Il aura fallu à la Chine, première puissance économique du monde jusqu’au XVIIe siècle, plus de 300 ans pour retrouver ce rang de numéro un, qu’elle doit aussi bien à sa propre croissance rendue possible par les réformes économiques initiées par Deng Xiaoping en 1978, qu’au processus simultané de déraillement au ralenti (et programmé ?) des pays de l’OCDE depuis le début des années 80.
La France, aujourd’hui déclassée et en cours de dissolution dans la marmite européenne, peut-elle connaître un renouveau similaire à celui de la Chine ? Un diagnostic rapide du déclassement de la France est nécessaire avant de répondre à cette question.
La lente érosion de la souveraineté
Une succession de coups, qui s’avéreront fatals, furent portés à la souveraineté de la France :
• La loi sur la Banque de France de 1973 (Loi Wormser / Giscard d’Estaing), abrogée par l’article 104 du traité de Maastricht puis l’article 123 du traité de Lisbonne ont instauré l’interdiction pour l’État de se financer auprès de la Banque de France, et l’obligation d’emprunter sur les marchés financiers, ce qui signifie la fin de la souveraineté monétaire et budgétaire française. La citation, attribuée à tort ou à raison à un grand banquier prive du XVIIIe siècle, « Donnez-moi le droit d’émettre et de contrôler la monnaie d’une nation et alors peu m’importe qui fait ses lois », illustre bien la menace directe que cette loi prédatrice fit porter sur la France.
• La loi de 1976 sur le regroupement familial (gouvernement Chirac), confirmée par un arrêt du Conseil d’état en 1978 alors que les Trente Glorieuses se terminaient, donna le coup d’envoi d’une immigration massive vers la France, qui n’avait déjà plus d’emplois à offrir à ses propres citoyens, y compris aux immigrés venus en France dans les années 60. Cette loi marqua « le début de la fin » de la souveraineté territoriale de la France, que les lois européennes n’ont fait qu’affaiblir jusqu’à la faire disparaître aujourd’hui, où défendre les frontières est passible de prison.
• Les nationalisations de banques et entreprises privées en 1981, suivies de certaines re-privatisations en 1986, furent en réalité un renflouage sur fonds publics d’institutions financières privées en faillite (ou faillite imminente mais gardée secrète), qui marqua le début du capitalisme de connivence, c’est-à-dire une perversion du capitalisme, qui ne peut fonctionner que si les entrepreneurs défaillants sont sanctionnés par le marché au lieu d’être renfloués grâce aux deniers publics sur décision des copains au gouvernement.
• Le principe de subsidiarité des politiques européennes aux politiques nationales fut pensé, de l’aveu même de ceux qui les ont mises en place (voir les aveux de Fabius au sujet du traité de Maastricht), pour rendre impossible tout retour en arrière du processus d’intégration européenne, même si les peuples européens le désiraient.
La démocratie libérale contre la souveraineté
Pour retrouver le chemin de la souveraineté, si tant est que ce soit le souhait de la majorité des Français, la France ne peut plus faire l’économie d’une prise de conscience des évolutions fulgurantes qui ont lieu dans le monde non occidental.
Ces évolutions, apparues dans des systèmes fondamentalement différents des démocraties libérales, et basées, particulièrement dans le cas de la Chine, sur une souveraineté à 360 degrés, sont en passe de placer l’UE à la remorque de l’hégémon anglo-américain et du nouveau monde des BRICS.
Or, même après 40 ans de déclin socio-économique, il persiste en Occident une ignorance, doublée d’un manque d’intérêt, pour les raisons de la croissance chinoise et des BRICS en général.
Cette ignorance est particulièrement flagrante lorsqu’on constate que les journalistes économiques français (tous stipendiés par le CAC40) se délectent à demi-mots des faillites récentes d’entreprises chinoises, ne réalisant même pas qu’ils ricanent des conséquences vertueuses d’un système politique qui, au contraire des gouvernements occidentaux, n’entrave pas l’assainissement naturel de son économie.
