiration.
Mais la masse migrante constituée ne permet pas seulement la pacification des pays par délocalisation des populations, elle contribue surtout à la préservation des normes légales en pays récepteurs. Lorsque l’infirmière française vocifère parce qu’elle n’admet plus conditions difficiles et salaire de misère, elle se voit alors immédiatement remplacée par un homologue espagnol ou ukrainien qui, eux, contrairement à cette petite égocentrique locale, accèdent sans rechigner au sacrifice personnel sur fond d’intérêt commun.
Le droit français ne cède donc pas à la revendication de cette feignasse de souche et le code du travail reste intact. On pourrait même imaginer un petit pas en arrière qui ne traumatiserait pas les nouvelles arrivantes bien plus rentables et consentantes. Le cas est loin d’être unique, routiers, maçons, serveurs, sont autant de tire-au-flanc qui grâce à la mise en concurrence apprennent de ceux qui en ont vraiment chié. La dérégulation totale de la liberté de circulation aux dépens des frontières et Nations présente donc un double intérêt fondamental puisqu’il permet à la fois le maintien de l’exploitation économique des pays pauvres ainsi que la sauvegarde de la norme de travail locale contre toutes revendications anti-compétitives.
Il est donc grand temps de découvrir que l’idéologie d’extrême gauche a nettement muri et qu’elle est aujourd’hui pleinement dans son époque. En adéquation parfaite avec l’évolution du système mondialiste, elle a su se refonder afin d’envisager le meilleur pour les travailleurs sans jamais renoncer à ses valeurs fondatrices universelles. Bien éloigné de l’image du punk à chiens, du soixante-huitard de comptoir et de l’étudiant à peine pubère dont les hormones perturbent le neurone solitaire, ce nouvel élan explique sans doute l’adhésion de militants nombreux, honnêtes, courageux et réfléchis qui œuvrent sans relâche au service du peuple avec grandeur et loyauté.