Le premier terme fut au siècle dernier, et déjà à la fin du 19ème siècle, la désignation d’une correction ou adaptation du marxisme (mot forgé et popularisé par le social-démocrate Bernstein – patronyme signifiant l’ambre -, comme aussi le « capitalisme », sauf erreur, le fut, non par Marx, mais par le professeur d’université de Berlin, sous le second Reich, G. Simmel ) ; un peu l’équivalent de ce que le libéralisme maçonnisé français entendait par « opportunisme » sous la troisième république. La définition de Bernstein, était que « le but final n’était rien, mais que le mouvement pour y parvenir, était tout ».
Pendant les années soixante, Albanie, Chine et Corée du Nord, avec quelques différences, se dressèrent contre la tendance révisionniste des communistes à abandonner une construction socialiste imprécise et à pactiser avec l’Américanisme, et cette opposition fit naître la révolution culturelle chinoise, qui est une voie nationale intermédiaire, une rupture avec la norme d’une consommation devenue l’horizon du travail, et dont la révolution culturelle iranienne, islamique est, quinze ans après, le contre-coup peu noté, mais vécu ainsi, à titre d’exemple, par l’illustre philosophe militant iranien Shariati et sa génération ; et en Afrique du Nord un autre écho de ce mouvement antirévisionniste chinois, dans les années 70, avec le « livre vert » de feu Mouammar Khadafi - dont les partisans reprennent visiblement le dessus, car la nature a horreur du vide causé par le CNT et son otanisme antipatriotique - qui était le pendant du « livre rouge » lui ayant même servi de modèle, mais tous deux sont tiers-mondistes, c’est-à-dire appellent à une troisième voie, comme du reste l’Imam Khomeiny, d’illustre mémoire, Hugo Chavez au Venezula etc., Fidel Castro étant longtemps demeuré dans l’affrontement bipolaire.
Il en va tout autrement du second révisionnisme de la seconde moitié du XXème siècle qui est une correction d’événements connus et dont le cadre est accepté. On accorde aux révisionnistes la qualité de négateurs, en usant d’un terme psychiatrique pour donner un des symptômes ou stigmates de la schizophrénie, à savoir, à côté de l’ambivalence de l’amour et de la haine, et autres points, comme l’indifférence, et des signes psychophysiologiques, etc. le négativisme, ou négation systématique du donné, dont on a fait le négationnisme. L’attention révisionniste s’est bien sûr fixée sur les guerres du dernier siècle, mais l’attitude de révision historique peut s’étendre comme un liquide ou mieux, un gaz, à tout le volume qui lui est offert. Mon défunt et érudit ami, que j’ai malheureusement trop peu connu, Pierre de Sermoise, dont un ancêtre fut archevêque de Toulouse et vota contre la canonisation de la déclarée sainte sur pression de la France laïque républicaine, révisait ainsi l’histoire de Jeanne des Lys dite d’Arc, qui aurait été membre du tiers-ordre franciscain, fille naturelle d’Isabeau de Bavière confiée à la famille de noblesse déchue, les Arc, d’Arc ou Darc, donc demi-sœur du Dauphin de France, et n’aurait pas été brûlée vive à Rouen, cédant la place, - après un faux procès truqué, mené de main de maître par l’excellent juriste canoniste Cauchon voulant offrir, aux termes d’une tractation, avec le parti Gallois un outil de propagande à la royauté française !-, à une pauvre fille perdue encapuchonnée. Que Dieu ait son âme, véritable victime politique ! Et Jeanne serait morte bien plus tard, après avoir été reçue en compagnie de ses frères à Orléans, signé un acte notarié pour une vente, été accueillie à Cologne, et inhumée dans le château familial de Pierre. Je n’en discute guère, car Sermoise était, avec son épouse, si aristocrate et modeste, bien plus érudits que moi et lisait ses documents médiévaux familiaux qu’il cédera à la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu. Il habitait alors rue Condorcet, devant Saint-Lazare.
Certains voient même dans toute cette légende de Jeanne une fiction propagandistique. Dieu seul sait la vérité. À révisionniste, révisionniste et demi, ou alors… c’est la symphonie récentiste qui balaye tout, comme un ouragan défait les demeures instables.
Cette attitude révisionniste, qui est pointilleuse comme peut l’être un professeur de thème latin, suscite des résistances, et une intervention - souvent incomprise par les esprits libres - , de la justice. En fait, celle-ci ne s’occupe pas d’histoire, ou n’en donne l’apparence que pour défendre l’ordre public, ou la réputation de personnes ou personnalités morales qui se sentent atteintes. La justice maintient un statu quo, comme dit l’OTAN quand elle intervient avec sa R2P (responsabilité de protéger !). La vérité n’a donc rien à voir, ou n’est citée qu’à titre de témoin, et son temps de parole, dans l’enceinte d’une cour, est toujours limité. L’Évangile en donne un exemple.
Or un mouvement plus important que le révisionnisme avance comme une vague gigantesque, et relativement à lui, le second un mal, pour les uns, ou miracle pour les autres, pâlit, comme l’arithmétique devant le calcul intégral ! Le récentisme dont nous allons parler est d’une conséquence plus catastrophique pour l’ordre ou, si je reprends une formule du philosophe catholique français grenoblois feu Emmanuel Mounir bien oublié aujourd’hui, père du « personnalisme » : « le désordre établi » !
Ce n’est plus le contenu d’un cadre, un détail ou une couleur qui est effacé du tableau, mais le musée lui-même, son espace pour ainsi dire, à savoir la chronologie que le récentisme révolutionne. La maison de l’histoire se trouve transportée comme la demeure de Marie d’Éphèse à Lorette où la visita en pèlerinage Descartes !
