Bien que ne représentant que lui-même, il squatte, avec sa calotte blanche, les plateaux de télévision, les micros des radios, les manifestations « charliesques » et les commémorations. Voici l’incroyable histoire d’un pizzaïolo fondamentaliste musulman, toujours interdit de séjour aux États-Unis, qui, fort du soutien des représentants officiels de la communauté juive, est devenu l’interlocuteur privilégié de Nicolas Sarközy, puis de Manuel Valls. Et qui sera sans doute chargé d’incarner l’improbable « islam de France », c’est-à-dire un islam laïc.
Hassen Chalghoumi par lui-même et par les autres
« Quand je prends n’importe quel train en gare de Drancy, il m’arrive de penser que c’est le dernier train, que c’est mon dernier trajet. Que mon aller sera sans retour, comme celui des dizaines de milliers de juifs, qui ont pris... non, qui ont été embarqués de la même gare de ma ville vers le terminus de leur vie. Vers les camps de la mort. »
Hassen Chalghoumi, Pour l’Islam de France, Le Cherche-midi, 2010
« Peut-être que le courage a manqué en France, en 1940, pour dénoncer ce qui était en train de se passer. Aujourd’hui, je suis prêt à parler envers et contre tout, pour que de telles horreurs, comme la Shoah ou la tragédie de Toulouse, ne se reproduisent pas. »
Hassen Chalghoumi, Jerusalem Post, 8 janvier 2012
« Dieudonné, c’est Satan, un malade, un charlatan ! »
Hassen Chalghoumi, LeMondejuif.info, 22 janvier 2015
« J’entretiens d’excellentes relations avec le CRIF, qui m’invite chaque année à son dîner prestigieux. »
Hassen Chalghoumi, Magazine Tribu, octobre 2012
« Courageux. »
Bernard-Henri Levy, Le Point, 19 février 2010
« L’Imam des lumières. »
Annette Lévy-Willard, Libération, 6 juillet 2012
« En réalité, quand bien même l’imam de Drancy agirait par ambition personnelle, l’important n’est pas sa personne, que chacun a le droit de ne pas apprécier, mais les idées qu’il incarne. Il faut se rendre à l’évidence : pour certains de nos concitoyens, l’“islam de France” prôné par Chalghoumi n’est pas une chance pour les musulmans français, mais une menace pour leur identité. À ceux là, il faut faire entendre clairement la position de la République : Chalghoumi n’est pas un problème, il est la solution. »
Élisabeth Lévy, Le Point du 14 février 2013
« C’est un homme sincère et indépendant. Lui n’est pas influencé par des autorités étrangères. »
Samy Ghozlan (Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme) Le Figaro, 27 mars 2009
« L’islam des services. »
Farid Hannache, son ancien bras droit, Faux-imam Chalghoumi : la vérité sur une escroquerie islamophobe, août 2012
« Je m’appelle Hassen Chalghoumi, et le courage moral, c’est moi » :
Un ancien pizzaïolo fondamentaliste formé au Pakistan
Hassen Chalghoumi est né à Tunis en 1972. Fils d’un vétérinaire originaire d’Algérie et d’une femme au foyer originaire de Bizerte, il a grandi dans le quartier du Bardo dans une famille dont il a tenu à préciser à Libération (6 juillet 2012) qu’elle était « religieuse mais libérale ». Tous leurs enfants ont immigré : l’aîné Sabar Chalghoumi, installé en France, est marié à une Française depuis la fin des années 1980, le benjamin Khaled vit à Washington, où il est professeur de sport. Quant à leur sœur, Hadjar, elle est professeur et chercheur en médecine à Montréal (Canada). Hassen Chalghoumi a épousé une musulmane d’origine tunisienne née en France, Zineb : « Elle était voilée quand je l’ai rencontrée, mais ma mère et mes sœurs, ma fille de 14 ans ne sont pas voilées », explique-t-il à Libération, comme pour s’excuser d’être musulman. On notera d’une part qu’Hassen Chalghoumi n’a qu’une sœur, comme nous l’avons vu (il s’agit peut-être d’une erreur de transcription de la journaliste due à une prononciation approximative) et que d’autre part, Farid Hannache, qui fut son bras droit, indique que la mère d’Hassen Chalghoumi « n’a jamais retiré le voile, même à l’intérieur de sa maison ». Ses cinq enfants (Myriam, Mohamad, Soumeyya, Amina et Lyes), ont tous été inscrits dans des écoles privées catholiques : « J’ai un souvenir en tête. Lorsque ma fille Myriam, qui a 15 ans aujourd’hui, est allée à la maternelle, elle a ramené la photo de classe à la maison. Je me revois en train de la découvrir avec sa mère : “Dis donc ! Arabe, Noir, Arabe, Noir, Arabe…Alors ma chérie, il est où le reste ? On est où là à Tombouctou ?” » (Le Point, 14 février 2013).
