Se sentant trahis par l’Occident qui a durement sanctionné leur pays, de nombreux membres de la classe moyenne russe retournent leur veste et soutiennent désormais le chef du Kremlin.
Longtemps opposée à Vladimir Poutine, comme nombre de Moscovites aisés, Rita Guerman a changé d’avis. Aujourd’hui, elle soutient le maître du Kremlin qui « défend la Russie face à l’OTAN ». Cette brune sophistiquée de 42 ans perçoit comme une agression contre son pays les multiples sanctions occidentales imposées depuis l’intervention en Ukraine.
Comme cette productrice, nombre de membres de la classe moyenne moscovite se sentent « trahis » par l’Occident. Jusqu’au 24 février et l’entrée des forces russes en Ukraine, Rita, qui se définissait comme une « libérale anti-Poutine », concevait une publicité pour une entreprise basée à Kiev. Au départ, choquée, elle voulait céder ses « honoraires à l’armée ukrainienne ». Puis, après deux semaines de réflexion, elle dit avoir « ouvert les yeux ».
« Encerclés et exclus (…), nous, les Russes, avons été trahis par l’Occident », assure cette productrice, alors que les médias d’État n’ont cessé de marteler que l’Ouest est engagé dans une guerre économique, un « Blitzkrieg » russophobe. « Il y a le Coca-Cola et les iPhones et puis il y a des valeurs existentielles. J’ai reconsidéré mes valeurs », dit-elle. « Les masques sont tombés. Entrer en Ukraine était la seule solution pour Poutine pour nous protéger des Anglo-saxons », conclut-elle.
Punition collective
Fin mars, le taux d’approbation du président russe dépassait 80 %, selon plusieurs sondages dont l’exactitude reste difficile à évaluer. La « classe moyenne » a choisi son camp. « Ces Russes aisés, souvent sceptiques par rapport au pouvoir, soutiennent désormais Poutine face à l’Occident, alors que 60 % d’entre eux se disaient proches des Européens dans des sondages » précédant l’assaut militaire, constate Natalia Tikhonova, sociologue de l’Académie russe des sciences.
Cette classe sociale trouve injuste de subir « une punition collective », quand elle « ne votait même pas Poutine », souligne la spécialiste. Si des dizaines de milliers de Russes ont quitté leur pays depuis fin février, ceux qui restent ont accepté une nouvelle réalité. « C’est un fait accompli avec lequel ils vont maintenant devoir vivre », estime Natalia Tikhonova. En conséquence, le sentiment de « diabolisation des Russes par les Européens ne fait que les souder plus encore derrière leur drapeau ».
Pour Alexandre Nikonov, un père de famille de 37 ans, « l’heure n’est pas aux désaccords quand une hystérie antirusse sévit dans le monde ». Ce fonctionnaire des services d’urbanisme de Moscou se dit d’ailleurs satisfait que ses collègues opposés au régime « se soient calmés ». Des Russes privilégiés, habitués des séjours sur la Côte d’Azur et aux boutiques de luxe, laissent eux aussi éclater leur colère face aux sanctions jugées russophobes.
Anti-Occident
Sur Instagram, pourtant bloqué en Russie, l’influenceuse Marina Ermochkina, découpe au sécateur son sac à main qu’elle présente comme un produit Chanel, parce que le géant français refuse de vendre ses produits aux Russes. « Ces nouveaux bourgeois russes étaient la partie la plus libérale de la société, la seule capable de s’opposer à Poutine », regrette le blogueur politique Maxime Chevtchenko.
« Détruire leurs bases économiques signifie renforcer le régime autoritaire », poursuit ce critique du Kremlin suivi par 789 000 abonnés sur YouTube. Lui-même a perdu sa principale source de revenus, la plateforme vidéo américaine ayant suspendu le versement de revenus publicitaires à ses utilisateurs en Russie. « À force de ne pas séparer la nation de son chef, l’Europe va voir apparaître à ses frontières un nouvel État : "l’Anti-Occident" », prédit le politologue Géorgui Bovt.