Le changement date de 2012. À l’époque, on sort de la parenthèse sarkozienne. La France respire, elle se choisit un président « normal », qui se révèlera pire que le précédent. Ce sont les émeutes de banlieues, fin 2005, qui précipiteront le peuple français dans le piège libéral, le fin stratège atlanto-sioniste Sarkozy en profitant pour accéder au pouvoir et liquider la dernière garde gaulliste. Ce qui reste de la France terrienne au sommet.
Dans la presse officielle, traditionnellement, on ne s’intéresse pas aux Français en tant que tels, uniquement à la couche supérieure de la population. Parfois, à l’occasion d’un fait divers qui passionne l’opinion, on accepte un feuilleton social (sur un crime). Et puis on repasse aux choses sérieuses, la vie trépidante de l’élite politico-médiatique.
Sauf qu’en 2012, Marine Le Pen fait presque 18%. Elle est loin des deux premiers, Hollande et Sarkozy, avec respectivement 28 et 27% des suffrages exprimés. Mais le coup est rude pour le petit monde de la presse, qui découvre que les Français sont de plus en plus – c’est leur analyse – mécontents, en « colère ». Cela ne peut pas être réfléchi, pensé, ça ne peut être qu’un vote de contestation primaire de gens plutôt limités culturellement.
« La France m’intéresse autant que les pays en guerre. Il se trouve que j’ai commencé par les pays en guerre parce que j’étais en Russie au moment de la guerre en Tchétchénie, puis j’ai ensuite été en Irak et en Afghanistan, mais pour moi, observer la guerre, c’est aussi observer la vie. Alors je me suis dit que je pourrais faire la même chose en France. »
Pour en avoir le cœur net, les grands organes de presse décident d’envoyer des journalistes au-delà du périph. Ces derniers avaient plutôt pour habitude de fréquenter le 8e arrondissement parisien, celui des palais (Matignon et l’Élysée) et aussi les pays où il se passe des choses importantes. Entre les deux, prise en sandwich, vivote la France dite périphérique, que des sociologues étudient pourtant. Parfois par acquis de conscience sociologique, souvent pour comprendre pourquoi elle a voté pour le « fascisme ».
Toujours est-il que Le Monde envoie ses reporters un peu partout en France, un pays que le titre connaît mal, et ses envoyés spéciaux ramènent des tas d’informations. Oui, cette France-là ne va pas bien, elle n’aime pas la tournure des événements, elle a peur pour son boulot, sa famille, et ce qui se passe à Paris l’ennuie, l’énerve ou la dégoûte carrément. Un homme politique vient dire à Ariane Massenet en plateau sur le Grand Journal que les Français les « détestent », eux, les journalistes. Il y en a qui tombent de leur chaise : ils croyaient être des stars, et les vrais Français leur jettent des cailloux. Symboliques dans les campagnes, un peu moins dans les banlieues.
Mais le mouvement est lancé, comme un mot d’ordre : il faut coller au peuple, aux aspirations des gens, marquer le Français à la culotte. Cela ne part pas forcément d’un bon sentiment, celui de l’empathie ou de la connaissance fraternelle. Plus sûrement d’un « pourquoi ils votent FN » ou d’un « pourquoi ils nous détestent ». Des journalistes plus ou moins brillants reviennent de l’étranger et appliquent leurs méthodes de grand reporter au plouc de province.
Florence Aubenas se prend pour Günter Wallraff et se déguise en femme de ménage à Ouistreham pour comprendre la souffrance des petites gens, la femme de Jean-Jacques Bourdin fait son tour de la France qu’on entend pas, le photographe (d’État) Raymond Depardon continuer à shooter les paysans et les villes qui meurent, bref, tout le monde s’y met. Ça devient la grande mode que de s’abaisser au niveau de la France d’en bas.
Dernier envoyé spécial chez les ploucs en date, Émilie Beaujard, elle aussi grand reporter de guerre rapatriée et réconvertie dans la guerre sociale que les Français de modeste condition livrent chaque jour contre le libéralisme et le mondialisme. Et ça devient une chronique sur RTL, un peu comme celle de Mermet sur France Inter, Ma France à moi, inspirée de la chanson de Diam’s. Voici le portrait de L’Obs :
Sa chronique s’attache à composer « un patchwork de la France avec 30 personnalités qui représenteront 30 facettes du pays », ajoute-t-elle. On l’entend donc dresser le portrait de Français plus ou moins connus : la cantatrice Malika Bellaribi-Le Moal, « qui donne des cours à des femmes de tous les milieux afin de leur prouver que chacun a en lui un potentiel » ; Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais), « une personnalité incroyable qui a transformé sa ville en un laboratoire du développement durable au sein du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais », par exemple.
On sent que c’est bien correct, n’est-ce pas, et que ça ne déroge pas à la grande loi de la discrimination positive. Émilie rencontre « “des gens simples qui pensent n’avoir rien à dire” mais livrent une vision du territoire bien éloignée de celle des grandes villes et des politiques », poursuit L’Obs.
Tout ça pour recoller au peloton, car la fracture médiatique entre la presse et les Français était devenue trop grande. Selon nous, ce petit exercice de rattrapage ne suffira pas à recoller les morceaux. C’est comme les divorces : une fois qu’on s’est habitué à vivre sans l’autre (et parfois avec quelqu’un d’autre), on revient rarement en arrière. Et les Français se sont habitués à vivre sans leur presse de propagande : ils ont choisi l’Internet. Les reportages francophiles où suintent quelques gouttes de pitié attendrie ne suffiront pas.