Chaque année, près de 2 millions d’animaux sont utilisés dans des expérimentations scientifiques en France. Des rongeurs, des lapins, des poissons… sur lesquels sont étudiées différentes pathologies à des fins de recherche. C’est cet enjeu d’intérêt général qui a poussé Hélène Bernard à travailler dans la recherche et l’expérimentation animale. Et c’est son souci de l’éthique et du respect des animaux qui l’en a fait partir.
Huit ans après ses premières alertes et avec le soutien de la Maison des lanceurs d’alerte, elle obtient gain de cause aux prud’hommes. Mais, malgré ses longs et nombreux efforts, rien ne dit que les atteintes à l’intégrité des animaux et la sécurité des personnels qu’elle a dénoncées ont cessé. Le cas d’Hélène illustre, comme tant d’autres, les failles du droit français en matière de traitement des alertes éthiques.
Retour sur l’affaire
Formée à la recherche biomédicale, passée par différents établissements publics et privés, Hélène intègre, en janvier 2012, l’ESRF – l’European Synchrotron Radiation Facility. Cet établissement mène des expériences scientifiques à partir d’une technologie rare : le faisceau synchrotron – une source extrêmement puissante de rayons X, produits par des électrons de haute énergie circulant dans un anneau de stockage. Une quinzaine de synchrotrons seulement existent dans le monde dont deux en France. Les expériences s’y déroulent dans des lignes de lumière : des laboratoires spécialisés, dotés d’instruments de pointe et d’équipes dédiées. L’ESRF, construit à Grenoble en 1994, compte 44 lignes de lumières.
L’une d’elle – la ligne biomédicale – utilise entre autre l’expérimentation animale. Dans le cadre de recherches expérimentales et pré-cliniques, on y étudie différentes pathologies – par exemple des tumeurs cérébrales. Les animaux sont alors irradiés et l’effet du faisceau synchrotron est observé sur l’évolution des tumeurs dans le temps. Les expériences utilisant ce synchrotron visent à identifier les mécanismes engagés dans les pathologies étudiées, à proposer des méthodes de traitement et à perfectionner les outils d’imagerie. Ces laboratoires travaillent ainsi sur une multitude de maladies : tumeurs, épilepsie, inflammations…
Embauchée initialement en remplacement d’une personne en arrêt maladie qui n’est jamais revenue, Hélène gère l’ensemble des laboratoires de la ligne dont l’animalerie. En tant que préparatrice support, elle accompagne les chercheurs dans leurs expériences : elle prépare le matériel, s’assure que les normes d’hygiène et de sécurité sont respectées, aide à réaliser certains gestes techniques… Pour l’animalerie, elle est aidée par une personne en sous-traitance qu’elle supervise.
Au bout de quelques mois, elle constate de nombreux dysfonctionnements au sein de l’animalerie. L’utilisation des animaux à des fins scientifiques pose de nombreuses questions éthiques. Hélène y est préparée, elle est formée à la législation en vigueur et aux règles déontologiques mises en place pour minimiser les souffrances infligées aux animaux.
Ces dysfonctionnements touchent à la sécurité du personnel et à la rigueur administrative mais aussi à l’éthique animale, l’hygiène et le respect des procédures : dépassement de points limites – ce moment où la souffrance ou la détresse d’un animal d’expérimentation doit est arrêtée ; manque d’observations et de visites aux animaux ; transfert de souillures biologiques dans des lieux communs comme la cantine et les bureaux ; protocoles de décontamination des locaux pas appliqués correctement ; cheveux en dehors de la charlotte, etc.
Elle signale ces manquements à l’employée ainsi qu’à sa responsable. Des rapports sont envoyés sans qu’elle ne constate d’évolution. Puis elle part en congé maternité : à son retour, elle ne supervise plus l’animalerie.
