La Suisse n’aurait pas dû condamner Dogu Perinçek pour négation du génocide arménien. La Cour européenne des droits de l’homme estime [en confirmation de son jugement de 2013, NDLR] qu’elle a violé sa liberté d’expression.
La Suisse a violé la liberté d’expression du Turc Dogu Perinçek, juge la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle l’avait condamné pour discrimination raciale parce qu’il avait qualifié en 2005 le génocide arménien de « mensonge international ».
Dans son arrêt, la Cour de Strasbourg indique jeudi que les propos de Dogu Perinçek, président du Parti des travailleurs de Turquie (extrême gauche), « n’étaient pas assimilables à un appel à la haine ou à l’intolérance ». Le contexte dans lequel ils ont été tenus en Suisse en 2005 n’était pas marqué par de fortes tensions ni par des antécédents historiques particuliers.
Les propos du leader turc ne peuvent pas être regardés comme ayant attenté à la dignité des membres de la communauté arménienne au point d’appeler une réponse pénale en Suisse. Aucune obligation internationale n’imposait en outre à la Suisse de criminaliser des propos de cette nature, selon la Cour de Strasbourg qui s’est prononcée à la majorité de dix juges contre sept.
Censure des tribunaux suisses
Les tribunaux suisses apparaissent « avoir censuré le requérant (Dogu Perinçek) pour avoir simplement exprimé une opinion divergente de celles ayant cours en Suisse. L’ingérence a pris la forme grave d’une condamnation pénale ». Pour la Cour, il n’était « pas nécessaire » dans une société démocratique de condamner pénalement Dogu Perinçek afin de protéger les droits de la communauté arménienne.
Dans son arrêt, la cour se dit « incompétente » pour prononcer une conclusion juridique contraignante sur le point de savoir si les massacres et les déportations massives d’Arméniens en 1915 peuvent être qualifiés de génocide. Elle renvoie pour une telle détermination à un tribunal pénal international.
Pas comme pour l’Holocauste
Autre point très attendu jeudi, la différence faite en première instance par Strasbourg entre le sort des Arméniens il y a un siècle et l’Holocauste. La Grande Chambre reprend cet argument et note que s’il y a incitation à la haine ou à l’intolérance quand il y a négation de la Shoah, « elle n’estime pas qu’il puisse en aller de même dans la présente affaire ».
Le contexte n’implique pas que les propos de Dogu Perinçek relatifs à 1915 « nourrissaient des visées racistes et antidémocratiques et il n’y a pas suffisamment d’éléments qui permettent de le prouver ». Les déclarations du président du Parti des travailleurs de Turquie ne peuvent ainsi pas être assimilées « à des appels à la haine, à la violence ou à l’intolérance envers les Arméniens ».
Revers et colère
Pour la Suisse, ce jugement définitif prononcé à Strasbourg est un sérieux revers dans sa politique de lutte contre le racisme et des propos qui minimiseraient par exemple un génocide. La communauté arménienne avait déjà été scandalisée par le premier jugement de Strasbourg. Elle comptait sur la Grande Chambre pour « remettre les pendules à l’heure », en particulier sur cette différence entre Shoah et génocide de 1915.
Un article du Code pénal au coeur de l’affaire
L’article 261 bis du Code pénal suisse est au coeur de l’affaire Perinçek. Il a été accepté par le peuple en septembre 1994 puis est entré en vigueur le 1er janvier 1995. Depuis cette date, quelque 390 jugements ont été prononcés pour violation de la norme antiraciste, selon la Commission fédérale contre le racisme. De manière générale, il vise à protéger la dignité et la valeur humaines. Dans le cas Perinçek, la justice vaudoise s’est basée sur l’alinéa 4 :
« Celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité (...) sera puni d’une peine privative de liberté de trois au plus ou d’une peine pécuniaire. »