En dépit de sa logorrhée, son passé est très largement méconnu, et n’a été évoqué dans les médias que pour en atténuer les parts d’ombre. D’après son autobiographie, il aurait suivi un enseignement coranique tout en obtenant un baccalauréat au très prestigieux lycée Alaoui de Tunis. Il aurait ensuite intégré l’université islamique Al-Zaytouna. Il aurait ensuite quitté la Tunisie en 1992, « après avoir été arrêté par la police de Ben Ali », selon son ancien « nègre » Farid Hannache.
Le futur « acteur remarqué du dialogue entre islam et judaïsme » (L’Express, 18 mars 2010), se rend alors brièvement en Syrie puis en Turquie avant de rejoindre Lahore au Pakistan, où il restera trois ans et demi dans une madrassa, école coranique ultra-fondamentaliste dépendant du mouvement Tabligh : « Après un an de perfectionnement en Inde, j’ai obtenu un diplôme de théologien qui me permet d’être imam », explique Chalghoumi (Pour l’Islam de France). « Peut-être, il a fréquenté les mêmes coins que Merah ? » s’interroge Farid Hannache. Depuis lors, il a oublié ce passé fondamentaliste : « Je n’ai jamais été fondamentaliste. J’ai pris un crédit pour acheter ma maison (ce que réprouve l’islam), je ne porte pas la barbe, je serre les mains de femmes et mes enfants sont dans le privé catholique » (Le Figaro, 27 mars 2009). Pourtant, un enregistrement de ses anciens prêches est bel et bien disponible :
Cette mouvance indo-pakistanaise marginale (les Maghrébins étant très majoritairement d’obédience malikite), mais extrêmement rigoriste, se distingue par son prosélytisme : « Tabligh : le “vrai” missionnaire d’Allah, écrit Le Parisien du 9 août 2008. Leur mission : réislamiser les banlieues. Le but du mouvement : d’abord “éduquer” la population, et ensuite le régime deviendra forcement islamiste. »
Moussa Khedimellah, dans la revue Socio-anthropologie (2001), indiquait :
« Le mouvement Tabligh reste […] un mouvement religieux associatif sous la haute surveillance des Renseignements généraux et de la Direction de la surveillance du territoire, notamment depuis l’affaire Khaled Kelkal en 1995 (lors de la vague d’attentats à Paris) mais surtout depuis l’attentat perpétré par deux jeunes Français à Marrakech en 1994. Les Renseignements généraux s’intéressent surtout aux prédicateurs réguliers les plus zélés, ceux qui sont allés quatre mois au Pakistan [Chalghoumi y est resté beaucoup plus longtemps, NDA] et en Inde et qui ont éventuellement pu rejoindre des camps d’entrainement en Afghanistan. Alors que Jean-Pierre Chevènement a tenté de lancer les bases d’une représentativité de l’islam français, le mouvement Tabligh reste suspecté de fomenter dans le secret des « mosquées des caves » des islamistes potentiels jamais trouvés pour le moment. »