Ces faillites sont un facteur déterminant du succès et de la pérennité de l’« économie socialiste de marché à caractéristiques chinoises », et non la preuve de son effondrement imminent que nous annoncent journalistes, chercheurs et diplomates depuis trois décennies.
La faillite d’entreprises chinoises qui ont été mal gérées, n’ont pas su s’adapter aux évolutions du marché (post-covid, par exemple), ou ne sont plus compétitives, est une des clés du succès économique et financier de la Chine, car ce processus de sélection naturelle garantit aux investisseurs que leurs capitaux ne serviront pas à renflouer des canards boiteux.
En Occident, on s’est résigné à constater que la classe politique décide régulièrement, sans consulter son électorat, de renflouer des banques en faillite sur les deniers publics.
En ne faisant que commenter le nombre et la taille des groupes chinois en faillite, sans s’interroger sur l’absence d’un plan de sauvetage étatique, nos journalistes économiques illustrent à leur dépens la métaphore du doigt qui montre la Lune à l’idiot.
Un déclin diplomatique réversible
La politique étrangère de la France est, comme toutes les autres prérogatives régaliennes, soumise aux diktats européens, en dépit de l’illusion entretenue par les présidents-pubards Sarközy, Hollande & Macron. En lieu et place de diplomatie, ce triumvirat de quinquagénaires anglophiles n’a été capable que de mettre en scène des opérations de relations publiques pour la Team France, du folklore frenchie (les French Tech, French Touch, Deeptech, French Impact, etc.), du nation branding [promotion de l’image de marque nationale, NDLR] de pacotille au lieu de l’indispensable nation building [édification de la nation, NDLR…] qui doit faire l’objet d’attention constante.
Cette agitation économico-culturo-mondaine, faite de salons et de visites officielles aux coûts exorbitants pour le contribuable et l’environnement n’est qu’une parodie de diplomatie d’État, et ne doit le peu d’intérêt qu’elle suscite qu’à l’image rémanente chez les autres peuples de la grandeur française héritée d’un Napoléon ou d’un Charles de Gaulle.
Lorsque la France était encore souveraine, et rayonnait donc naturellement sur la scène internationale grâce au talent de ses entrepreneurs, ses grands groupes industriels et sa diplomatie, elle n’avait pas besoin de french festivals subventionnés par l’État pour promouvoir des films, des applications et des gadgets électroniques.
Cet effondrement du prestige diplomatique de la France, et son déclassement économique en comparaison aux économies émergentes, pose progressivement la question de son siège au Conseil de sécurité (CS) des Nations unies, qu’elle doit aussi à Charles de Gaulle.
Il s’agit de sa dernière pièce majeure pour rester sur l’échiquier multilatéral, qui accueille beaucoup de nouveaux joueurs.
Or, ce siège est convoité par l’Allemagne qui, à défaut d’obtenir le sien, aimerait « partager » celui de la France pour, en dernière instance, en faire bénéficier l’UE.
Tactiquement, si la France (comme le Royaume-Uni) souhaite conserver ce prestigieux siège que ses rangs diplomatique et économique réels ne justifient plus, alors Paris doit soutenir l’initiative chinoise d’équilibrer la représentation au CS, en y acceptant des pays en développement, et non pas une nouvelle fournée d’États occidentaux ou pro-Occident (Japon, Allemagne, Corée, etc.) comme cela est discuté depuis des décennies, sans d’ailleurs jamais aboutir.
La réforme de l’ONU ne peut pas se limiter à faire rentrer plus de membres au CS pour donner une illusion d’équité, mais doit tendre à diminuer l’emprise occidentale (le milliard doré, soit moins d’un huitième de la population mondiale) sur cette institution sensée incarner la multi-polarité.
C’est en travaillant avec la Chine à l’élargissement du CS aux BRICS+ que la France pourra justifier de conserver son propre siège. Si au contraire elle s’accroche à la composition figée du CS depuis 1945, alors son statut de puissance intermédiaire lui sera inévitablement présenté comme argument pour qu’elle laisse sa place à plus puissant qu’elle, ou qu’elle mutualise son siège au CS avec les autres membres de l’UE.