« Mes responsabilités ont été considérablement diminuées et c’est mon cœur de métier qu’on attaquait. C’est comme si on disait à un boulanger de nettoyer le four, les vitrines et faire un peu de vente mais de ne plus faire le pain et le levain. Tout ça pour que je ne voie plus ce qu’il s’y passe. Manque de bol : je voyais quand même. »
Des alertes restées sans suites
Ses nouvelles missions l’amènent tout de même à réceptionner des cages, peser des animaux. Parfois, elle est sollicitée pour les « sorties de congélateur » : le transfert des animaux décédés à l’animalerie. Elle voit des erreurs en permanence : des contenus de sacs qui ne correspondent pas aux étiquettes ou, plus inquiétant encore, des cages dont les noms des utilisateurs ont été inversés.
« Quand les animaux ne sont pas répartis comme il faut, c’est extrêmement grave car ça fausse et annule toute l’expérience scientifique. Les chercheurs qui viennent travailler sur l’épilepsie se retrouvent avec des animaux qui ont une autre pathologie et vice versa. »
Elle fait remonter ces manquements, photos à l’appui. Mais la réponse de sa direction n’est pas celle attendue : son attitude est considérée comme un harcèlement envers l’employée à l’origine des erreurs, et c’est Hélène qui est sanctionnée !
L’histoire ne s’arrête pas là : début 2015, de retour de ses congés de fin d’année, Hélène est sollicitée par le remplaçant de l’employée qui gère l’animalerie.
« Il est venu me voir car des lapins étaient dans un état pas possible et qu’il ne savait pas ce qu’ils avaient eu. Moi non plus, je n’en savais rien : on avait reçu ces lapins pour des expériences sur des inflammations articulaires mais j’en avais été complètement écartée, sans aucun droit de regard. »
Les lapins sont d’une maigreur extrême, et ce depuis plus d’une semaine. Ils sont manifestement dans un état de souffrance, ce qui, en plus d’être éthiquement impardonnable, fausse significativement les résultats et biaise de manière importante les articles scientifiques qui vont en découler.
« Ils étaient à 50 % de perte de poids. Normalement, on ne dépasse pas 20 %. » Ce seuil fait partie des « points limites » décidés par le comité d’éthique : des indicateurs de souffrance qui imposent la fin de l’expérimentation via l’euthanasie des animaux pour leur éviter de souffrir.
Elle envoie un mail à sa responsable et aux employés concernés. Réponse : tout va bien. On lui explique, graphique à l’appui, que la situation est gérée et que les personnes chargées des expériences s’évertuent à donner des compléments alimentaires et des bananes aux lapins pour leur faire reprendre du poids. En somme : circulez, il n’y a rien à voir.
Elle transmet alors ses observations à la direction de l’ESRF qui se contente de prendre acte des « problèmes relationnels » existant dans l’équipe et lui propose de rejoindre le comité d’éthique dédié à l’animalerie de l’ESRF – un comité normalement indépendant qui étudie et valide les projets de recherche déposés par les chercheurs et leurs équipes, de sorte à donner un cadre à l’expérience, tant en termes d’éthique et de bien-être animal que de réalité scientifique et méthodologique.
Hélène accepte en gardant en tête que ce comité est bénévole : lorsque des salariés d’établissements de recherche en font partie, c’est à titre bénévole, sans rémunération et sans lien de subordination, afin de préserver son indépendance.
Un comité d’éthique défaillant
Un nouveau cycle d’alertes commence alors. Lors de la création de ce comité d’éthique, sa supérieure hiérarchique – qui est également la responsable de l’animalerie de l’ESRF – demande à avoir un comité d’éthique dédié au site. Ce n’est pas contraire à la réglementation en vigueur mais le fait que ce comité soit composé à 80 % de personnel de l’ESRF ne va pas sans soulever des questionnements sur les risques de conflits d’intérêt, d’influences hiérarchiques et de représailles potentielles.
Hélène constate rapidement que le comité d’éthique ne suit pas les règles imposées par le ministère de la Recherche.
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