La quenelle est un met épicé, tout à la fois amer et sucré selon les goûts. Il suscite toujours des réactions tranchées avec netteté.
Ce plat provoque la surprise des commensaux et les convie à un moment de bonne humeur partagée agrémenté de propos de table particulièrement relevés. Les compagnons dégustant la quenelle s’attardent quelquefois aux qualités matérielles d’icelle. Mais sa saveur participe principalement du spirituel. Car l’étonnant dans le rituel de la quenelle est que les invités au repas observent un tiers pour qui le maître quenellier du moment a cuisiné.
On estime la longueur de la quenelle pour jauger sa qualité, son diamètre n’entre pas en ligne de compte. Les quenellologues usent d’un geste lorsqu’ils donnent leur avis sur la qualité du produit : un bras désigne le sol, la main opposée vient se placer entre le bout des doigts du bras pendant et l’épaule, comme si elle allait trancher, paume plus ou moins vers le haut. Parfois vers le corps. Plus la longueur entre l’extrémité du majeur de la main dirigée vers le sol et la main qui tranche est grande, meilleure est la qualité perçue de la quenelle. Si l’épaule est comprise, on parle de « quenelle épaulée », geste technique prisé des connaisseurs.
Un juge parfois lance un chiffre, sans unité, précédé de la préposition « de ». À titre indicatif une quenelle de 175 est déjà conséquente. Certains n’hésitent pas néanmoins à parler de quenelle « stratosphérique » quand la préparation est parfaite. L’appréciation varie donc avec une large amplitude. En revanche le mode de service de la quenelle demeure constant, il s’agit toujours de la « glisser ». En effet l’art du quenellage se rapproche de l’Art de la Guerre de Sun-Tzu. Ainsi que le conseille le stratège il s’avère nécessaire de feindre, de jouer d’une bêtise hostile, d’où le choix du service par glissage.
On s’aventure, lorsque le plat est servi et que le maître queux a bien œuvré, dans un festin de mots et l’on aborde, à la dérobade, des terres interdites par les conventions ou par les lois. Licence est alors donnée à tous les francs camarades de rendre gloire aux mânes d’Horace qui écrit dans ses Odes (I, 37) : Nunc est bibendum, pede libero/Pulsanda tellus [...] : Maintenant il faut boire, d’un pied libre/Ébranler le sol [...]. On se désaltère avec ce que l’on veut, vin de poètes persans ou boissons ni fermentées ni distillées, car l’on exprime avant tout sa condition d’être libre et joyeux.
L’auto-quenellage signe la bêtise.