Une fois formé et endoctriné au Pakistan, Hassen Chalghoumi rejoint la France, en 1996, s’installant chez son frère aîné en Seine-Saint-Denis. L’année suivante, il commence à prêcher dans les foyers immigrés, notamment au foyer Sonacotra de la rue Hector-Berlioz à Bobigny. En parallèle, rapidement devenu l’un des chefs de la mouvance tabligh en Île-de France, « sillonnant les banlieues pour pratiquer le prosélytisme pakistanais » (Farid Hannache), il se fait embaucher à l’Association pour une meilleure citoyenneté des jeunes (APMCJ), officiant, entre 1999 et 2003, comme « grand frère » à la RATP. Mourad Ghazli, responsable syndical à la RATP et ex-membre du comité exécutif du Parti radical, l’a bien connu à cette époque et ne revient toujours pas de sa récente ascension médiatique et politique :
« Il ne parle pas français, on n’a même pas réussi, nous à la structure de lui donner un niveau adéquat pour pouvoir l’insérer […] Il n’est même pas francophone. Il est incapable de faire une phrase sujet verbe complément. » (Oumma TV, 22 février 2013)
Tous ces éléments ne semblent pas avoir posé de problèmes à la République, bonne fille, qui lui délivre en 2000 la nationalité française.
Outre ses activités de cogérant de la Pizzeria Royale de Bobigny (2004-2006), on le retrouve ensuite chez Fedex comme manutentionnaire sur la plateforme de l’aéroport de Roissy, où il fait preuve de prosélytisme et rabat pour son association Al Hidaya Caravan, lancée en 2002, qui organise le « Hadj », le pèlerinage à La Mecque.
Le 11 août 2003, son badge d’accès à la plateforme de Roissy lui est retiré pour « raison de sûreté » (l’enquête portait initialement sur son frère). En effet, ses activités (cf. Jean-Charles Brisard qui cite des notes de la DGPN, AFP, 9 février 2010) ont attiré l’attention de la Direction générale de la police nationale, qui note qu’il tient des propos « particulièrement extrémistes » lors de prêches au foyer Sonacotra de Bobigny (l’autre imam de ce foyer a fait l’objet d’une procédure d’expulsion en 2003), protestant contre la dénonciation des « frères » à la police, encourageant au djihad (« celui qui va mourir au djihad ira au paradis ») et défendant le port de la burqa.
En 2004, « Chalghoumi devait être expulsé par le ministère de l’Intérieur français, indique Farid Hannache, mais il sera sauvé par l’intervention personnelle de Lhaj Thami Breze, l’ancien président de l’UOIF [lié aux frères musulmans NDA]. […], auprès de Claude Guéant alors directeur de cabinet de Nicolas Sarközy, ministre de l’Intérieur et auprès du préfet de Seine-Saint-Denis de l’époque, Jean-François Cordet. » Tout cela lui vaut d’être inscrit sur la no fly list des services antiterroristes américains et de demeurer toujours, semble-t-il, interdit de séjour aux États-Unis. À cette époque, Hassen Chalghoumi éprouve par ailleurs un vif intérêt pour la finance islamique (qui prohibe notamment l’usure), allant jusqu’à faire enregistrer le 6 avril 2005 auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) la marque « Banque islamique de France ».
« L’Amitié judéo-musulmane se porte garante pour lui »
Ciblé par les services de renseignement, brouillé avec son associé de la pizzeria de Bobigny, licencié par Fedex en 2006, Hassen Chalghoumi se retrouve sans ressources. Par ailleurs, deux ans plus tard, l’Arabie Saoudite lui retirera son visa d’exploitation pour l’organisation des pèlerinages à La Mecque car plusieurs pèlerins se seraient plaints auprès de l’ambassade saoudienne de Paris de ses pratiques (selon Farid Hannache).
