La Somalie étant encore frappée par une famine, une nouvelle fois les médias déversent des images atroces accompagnées de commentaires dégoulinants de bons sentiments et chargés de reproches culpabilisateurs. Comme si nous, Européens, avions la moindre responsabilité dans ce drame dont les deux principales causes répétitives sont clairement identifiées :
Une guerre tribale que se livrent des clans historiquement rivaux.
Une surpopulation suicidaire qui a détruit le fragile équilibre écologique régional. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement avec un taux de natalité brute de plus de 48% et un indice de fécondité par femme atteignant 6,76 enfants ?
Au moment où une intense campagne vise à préparer les esprits à une intervention, il est impératif de donner les clés du problème somalien tant il est vrai que seul le retour à l’histoire permet de tempérer les émois humanitaires :
1) La Somalie est en guerre depuis 1978. Le problème n’y est pas ethnique mais tribal, le grand ensemble ethnique somali qui occupe une vaste partie de la Corne de l’Afrique est en effet divisé en trois grands groupes (Darod, Irir et Saab), subdivisés en tribus, en clans et en sous clans qui se sont toujours opposés. Hier pour des points d’eau et des vols de chameaux, aujourd’hui pour des trafics plus « modernes ».
2) Le 15 octobre 1969, après l’assassinat du président Ali Shermake, le général Siyad Barre prit le pouvoir. C’était un Darod de la tribu Maheran. En 1977, il lança son armée dans l’aventureuse guerre de l’Ogaden. Dans un premier temps, l’armée éthiopienne fut balayée, puis l’offensive somalienne se transforma en déroute. Après cette défaite, les réalités tribales s’imposèrent avec encore plus de force qu’auparavant et le gouvernement ne fut plus désigné que sous l’abréviation MOD, qui signifiait Marehan-Ogadeni-Dhulbahante, à savoir les trois clans associés aux affaires.
3) Une terrible guerre tribale opposa ensuite les Darod entre eux. Finalement, la tribu Hawiyé l’emporta sur celle des Maheran et le 27 janvier 1991 le général Siyad Barre fut renversé.
4) La Somalie subit alors la loi de deux factions antagonistes du CSU (Congrès somalien unifié), mouvement tribal des Hawiyé, qui éclata sur un critère clanique opposant le clan agbal d’Ali Mahdi Mohamed au clan Habar Gedir dirigé par le « général » Mohamed Farah Aidid. Dans le nord du pays, le 18 mai 1991, le Somaliland, ancien protectorat britannique, se déclara indépendant.
5) La guerre des milices provoqua une atroce famine et l’opinion américaine se mobilisa. En France le docteur Kouchner lança la campagne du « sac de riz pour la Somalie ». Puis, au mois de décembre 1992, un corps expéditionnaire US débarqua dans une mise en scène théâtrale pour « rendre l’espoir » aux populations somaliennes. L’opération « Restore Hope » avait été déclenchée au nom d’une nouvelle doctrine inventée pour la circonstance, l’ingérence humanitaire, ce colonialisme des bons sentiments. Ce fut un échec cuisant et le 4 mai 1993, l’ONU prit le relais des Etats-Unis en faisant débarquer un corps expéditionnaire de 28.000 hommes. Le 5 juin, 23 Casques Bleus pakistanais furent tués par les miliciens du « général » Aidid et le 12 juin, un commando américain échoua dans une tentative de représailles contre le chef de guerre somalien. Le 3 octobre enfin, 18 soldats américains perdirent la vie dans l’affaire de la « chute du faucon noir ».
6) Au mois de mars 1994, à Nairobi, un accord de réconciliation fut signé entre les deux chefs hawiyé, mais il demeura lettre morte. A partir du mois d’août, l’anarchie fut totale, les hommes d’Ali Mahdi contrôlant le nord de Mogadiscio et ceux du « général » Aidid le sud. Le 22 août, 7 Casques Bleus indiens furent tués. Les Américains rembarquèrent alors, abandonnant dans le bourbier somalien le contingent de l’ONU composé de soldats pakistanais et bengalais. Le 28 février 1995, il fallut un nouveau débarquement baptisé opération « Bouclier unifié » pour extraire les malheureux devenus otages. L’ONU quittait la Somalie sur un cuisant échec politique et militaire qui lui avait coûté 136 morts et 423 blessés.
7) Les clans somalis se retrouvèrent alors entre eux et ils s’affrontèrent de plus belle. Le 1° août 1996, le « général » Aidid, grièvement blessé au combat mourût. Son fils Hussein Aidid lui succéda à la tête de son parti, le CSU/UNS (Congrès somalien unifié/Union nationale somalienne), c’est à dire sa milice tribale composée du noyau dur du sous clan des Saad, lui-même étant une sous division du clan des Habr Gedir de la tribu hawiyé. Dans le sud du pays, les miliciens de Hussein Aidid s’opposèrent aux Rahanwein, ces derniers s’affrontant ensuite en fonction de leur appartenance clanique tandis que dans le nord-est, plusieurs composantes des Darod dirigées par Abdullahi Yussuf Ahmed créaient au mois d’août 1998 une région autonome baptisée Puntland.
8) En 2004, après d’interminables discussions entre les factions claniques, un accord de partage du pouvoir fut trouvé, mais le Gouvernement Fédéral de Transition, incapable de s’installer en Somalie fut contraint de « gouverner » depuis le Kenya.
9) Puis un nouveau mouvement fit son apparition sur la scène somalienne, les Tribunaux islamiques dont les milices, les Shababs (Jeunes) menacèrent de prendre Mogadiscio. Au mois de décembre 2006, pour les en empêcher, l’armée éthiopienne entra en Somalie sans mandat international, mais encouragée par les Etats-Unis.
10) Par le vote de la Résolution 1744 en date du 21 février 2007, le Conseil de sécurité de l’ONU autorisa ensuite le déploiement d’une mission de l’Union Africaine, l’AMISOM. L’UA avait prévu qu’elle serait composée de 8000 hommes, or les pays volontaires ne se bousculèrent pas.
Depuis, à l’exception du Somaliland et dans une mesure moindre du Puntland, les islamistes contrôlent la majeure partie du pays. Or, pour eux, la famine est une véritable aubaine car :
Elle va leur permettre d’être reconnus par la « communauté internationale » qui devra traiter avec eux pour l’acheminement de l’aide alimentaire.
Elle va leur permettre d’achever la prise de contrôle du pays.
Elle va leur permettre de tirer de juteux profits des détournements de cette aide, comme cela avait été le cas lors de la grande famine d’Ethiopie dans les années 1984-1985.
La conclusion de cette mise au point est donc claire : nous n’avons rien à faire dans cette galère. A moins, naturellement, de vouloir verser dans le « tonneau des Danaïdes » somalien une aide qui serait pourtant tellement utile à nos SDF et à toutes ces familles françaises qui ne mangent plus à leur faim. Enfin, mes pensées vont à cet officier français - et à sa famille -, prisonnier des milices somaliennes depuis deux longues années et dont le sort n’émeut pas particulièrement l’opinion. Mais il est vrai qu’il n’a pas la chance d’appartenir à la corporation journalistique...