À la mi-juillet, après trois années d’occupation par Daech, la ville de Mossoul en Irak a été officiellement libérée. Un collègue et ami, ancien doyen de l’université de Mossoul, m’a annoncé le 17 juillet dernier, qu’il était retourné chez lui avec sa famille, prêt à enseigner de nouveau à l’université à partir de septembre. Voilà un vrai signe d’espoir : la vie doit reprendre son cours dans une ville en ruines.
La semaine suivante, 450 assyriologues venus du monde entier étaient réunis à Marbourg, en Allemagne, pour la 63ème Rencontre assyriologique internationale. Pour la première fois, une importante délégation de collègues irakiens y participaient, parmi lesquels des responsables du State Board of Antiquities and Heritage, des professeurs de l’université de Bagdad et des membres de la direction du Musée de Bagdad. Ils présentèrent un état des lieux des ruines assyriennes de la région de Mossoul, rapport complété par des assyriologues britanniques qui se sont rendus sur place, ainsi qu’une délégation de l’UNESCO.
Pour mémoire, après s’être emparés de Mossoul le 9 juin 2014, avoir détruit la mosquée de Nebi Yunus marquant l’emplacement présumé du tombeau de Jonas, et avoir mis au jour un palais assyrien inachevé construit par Assarhaddon (680-669), les djihadistes mettaient en ligne une vidéo au printemps 2015 montrant le dynamitage du palais nord-ouest de Kalhu (moderne Nimrud) bâti par Assurnazirpal II (883-859). Nous apprenions alors que 80% des vestiges de Kalhu avaient été détruits.
Kalhu était sans doute l’une des mieux conservées des capitales assyriennes, et beaucoup des bas-reliefs ornant les murs du palais d’Assurnazirpal II étaient restés in situ, offrant aux visiteurs une idée des fastes assyriens. Après les fouilles archéologiques, un mur de briques d’argile avait été bâti pour consolider et maintenir les bas-reliefs taillés dans des blocs de pierre dure. La vidéo de propagande diffusée par Daech donnait l’impression que la totalité des vestiges de ce palais avaient été soufflés dans l’explosion des barils de poudre installés le long des reliefs muraux. L’impressionnant nuage de poussière provoqué par l’explosion correspond en réalité à la destruction de ce mur moderne. En certains endroits, la chute des constructions modernes a protégé les bas-reliefs antiques. Ailleurs, le souffle de l’explosion les a brisés selon d’anciennes fractures. Les fragments sont restés à terre ou ont été emportés dans les villages voisins, puis rapportés une fois la zone libérée. Les seuls dommages réels et conséquents sont ceux faits par les djihadistes à l’aide de marteaux-piqueurs sur certains reliefs ou des statues monumentales. La vidéo mis en ligne s’avère être un montage à but de propagande.
Après un état des lieux, une barrière de sécurité a été érigée et le site est sous surveillance 24 heures sur 24. La sécurisation de la zone s’accompagne d’un plan de restauration des ruines, sous l’égide de l’UNESCO, qui sera présenté à la conférence des donateurs programmée à Paris en septembre. La restauration des vestiges de Kalhu s’inscrit dans un plan de développement et de reconstruction sur dix ans à destination des zones libérés. Par ailleurs, plusieurs pays, tels l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie ou le Japon ont déjà investi dans sauvegarde du patrimoine archéologique irakien.
La préservation de la plupart des reliefs du palais nord-ouest de Kalhu ne doit pas pour autant nous faire oublier que depuis la guerre du Golfe en 1991, on assiste à un pillage systématique et à la destruction des sites, monuments et antiquités. Un collègue espagnol a recensé plus de trois mille tablettes cunéiformes datant du 21ème siècle avant J.-C. vendues sur Internet depuis 1991. Il a constaté une recrudescence du marché international depuis 2003, avec un pic des ventes entre 2007 et 2009 et une forte activité entre les années 2013 et 2015. Le pillage des antiquités existe depuis des années, mais le phénomène nouveau est qu’il est devenu institutionnalisé, et que la destruction est aujourd’hui revendiquée et médiatisée. Pour cela, il est plus important que jamais de trouver des solutions pour préserver le patrimoine culturel du Proche-Orient ancien.