Popularisée outre-Atlantique par les partisans de Donald Trump, l’expression d’« État profond » n’a peut-être jamais été aussi populaire. En France, elle est de plus en plus fréquemment utilisée. Mais au fait, d’où vient-elle et, surtout : l’« État profond » existe-t-il vraiment ?
Le dictionnaire d’Oxford définit le terme deep state (« État profond » en français) comme « un groupe de personnes, généralement des membres influents d’organismes gouvernementaux ou des militaires, tenus pour être impliqués dans la manipulation secrète ou le contrôle de la politique gouvernementale ». Et Google Trends est formel : l’expression n’a jamais fait couler autant d’encre qu’au cours des 12 derniers mois. Un sondage d’opinion publié au mois d’avril dernier pour ABC et le Washington Post révèle que 48% des Américains croient à l’existence d’un « État profond » aux États-Unis.
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Si le concept peut faire valoir ses prétentions à rendre compte imparfaitement mais sûrement d’une partie bien tangible de la réalité dans le contexte de régimes semi-démocratiques ou autoritaires comme en Turquie et en Égypte (on parle en arabe de dawla âmiqa), où le pouvoir civil est placé sous la surveillance, voire la tutelle directe de l’armée, il apparaît en revanche autrement plus discutable de parler d’« État profond » s’agissant de démocraties libérales politiquement stables, garantissant les libertés publiques fondamentales, dotées de contre-pouvoirs efficients, d’une presse plurale et d’un État de droit authentique.
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D’Alain Soral à Éric Zemmour ou Aymeric Chauprade en passant par Stephen Bannon, Alex Jones et l’animateur de la chaîne Fox News, Sean Hannity, chacun dispose avec cette notion mal dégrossie d’« État profond » du sésame qui lui manquait pour raconter à peu près n’importe quoi sans jamais avoir à le prouver. Ainsi a-t-on vu le site d’extrême droite américain Breitbart accuser l’« État profond » d’avoir organisé la fuite d’informations sur Trump au New York Times et au Washington Post. Le fils du président, Donald Trump Jr, a décrit quant à lui l’« État profond » comme « réel, illégal et menaçant la sécurité nationale ». Le président Trump lui-même a retweeté un appel à agir contre l’« État profond » en raison de son prétendu sabotage de l’action gouvernementale...
A contrario, l’ancien directeur de la CIA, le général Michael Hayden, récuse catégoriquement la pertinence du concept : « C’est une formule que nous avons utilisée pour la Turquie et d’autres pays comme ça, mais pas pour la république américaine. »