Pourtant c’est à cette époque que son nom va curieusement apparaître publiquement pour la première fois, dans Le Monde en date du 1er juillet 2006. D’abord, Chalghoumi est présenté comme étant « l’imam de Bobigny » (Chalghoumi assure depuis avoir arrêté de prêcher à Bobigny en 2002), bien que nombre d’organisations musulmanes ne lui reconnaissent pas ce titre et que son nom n’apparaisse dans aucun organigramme ou document officiel. En fait, le nom de son association, Al Hidaya Caravan, a été cité dans le livre de Philippe de Villiers Les Mosquée de Roissy, qui est l’exploitation d’un rapport de la DST (qui figure dans son intégralité en annexe du livre) sur la pénétration islamique dans les entreprises de sécurité, en particulier à Roissy.
« Inadmissible amalgame » pour le quotidien du soir, qui décrit Chalghoumi comme « favorablement connu. Des élus locaux comme des services de police. […] Bernard Koch, assistant du rabbin Michel Serfaty, président de l’Amitié judéo-musulmane se porte garant pour lui. » En réalité Chalghoumi s’est fait remarquer quelques mois plus tôt, le 8 mai 2006 par Bernard Koch et l’Amitié judéo-musulmane, lors d’une commémoration organisée à Drancy. Il y a prononcé un discours où il s’est dit « directement concerné en tant que Drancéen » par la Shoah, une « injustice sans égal » (L’Express, 22 mars 2010). « En un temps record, résume Le Monde (3 février 2010), M. Chalghoumi va devenir le responsable musulman le plus prisé des pouvoirs publics et de la communauté juive pour son indépendance autoproclamée, sa disposition au dialogue interreligieux et sa défense d’un “islam de France modéré” […] “La communauté juive a ses coups de cœur. Depuis quelque temps, c’est Chalghoumi. Il n’y en a pas deux comme lui, alors on le cajole”, reconnaît un responsable juif. »
Depuis, Bernard Koch est considéré comme « un proche de la famille » Chalghoumi (Actualité juive, 12 septembre 2013), il « assure sa promotion » (Le Nouvel Observateur, 4 février 2010) et anime la page de soutien Facebook de son affidé, créée en 2009.
Dès 2007, il est propulsé président de l’Association des musulmans de Drancy, grâce à ses liens avec Jean-Christophe Lagarde, maire UDF de Drancy et futur président de l’UDI dont Chalghoumi est un « grand admirateur » (L’Express, 11 octobre 2007) et pour qui il aurait tracté lors de la campagne des législative de 2007 (cf. Faux-imam Chalghoumi : la vérité sur une escroquerie islamophobe). Également proche de son épouse Aude Levail-Lagarde, à laquelle il a certainement permis le noyautage d’une partie de la communauté musulmane locale, il obtient le financement d’une mosquée via un emprunt de 1,8 million d’euros. Officiellement, le lieu est une salle polyvalente et le projet a été soigneusement caché aux Drancéens pour n’être révélé qu’après la réélection de Jean-Christophe Lagarde aux municipales de mars 2008 (cf. « Quand le maire se félicite d’avoir menti… », Le Parisien, 6 septembre 2008). Parachuté président de l’association Al-Nour (la lumière), qui gère la mosquée de Drancy, il n’en est pas pour autant l’imam, bien que ce titre lui soit systématiquement attribué. À en croire Farid Hannache, « Chalghoumi n’est pas imam de Drancy. L’imam de Drancy s’appelle Noredine, il est d’origine comorienne, et l’ancien imam de Drancy s’appelle Houdeyfa, il est d’origine égyptienne. Chalghoumi n’a jamais été l’imam de Drancy » (BeurFM, 25 février 2013).
