Au printemps 2010 le montant des obligations grecques détenues par les banques européennes s’élève à 134 milliards d’euros. Sur cette somme, 52 milliards sont logés aux bilans des grandes banques françaises [1]. Le risque d’un défaut de la Grèce est donc une menace mortelle pour le système bancaire français. Recapitalisation forcée et ponction des dépôts des clients pointent leur nez. II a y le feu, il faut agir vite et fort.
Angela Merkel et surtout Nicolas Sarkozy montent au front. Après une campagne médiatique incessante et la pression des marchés financiers, les parlements européens votent la constitution du Fonds européen de stabilité financière (FESF), qui est un mécanisme de secours aux États surendettés dont le financement est à la charge de l’ensemble des États de la zone euro, réparti au prorata de leur poids dans l’économie. Dans l’urgence il octroie un prêt de 110 milliards d’euros à la Grèce [2]. Dans la presse, ce plan est présenté comme une aide aux pauvres Grecs ; dans les faits il s’agit du plus grand plan de sauvetage du système bancaire européen et plus particulièrement des banques françaises, car les 110 milliards ont en réalité permis au gouvernement grec d’assurer le paiement des intérêts sur la majorité des obligations détenues par les banques, et ainsi d’éviter leur défaut. Au final, celles-ci ont essuyé très peu de pertes sur les obligations grecques qu’elles détenaient ; elles ont même réalisé une belle opération en empochant les intérêts jusqu’à maturité [3].
Aujourd’hui, quatre ans après, nous sommes revenus au point de départ : la Grèce est de nouveau au bord du défaut de paiement et d’une sortie de la zone euro. Le plan de sauvetage de 2011 censé sauver les Grecs et l’euro apparaît clairement comme ce qu’il a toujours été : une socialisation des pertes des banques.
En effet, pour les contribuables français l’opération est salée : sur les 52 milliards d’expositions des banques françaises, ils récupèrent une ardoise de 44 milliards via le FESF, une somme dont ils ne reverront jamais la couleur. Qu’ont-ils obtenu en échange ? Rien. Les banques françaises, d’ailleurs, ne financent toujours pas l’économie réelle, et notamment les petites entreprises [4]. Elles ponctionnent les comptes de leurs clients de frais divers et injustifiés sans leur autorisation [5]. Elles prêtent à l’État français à des taux supérieurs à ceux que la Banque centrale leur concède généreusement. Mais pire que tout, elles n’ont pas reconstitué des fonds propres suffisants leur permettant de faire face aux secousses qu’implique une sortie de la Grèce de la zone euro [6]. Leur énorme bénéfice ayant été versé aux actionnaires et aux managements via de généreux dividendes et une politique de bonus agressive [7].
Le fait que les contribuables aient à payer pour les banques pour sauvegarder leurs dépôts paraît déjà scandaleux, mais si en plus il s’agit de banques étrangères, cela devient intolérable. C’est pourtant ce qui s’est passé pour la majorité des contribuables européens. En effet, des pays comme l’Italie ou l’Espagne n’étaient pas ou très peu exposés aux risques grecs en 2010 par leurs banques. À cause du FESF, ils se retrouvent avec une ardoise respectives de 39 milliards et 25 milliards [8]. Cette situation est d’autant plus inacceptable que la France, au final, si on prend en compte son exposition globale, s’en sort très bien. En effet, de 52 milliards d’exposition des banques on passe à 44 milliards pour l’état, soit une baisse globale de 8 milliards payé par l’ensemble des contribuables européens.