Tel illustre révisionniste, reprenant une formule d’un de ses collègues, disait que ce mouvement international était la plus grande aventure intellectuelle du siècle ; pour d’autres, c’est le scandale, mais les deux points de vue diminuent face au gigantisme du Gulliver récentiste.
Voltaire reconnaissait, et ce pourrait être un sujet de dissertation philosophique, si l’on consentait à donner à la jeunesse les moyens de se former intellectuellement par cet exercice de réflexion, affirmait donc dans les Lettres Anglaises, où il parle de la réforme de la Chronologie historique par Newton, qui raccourcissait les antiquités grecques et égyptiennes en fonction d’observations astronomiques : tout est plus récent qu’on ne dit. C’est le sens du récentisme, et ce n’est pas sans conséquence que cette proposition se trouve chez l’inventeur de la méthode historique, et aussi de l’expression de « philosophie de l’histoire » qui fera fortune en Allemagne où elle sera travaillée par Hegel et le juriste Savigny, créateur de l’expression « sens de l’histoire ».
Tous les récentistes se ressemblent-ils ? Non, car ils usent d’hypothèses variées, mais la réforme opérée par eux de la chronologie scaligérienne, qui produisit l’an 1 de la naissance du Christ et fixe ainsi les cadres, au 16ème siècle, à partir d’octobre 1583, de l’antiquité, aboutit à faire disparaître, si l’on veut ramener le calendrier julien (d’après Jules César, comme on le dit partout, sauf chez ceux qui rattachent, comme le saxon récentiste et polyglotte Landmann, le terme de Julien à la constellation nommée dans la tradition nordique Jul (prononcer youl) dont le terme se retrouve en suédois pour désigner Noël) ) – ramener donc ce calendrier julien vers une observation naturelle, en supprimant les écarts qui avaient conduit à un déplacement trop important de dates de fixation des fêtes (une dizaine de jours) un minimum de trois cents ans et pour Fomenko et son équipe, à faire ressortir des similitudes d’événements, dont la multiple répétition des distances temporelles fait songer à une reconstruction du passé, plus qu’à sa résurrection, pour reprendre une formule connue de Michelet.
Le point commun des récentistes est l’usage de l’expression de « temps fantôme » (Phantomzeit, en allemand). Il existe une reconstitution récentiste de l’histoire entreprise par Anatoli Fomenko et son équipe de mathématiciens et autres spécialistes, dont l’œuvre et le champ d’étude sont, pour ainsi dire, universels. Elle est dans le lignée du russe érudit ayant vécu sous le tsarisme et le stalinisme, Morozov ; et entre les deux guerres, en Allemagne de Willhem Kammeier - mort en zone soviétique- qui a produit, plusieurs ouvrages, qui anticipent cette école trentenaire récentiste, sur l’histoire de l’Allemagne occultée par les forces rivales, sur celle du premier Christianisme, et surtout de la Renaissance contemporaine du pouvoir politique triomphant de l’Eglise catholique romaine, pour exprimer une idée générale, qui est l’idée-force de ce mouvement, ce qui fait son unité intellectuelle, et sa conviction : une « grande action » – c’est expression allemande de Kammeier : « die grosse Aktion » - a effacé le passé pour le travestir sous la forme d’une antiquité arbitraire, en étendant cette forgerie à l’Asie, et bien sûr aux Amériques, en Afrique etc. Toute certitude est ôtée, chez les récentistes, à l’Histoire, au sens strict, avant le 17ème siècle, ce qui chez nous répond au règne d’Henri IV, et ce que nous connaissons imparfaitement ne remonte pas plus haut que le 9ème ou 10ème siècle.
La prétendue documentation manuscrite serait une fabrication de la fin du prétendu Moyen-Age, comme le répète, dans quelques opuscules latins réimprimés aujourd’hui aux Etats-Unis, le Père jésuite Jean Hardouin, auteur, faut-il le dire, d’une Histoire des Conciles, demandée par Louis XIV, et qui assura jusqu’à la fin de son existence chrétienne, que le seul réel était celui du Concile de Trente ! Tel était ce que Voltaire nomma le « système d’Hardouin » !
Charlemagne, ceci dit pour ceux qui aiment les confidences, est unanimement effacé de l’histoire par tous les chercheurs récentistes et aussi, par voie de conséquence, tel calife bagdadi Haroun Al Rachid qui a aussi sa place dans les Mille et une Nuits, n’aurait pu lui envoyer une horloge !
Dire que l’opposition au récentisme sera plus forte que celle faite au révisionnisme, car il touche toute l’histoire mondiale, va de soi ; il est vrai, disons-le par souci de compréhension, que l’information tue l’information, une fois passée un certain seuil, et qu’à vouloir trop prouver ses titres de noblesse, l’humanité n’hésite pas à recourir aux artifices visibles, comme une dame trop âgée jouant les coquettes !
Le récentisme serait-il une jeunesse de l’esprit ? ll sera donc invincible, car le temps le nourrit et il ne mourra qu’au terme d’un nouveau monde non encore éclos, en se fondant dans une nouvelle image du destin, de l’origine de l’humanité, et de la Création même.
Le darwinisme ou l’évolutionnisme, sinon le plat matérialisme qu’on enseigne, seront atteints aussi par cette refonte de la Chronologie impulsée par la Russie et l’Allemagne, qui développera la critique.
Née de notre nuit qui s’inventait une antiquité à sa mesure, comme pour admirer une voie lactée ou une clarté lunaire que nous prendrions pour un soleil, il s’absorbera dans un autre jour, et bien sûr la dialectique continuera, que nous nommons l’Esprit. C’est le cas de dire avec l’insurpassable Hegel que l’esprit est le temps. Geist ist Zeit !