Dès lors, la mosquée va servir de base arrière aux activités politiques du « faux imam ». Très lié à Sammy Ghozlan, commissaire de police honoraire et président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme, l’« imam pas comme les autres » (Le Point, 26 janvier 2010) recevra par deux fois, entre 2008 et 2010, la visite du président du CRIF Richard Prasquier au sein même de la mosquée. Le 13 janvier 2009, pendant la guerre de Gaza de 2008-2009, dans Le Parisien, il demande que soient interdites les manifestations pro-palestiniennes, qu’il rebaptise « manifestations antijuives ». Dans la foulée, il est reçu à l’Élysée le 30 janvier 2009, puis au mois de mars suivant, accompagné de Marek Halter, il effectue un premier voyage en Israël, annonçant à son retour, lors du dîner du Conseil des communautés juives du Val-de-Marne, devant le rabbin Bernheim, les présidents du CRIF et du Consistoire, la création d’une association des imams de France. C’est ainsi qu’en juin 2009 est lancée la Conférence des imams de France, destinée à prononcer des « fatwas conformes aux valeurs républicaines » (sic).
« Tous les responsable juifs de France sont présents » (Le Monde, 3 février 2010), mais la soirée de lancement n’aura pas le succès escompté, ayant été boycottée à la fois par les représentant de l’Église catholique et par les représentants de l’islam. La conférence des imams de France restera une coquille vide, mais « l’imam des Lumières » a gagné son rond de serviette au dîner annuel du CRIF, ayant participé à toutes les éditions depuis 2009. Il est convié pour Roch Hachana, chez Marek Halter, siège au comité d’honneur de la Ligue belge contre l’antisémitisme de Joël Rubinfeld, participe aux conventions nationales du CRIF (comme en janvier 2013 pour une table ronde sur « les limites de la liberté d’expression » et sur la nécessité de « revendiquer le blasphème », avec Michel Boujenah et Yves Thréard), est convié aux « amis du CRIF » (comme le 5 novembre 2014), etc.
En juin 2012, « ce cheikh à l’allure sportive et occidentale, sans barbe, plutôt cadre-sup que chef spirituel » (Libération, 6 juillet 2012) s’est rendu à Tel Aviv en compagnie d’Alain Finkielkraut, Élisabeth Lévy, Caroline Fourest, etc., au forum « Religion et laïcité » avant de se rendre, au mois de novembre suivant, avec douze imams français, à Yad Vashem puis sur les tombes des victimes de Mohammed Merah (une initiative de l’ambassade d’Israël soutenue par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius). Aussi a-t-il été reçu en mars 2013 par Shimon Peres en personne, puis a effectué, en janvier 2014, un énième voyage en Terre promise avec l’agence israélienne « selectisrael.com », accompagné d’un groupe composé de 50 Français musulmans « pour effacer les préjugés des Français musulmans à l’égard d’Israël ».
En septembre 2011, il appelle, dans un communiqué signé de la Conférence des imams de France, à la libération du soldat israélien Gilad Shalit et reçoit le prix de l’amitié juive décerné par l’Union des patrons juifs de France. Ne rechignant jamais à qualifier d’intégristes ceux qui, parmi ses coreligionnaires, affichent un quelconque désaccord, il demandera, par exemple à plusieurs reprises, la fermeture du site Oumma.com.
Devenu logiquement un « paria parmi les siens » (Le Point, 16 septembre 2013), il se voit attribuer par les internautes musulmans le sobriquet d’« imam du CRIF ». En novembre 2014, il a notamment perdu un procés intenté contre un internaute qui avait posté une vidéo « Tout sur Chalghoumi, larbin du Crif et de Sarkozy ».