Si la France, le Royaume-Uni et les États-Unis refusent une recomposition du CS, alors l’institution même de l’ONU deviendra obsolète dans moins d’une décennie, à l’instar des deux critères anachroniques qui justifient de l’appartenance d’un État à son CS :
• faire partie des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale (qui ne fut mondiale qu’à cause de l’implication du Japon, mais qui fut en réalité une guerre entre Occidentaux),
• et faire partie du club des puissances nucléaire, qui s’est considérablement élargi depuis 1945.
Ce n’est pas en allongeant une liste d’États observateurs du CS, mais au contraire en l’ouvrant à d’autres puissances régionales que l’ONU sera véritablement représentative de la scène internationale, et conservera sa légitimité, sérieusement entamée par l’influence disproportionnée du G7 (les États-Unis en premier lieu) sur l’institution.
La France, le Royaume-Uni et les États-Unis peuvent certes refuser cette évolution, et survivre encore quelques temps à l’obsolescence croissante de l’institution, mais ce faisant, ils favoriseront alors l’attractivité croissante d’organisations concurrentes, réellement multipolaires telles les BRICS+, l’Organisation de coopération de Shanghai, et l’Union économique eurasiatique.
Gesticulations ou changement de cap ?
Les déclarations récentes d’Emmanuel Macron sur l’importance de « l’autonomie stratégique » ne concernaient que l’Union européenne, et non la France qu’il préside, alors que c’est Paris qui détient l’outil ultime de l’autonomie stratégique, son siège au Conseil de sécurité de l’ONU, obtenu de haute lutte par son illustre prédécesseur.
Sa récente demande à participer au sommet des BRICS en Afrique du Sud, en plus d’être saugrenue, démontre qu’il n’a pas l’intention ou le tonus de mener le vrai combat pour l’autonomie stratégique là où il peut être déterminant, et donc dangereux : à l’ONU.
La sincérité de Macron sera testée par un positionnement de la France en faveur d’un élargissement du CS à certains pays en développement, et pas lors d’une énième séance de photo en Afrique au sommet des BRICS, où la France n’a pour le moment rien à faire, et où sa présence ne ferait qu’éveiller des soupçons de néocolonialisme.
La relation privilégiée de la France avec la Chine, héritée elle aussi du général de Gaulle, peut être pérennisée et renforcée en soutenant cette initiative diplomatique chinoise d’élargissement du CS à certains membres des BRICS+.
Le temps des déclarations d’admiration pour la culture chinoise, tout comme la nécessaire mais triviale coopération culturelle, doivent faire place à une authentique collaboration diplomatique au sein des instances internationales.
La France peut et doit soutenir, contre l’avis du Royaume-Uni et des États-Unis s’il le faut, les initiatives chinoises quand elles sont bonnes pour la France. C’est le cas de cette proposition chinoise de réforme du CS de l’ONU.
Le général de Gaulle a, dès 1958, bataillé contre l’avis de l’hégémon anglo-américain qui tentait de le dissuader d’établir des relations diplomatiques avec la Chine, ce qu’il fit tout de même en 1964. Il persévéra dans ce qu’il savait être une décision bonne pour la France, inscrite dans le sens de l’Histoire.
Soixante ans plus tard, les Chinois ne l’ont toujours pas oublié, et la France continue de tirer des bénéfices de cette décision courageuse et visionnaire.
La France a aujourd’hui une nouvelle chance de contribuer au sens de l’Histoire et de revendiquer à nouveau son statut historique de neutralité diplomatique, en travaillant main dans la main avec la Chine à réformer l’ONU pour en faire l’institution réellement multilatérale qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.
Ce faisant, la France retrouvera son prestige diplomatique et confirmera sa place de premier plan sur l’échiquier des nouvelles relations internationales.
N.B. : L’auteur, Laurent Michelon, est entrepreneur en Chine, où il travaille depuis plus de 20 ans entre Hong Kong et Pékin.