Une agression au couteau relance toute la machine médiatico-policière. Un homme, vers 7h30 ce matin du lundi 14 décembre 2015, attaque un enseignant de l’école maternelle Jean Perrin à Aubervilliers en invoquant « l’État islamique ». Après plusieurs coups de cutter ou de couteau, notamment à la gorge, il s’enfuit. Les forces de police investissent les lieux, puis les environs, à la recherche de l’agresseur.
Quelle que soit l’issue de cette chasse à l’homme, sur Twitter, déjà, des sentinelles rappellent que dans son dernier numéro, le magazine (!) de Daech proposait de s’en prendre aux enseignants français. On dirait que toutes les catégories socioprofessionnelles vont y avoir le droit. Très corporate, les djihadistes ! Et on imagine mal, dans une Syrie ou un Irak en feu, avec les bombardements croisés des F-15E Strike Eagles, des F-16 Falcon, et des F-22 Raptor, sans oublier les Su-34 flambant neufs russes, plus quelques sorties médiatiques des Rafale français, une rédaction de Daech travailler dans la sérénité pour pondre son dernier numéro. Surréaliste. Mais aujourd’hui, dans un réel désaxé par tous les enfumages et manipulations, tout paraît possible. Bientôt, on va avoir la chaîne d’information continue de Daech sur le câble, auprès de BFMTV et I-Télé, puis les panoplies Daech à Noël, les poupées qui explosent, et la grande école Sup de Daech, qui formera des cadres...
On pourrait continuer longtemps si le sujet n’était pas aussi douloureux. Pour ceux qui passent dans le quartier Charonne à Paris, où sont passés les tueurs, les séquelles ne sont pas que devant La Belle équipe ou le Bataclan, mais sur le visage des gens, déjà pas bien gais dans la capitale. On croise ici une femme qui boite, la jambe prise dans un appareil de rééducation – on imagine qu’elle a dû prendre une balle, car ce n’est pas encore la saison des retours du ski – accompagnée d’une amie, qui porte un bouquet de fleurs. Donc pas de quoi rire du côté des victimes. Mais du côté de la communication de l’État islamique, on est en droit de se demander si un centre d’appel (délocalisé au Maroc en partenariat avec Orange) et un pool de jeunes attachées de presse issues de l’EFAP ne va pas prendre en charge la « com » du Groupe. Et pourquoi pas Beigbeder, rompu à toutes les circonvolutions politico-mondaines, bombardé responsable en chef du lifting de l’image de Daech ? On l’a bien vu s’occuper du Parti communiste français... On n’ose imaginer rétrospectivement la tête des vieux militants. Surtout au vu des résultats.
Pour info, et pour rétablir un peu l’échelle des valeurs, ceux qui connaissent le 93 en général et Aubervilliers en particulier, ne seront pas surpris. C’est entre Stains et cette vieille ville industrielle puante (là où se traitaient il y a un siècle les cuirs et peaux, avec la très toxique chimie des colorants) du nord de Paris que les tueries inter-dealers sont les plus fréquentes, et le disputent en intensité avec les quartiers nord de Marseille. Décidément, le Nord n’a pas bonne presse...
Aubervilliers, ville pauvre qui accueille toute la misère du monde – on peut le dire, car c’est là qu’atterrissent habituellement tous les immigrés du monde refusés par les autres villes – compte théoriquement 77 000 habitants, selon le dernier comptage. En réalité, personne n’est capable de donner un chiffre exact, tant les clandestins ont investi la ville. En journée, comme une majorité d’Albertivilariens ne travaille (officiellement) pas, tout le monde est dans la rue : ça grouille, ça grenouille, c’est le souk, ou le ventre de Paris. C’est d’ailleurs là que les tueurs du 13 novembre se sont donné rendez-vous pour se planquer. Le Landy, les squats proches du périph, plus personne n’y met les pieds, tant l’endroit est malfamé. La police, qui est venue en force ce lundi matin pour rechercher l’auteur de l’agression, ne se déplace plus depuis longtemps pour de telles broutilles. Sauf que là, c’est du terrorisme, ça justifie le cavalerie, avec tambours et trompettes non pas du Bronx, mais des médias. Un pétard saute, on entend crier « Daech », et ça y est, toute la machine infernale se remet en branle.
Aubervilliers est la ville-test du rapport entre violence urbaine et effondrement économique. Violence sociale, urbanistique, économique, et ethnique. C’est un bordel indescriptible. Récemment, des vidéos de garages à ciel ouvert ont choqué les Français. S’ils savaient ! Les trafics en tout genre, les épiciers-receleurs, où les jeunes en vélos ramène quotidiennement le butin de leurs vols, les deals à ciel ouvert, les mômes de 15 ans dans des bagnoles de luxe, avec juste la tête qui dépasse au-dessus du volant, les islamistes qui refusent de laisser la priorité aux femmes sur la route, le commissariat démoralisé, qui chaque jour voit arriver des Africains qui ont perdu leur pièce d’identité, la carte Vitale qui soigne tout un immeuble, les CMU qui envoient des gonzesses en thalasso aux frais de la princesse, et la mairie, qui ferme les yeux sur ce chaos, et qui fait croire que les nouveaux quartiers d’artistes vont redorer l’image de la ville.
En vérité, Saint-Denis – qui explose (si l’on peut se permettre) économiquement – a tué Aubervilliers, mais c’est le lot de la guerre des villes, une prédation sociologique et urbaine sur laquelle nous reviendrons. Le terrorisme politique a fait beaucoup de mal à cette « poubelle » du 93 et de l’Île-de-France.