Faute de visa, il n’a pas pu se rendre au Congrès juif mondial à New York en 2010, passé tablighi oblige. Un passé qu’il dément vigoureusement aujourd’hui, comme dans le Jerusalem Post (8 janvier 2012), où il explique :
« Il ne faut pas croire tout ce que vous pouvez lire sur Internet. Je suis obligé de payer une société pour remettre à jour régulièrement ma fiche Wikipédia, hackée par les Frères musulmans. »
Voilà comment, en moins de trois ans, Hassen Chalghoumi est passé du statut de fondamentaliste fiché prêchant dans un obscur foyer Sonacotra de Seine-Saint-Denis à celui d’ambassadeur mondial de « l’islam des Lumières ». Dans une tribune publiée sur Le plus Nouvel Obs (14 février 2013), le directeur de l’IRIS, Pascal Boniface, a parfaitement défini son rôle objectif :
« Si Chalghoumi est rejeté, ce n’est pas parce qu’il est modéré, comme certains veulent le faire croire, mais parce qu’il est illégitime. Il est désigné représentant d’une communauté par ceux qui n’y appartiennent pas. Chalghoumi est ce que la sociologie américaine appelle un “native informant”, ces figures qui occupent la parole d’une communauté dont ils n’ont pas le soutien, mais qui tirent leur légitimité des médias et des milieux politiques dominants. Il dit ce que la majorité a envie d’entendre de la part d’une minorité, mais pas ce qu’elle pense réellement. Les “informateurs indigènes” valident les stéréotypes que la majorité véhicule sur leur communauté. On parle également des “rented negroes”, ces Noirs américains qui monopolisent le paysage médiatique pour donner “un visage de Noir pour une opinion de Blancs”. Chalgoumi est loué dans les deux sens du terme, et l’un parce que l’autre ! […] Le message qui est envoyé au public c’est qu’un imam modéré est rejeté par ses coreligionnaires, qui sont donc, dans leur majorité, extrémistes. La mise en scène de Chalghoumi, loin de combattre le préjugé d’un islam radical et intolérant, le conforte puissamment. […] Il est au dialogue judéo-musulman ce que les bourgeois de Calais étaient au dialogue franco-britannique. Encore que ces derniers n’avaient guère le choix. »
C’est comme cela qu’il faut comprendre son intervention du 12 février 2013 sur France 5 pour les besoins d’un film de Caroline Fourest sur « Les radicaux de l’Islam » :
« L’imam de la République »
C’est ainsi que le 22 janvier 2010, à rebours de ses prêches du foyer de Bobigny, il prend position pour une loi interdisant la burqa, « un outil de domination sexiste et d’embrigadement islamiste » (Le Parisien). Trois jours plus tard, il alerte l’AFP d’une agression (« un commando de quatre-vingt personnes a fait irruption dans la mosquée [...]. Ils sont arrivés nombreux et étaient rentrés par la porte pour envahir la mosquée. Ils ont pris le micro, ils ont commencé à crier “Allah akbar”, “Dieu est le plus grand”, à m’insulter, à insulter la mosquée, la communauté juive, la République. ») et dépose une main courante pour « profanation, menaces et insultes ». Mais Yassine Aouidet, l’imam qui assurait la prière ce soir-là, ne comprend pas les accusations de Chalghoumi :
« C’est une invention complète. Personne ne m’a arraché le micro des mains. Après la prière, j’ai simplement invité différents responsables religieux, une dizaine, tout au plus, à donner leur point de vue sur l’interdiction de la burqa. En aucun cas, il n’y a eu menace physique ou verbale contre quiconque. » (LCI, 27 janvier 2010)
On apprendra plus tard que l’« imam si parfait » (Le Figaro, 4 mars 2013) se trouvait ce jour-là à une réception donnée par Claude Goasguen et l’Union des patrons juifs de France, dans la mairie du 16e arrondissement de Paris. Deux plaintes pour dénonciation calomnieuse seront déposées contre Chalghoumi. Cette fausse agression lui a permis de bénéficier d’une couverture médiatique internationale (The New York Times, par exemple, lui consacre un long portrait le 12 février 2010), malgré le préjudice porté à l’image de ses coreligionnaires. Cette irruption médiatique est consacrée en septembre 2010 par la sortie de son livre Pour l’islam de France. Le projet du livre est une initiative du patron des éditions du Cherche-midi, Philippe Héraclés. Si Mohamed Sifaoui, puis Martine Gozlan avaient initialement été pressentis comme « nègres », c’est finalement Farid Hannache qui couchera sur papier la « pensée » de Chalghoumi. Les deux hommes se sont rencontrés une première fois à l’Assemblée nationale, le 5 février 2009, au colloque « Mieux se comprendre et mieux vivre ensemble » organisé par Jean-François Copé et Valérie Hoffenberg, puis à l’Unesco le 27 mars 2009 lors du lancement du projet Aladin (initié par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et parrainé par Jacques Chirac pour lutter contre le révisionnisme en distribuant en arabe, en persan et en turc des informations sur la Shoah). Franco-algérien, Hannache occupe alors le poste de directeur de la campagne pour la présidence de l’Unesco de Mohamed Béjaoui, un cacique de l’Algérie FLN depuis 1962. Farid Hannache est à la fois le co-auteur du livre de Chalghoumi Pour l’islam de France (avec la moitié des droits), ainsi que son attaché de presse (avec Tristane Banon comme conseillère éditoriale).
