Créées en 2013, les écoles de formation devaient améliorer le niveau des professeurs des écoles. Dans l’académie de Créteil, on recrute des futurs enseignants en dessous de la moyenne.
Un instituteur qui fait cours les mains dans les poches, qui parle à ses CM2 comme un « grand frère » de banlieue, avec « ouais » et « j’en ai marre » à foison. Une autre qui explique à ses élèves la signification du verbe « dérider » en prenant l’exemple d’une maman qui s’applique une crème anti-âge. Un troisième, pourtant professeur des écoles lui aussi, incapable de formuler une phrase sur le mode interrogatif ; l’inversion du verbe et du sujet constituant une prouesse apparemment hors d’atteinte. À Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne), des professeurs réunis dans les locaux de l’école supérieure du professorat et de l’éducation (Espe) de l’académie de Créteil égrènent les anecdotes pour le moins préoccupantes.
Mises en place au début du mandat de François Hollande, en 2013, les Espe avaient pourtant pour mission d’assurer une formation de qualité aux futurs professeurs des écoles. En son temps, Nicolas Sarkozy avait, pour sa part, décidé la suppression des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), propulsant des générations de jeunes enseignants démunis devant des élèves pas toujours enclins à l’indulgence. Les nouvelles Espe devaient remédier au problème en accompagnant les instituteurs dans leur apprentissage du métier. À Créteil, l’académie qui compte le plus de territoires « perdus » de la République – Saint-Denis, Bobigny, Aulnay-sous-Bois –, il semble, hélas, qu’on n’y soit pas encore.
« C’est une catastrophe, assène franchement une formatrice, qui préfère conserver l’anonymat. Je ne veux pas tirer sur l’ambulance, les Espe font ce qu’elles peuvent avec des moyens riquiqui, mais je constate une telle dégradation depuis cinq ans ! Ce n’est plus possible, il faut que les gens sachent : dans la Seine-Saint-Denis, on recrute des instituteurs qui ne savent pas écrire le français ».
Trop de postes à pourvoir
En vertu d’un système d’affectation qui, décidément, marche sur la tête, les élèves qui ont les plus grandes difficultés scolaires héritent encore et toujours des plus mauvais enseignants de France. En cause : le nombre de postes à pourvoir, énorme, qui facilite énormément les chances de réussite au concours. « À titre d’exemple, quand on cherche 772 instituteurs à Lille, on en cherche 1 635 pour la seule ville de Créteil », relève Aude Gerbaud, maître de conférences en histoire et formatrice depuis une dizaine d’années. Autrement dit, le manque de profs est tel que ceux qui ne sont pas assez bons pour décrocher le sésame dans leur académie d’origine ont tout intérêt à sauter dans un train pour venir passer le concours en région parisienne.
« Il y a quelques années, on recrutait à 4/20 : il suffisait de savoir mettre une croix en bas d’une page pour être admis, poursuit Aude Gerbaud. Maintenant, on ne descend plus au-dessous de 8/20, et les chances de succès sont passées à 56 %. Mais ça reste beaucoup plus facile qu’ailleurs en France, où la réussite tourne plutôt autour de 10-12 % ».