Deux ans plus tard, Farid Hannache reniera Chalghoumi avec perte et fracas, d’abord dans un livre qui ne trouvera pas d’éditeur, Islam & Sarkozy : des hypocrisies explosives (mars 2012), puis dans un texte intitulé Faux-imam Chalghoumi : la vérité sur une escroquerie islamophobe, écrit sous le pseudonyme de Malika Bennabi (cf. Le Point, 16 septembre 2013). Farid Hannache y décrit un Chalghoumi roulant dans une Porsche beige et prêt à tout pour le pouvoir et l’argent. Dans ses publications, Farid Hannache raconte comment Philippe Héraclès a présenté ses deux poulains au directeur de cabinet du Préfet de police de Paris, le préfet Lambert, et comment l’éditeur a pris contact avec le ministère de l’Intérieur à l’été 2010 pour garantir à Chalghoumi une protection policière. Protection policière ayant même été utilisée comme argument pour convaincre l’imam de publier un livre « orienté » sur l’islam, selon Farid Hannache.
Pour la sortie du livre, Hassen Chalghoumi bénéficie d’une bonne tournée promotionnelle malgré une maîtrise et une compréhension plus qu’approximatives de la langue française.
Ce qui ne l’empêchera pas de plancher en loge le 13 décembre 2010 au siège du Grand Orient de France, accompagné de Farid Hannache et de Sihem Habchi, présidente de Ni putes ni soumises, sur le thème « Islam de France et laïcité », sous l’œil bienveillant de Guy Arcizet, Grand Maître du GODF, et du grand secrétaire aux affaires intérieures, Jean-Pierre Weisselberg.
Outre ses liens avec la mairie de Drancy, le ministère de l’Intérieur et la communauté juive, l’ancien tablighi s’est muté en défenseur du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali :
« Le président actuel a sauvé la Tunisie de la guerre civile algérienne. Les mêmes intégristes tunisiens voulaient instaurer la même barbarie talibane et provoquer la même guerre civile algérienne... La Tunisie est un pays libre et moderne... Il y a même des Français qui vont se soigner là-bas... » (Metro, 15 septembre 2010)
Hannache en a dit plus sur les liens entre Chalghoumi et le clan Ben Ali. Sakhr Al-Materi, gendre de Ben Ali, l’aurait notamment financé pour le lancement d’une radio islamique à Paris, SalamFM. Hannache rapporte également que Chalghoumi se rendait régulièrement à l’antenne parisienne du Parti socialiste destourien au 36 rue de Botzaris, entretenant un contact régulier avec Mohamed Labidi, époux d’une nièce de Ben Ali et patron de l’office du tourisme tunisien, ainsi qu’avec Mansour Abid, fonctionnaire du ministère de l’Intérieur tunisien. Plus tard, Chalghoumi se rapprochera du producteur Tarak ben Ammar, connu via Eric Besson et son épouse d’alors, Yasmine Tordjman.
Comme la sarkozie l’a intronisé représentant et penseurs d’un « islam de France », Chalghoumi est convié au débat « Islam et laïcité » organisé par l’UMP en avril 2011. Pour des raisons évidentes d’élocution, c’est son nègre qui prendra la parole. En décembre 2011, Hassen Chalghoumi se voit proposer la présidence d’un hypothétique Conseil français des musulmans libres par le préfet Hugues Moutouh, conseiller pour les affaires juridiques et institutionnelles de Nicolas Sarközy et Olivier Biancarelli, ex-chef du pôle politique de l’Élysée (qui lui a fourni des éléments de langage avant un débat face à Marine Le Pen au Grand Journal de Canal+ le 16 mars 2012), lui promet la direction d’un institut de formation des imams en cas de victoire de Sarközy à la présidentielle. Hannache, désabusé écrira :
« Chalghoumi a fait de la mosquée de Drancy un théâtre électoraliste bling bling, un défilé politicien, avec des meetings communautaristes. »
Reçu à l’Élysée le 26 janvier 2012, Chalghoumi affrétera ensuite un bus entre la mosquée de Drancy et le meeting de Villepinte du 11 mars 2012, où on l’apercevra assis au premier rang. Entre les deux tours de la présidentielle, il est chargé d’organiser une « marche républicaine » afin de rassembler les musulmans de France contre le terrorisme. Bilan : un rassemblement d’une cinquantaine de personnes, dont la moitié sont des élus UMP ou des représentants de la communauté juive : « Jamais Hassen Chalghoumi n’est apparu aussi isolé et vulnérable que ce dimanche à la Bastille » écrira Yvan Rioufol dans Le Figaro (30 avril 2012).
Malgré son soutien à Nicolas Sarközy, Chalghoumi va conserver son rôle après la victoire socialiste à la présidentielle de 2012. Il a été chargé, dans le cadre d’une commémoration de la Shoah le 4 février 2013 au mémorial de Drancy, de rameuter un maximum d’imams (140 selon le communiqué officiel, une vingtaine selon Le Monde du 5 février 2013). Devant l’ « imam des Lumières » et en présence de Marek Halter et Tarak Ben Amar (la soirée a été financée par sa chaîne Nessma TV), Manuel Valls prononce ce jour-là un grand discours sur l’islam de France. Hassen Chalghoumi recevra cette année-là le prix de l’Union libérale israélite de France (3 000 euros), décerné à la synagogue de la rue Copernic.
Avec le présentateur du journal télévisé de France 2, David Pujadas (membre du Siècle), il a signé Agissons avant qu’il ne soit trop tard (Le Cherche-midi, 2013), qui aura droit à une heure de promotion sur France 2 dans l’émission On n’est pas couché. Le 21 décembre 2014, la chaîne de l’Assemblée nationale, LCP, lui consacre un long documentaire (en partenariat avec France Inter) intitulé Hassen Chalghoumi, imam de la République. Fort de ce statut, le lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo, Bernard-Henri Lévy le cite comme exemple d’un aggiornamento de l’islam, qu’il appelle de ses vœux :
« Et l’on espère, non seulement des savants en religion tel l’imam de Drancy Chalghoumi, mais de l’immense foule de leurs fidèles, le courageux aggiornamento qui permettra d’énoncer enfin que le culte du sacré est, en démocratie, une atteinte à la liberté de pensée ; que les religions y sont, aux yeux de la loi, des régimes de croyance ni plus ni moins respectables que les idéologies profanes ; et que le droit d’en rire et d’en débattre est un droit de tous les hommes. » (Le Monde, 8 janvier 2015)
Après avoir exprimée une « pensée pour Charles et pour toute sa famille » (voir vidéo ci-dessous), toujours flanqué de Marek Halter, on le verra défiler le 11 janvier à Paris, puis, le lendemain même, intervenir au siège du Grand Orient de France sur le thème « Être Franc-maçon après le 7 janvier ».
Hassen Charlghoumi rend hommage à « Charles » :
Cet article a été écrit en exclusivité pour Égalité & Réconciliation par la revue Faits & Documents d’Emmanuel Ratier.