Le 18 décembre alors que la mortalité grimpe en flèche, Le Figaro écrit que l’épidémie « reste stationnaire » et Le Monde titre « L’épidémie de grippe paraît régresser en France ». Ce journal ne consacrera que quelques courts articles à la situation. Aucun média n’utilise le mot de pandémie alors qu’il avait été employé pour la grippe asiatique de 1957. Un chroniqueur du Monde écrit le 11 décembre 1969. que « L’épidémie de grippe n’est ni grave ni nouvelle. Est-il bien utile d’ajouter à ces maux les risques d’une psychose collective ? » Le journal France Soir fait bien mention d’un quart de la population atteinte mais traite le sujet comme un marronnier de la presse, sans caractère de gravité. (Wikipédia)
Autres temps, autres mœurs, et aussi autre information... Il est bon de comparer les épidémies et les époques, pour voir ce qui a changé, et ce qui n’a pas changé.
1969. L’Europe a les yeux rivés sur la guerre du Vietnam, la catastrophe du Biafra, les soubresauts de Mai 68, les premiers pas de l’homme sur la Lune. Tout à la frénésie des Trente Glorieuses, le Vieux-Continent ne saurait laisser un virus venir gâcher l’ambiance. Il détourne donc le regard des hôpitaux et leur lot de misères. Pourtant, ceux-ci comptent les morts.
La faute à la grippe de Hongkong, aussi appelée grippe de 68, l’année où elle apparaît en Asie. Fin 1968, le virus débarque aux États-Unis, faisant plus de 50 000 victimes en trois mois. Début 1969, il s’invite en Europe, observe une pause estivale avant de provoquer une hécatombe au tournant 1969-1970 : 35 000 morts en France en deux mois. Il n’épargne pas la Grande-Bretagne et franchit même le Rideau de fer.
Cité par le quotidien Libération dans un article rédigé en 2005, un médecin niçois se souvient :
« Les gens arrivaient en brancard, dans un état catastrophique. Ils mouraient d’hémorragie pulmonaire, les lèvres cyanosées, tout gris. On n’avait pas le temps de sortir les morts. On les entassait dans une salle au fond du service de réanimation. Et on les évacuait quand on pouvait, dans la journée, le soir. »
La grippe de 68 tue environ un million de personnes, selon les estimations de l’OMS et se hisse ainsi sur le podium macabre des grippes du XXe siècle les plus assassines, après la « grippe espagnole » (20 à 40 millions de morts en 1918-1920) et la « grippe asiatique » (2 millions de morts en 1957).
« Le dernier cadeau de Noël »
Pourtant, ni les autorités, ni le public, ni les médias ne s’en soucient. Bien au contraire, le ton est léger, voire folâtre : « Un présentateur d’un journal télévisé parle de la grippe de 68 comme du dernier cadeau de Noël qui fait des millions de malades et quelques morts », raconte Bernardino Fantini, historien de la médecine. La presse ne fait pas exception.
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Comment expliquer une telle transformation sociale en l’espace de cinquante ans, où l’on passe de l’insouciance à la terreur collective ? Certes, il s’agissait d’une grippe virulente et non d’un virus inconnu, et sa vitesse de propagation était moindre. Mais ces deux épisodes révèlent tout de même des changements profonds, touchant à notre rapport à la mort, à la maîtrise, à l’individualisme :
« Ce changement d’attitude sociale est d’abord lié à l’espérance de vie, explique Bernardino Fantini. À l’époque, les plus de 65 ans étaient considérés comme des survivants de la mortalité naturelle. Alors qu’aujourd’hui, même la mort des personnes âgées est devenue un scandale. »
Car avec l’individualisme progressent les droits fondamentaux :
« Le droit à la santé, affirmé en 1948 par l’OMS, a gagné ce statut dans les consciences dans les années 1980, poursuit l’historien. Ressenti comme un droit personnel, il doit par conséquent être assuré par l’État. Alors que, dans les siècles précédents, la mort était acceptée : on mourait à la guerre, on mourait pour Dieu, personne n’y trouvait à redire. »
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Les Lumières éteignent le fatalisme
Celui-ci commence à décliner avec les Lumières, reléguant Dieu et la providence :
« La querelle entre Rousseau et Voltaire à propos du tremblement de terre de Lisbonne est révélatrice, rappelle Dominique Bourg, philosophe et professeur honoraire à l’Université de Lausanne. Rousseau, en refusant le fatalisme, préfigure la modernité. Celle-ci s’installe définitivement dans la société occidentale de l’après-guerre. »
Le mouvement amorcé est aussi soutenu par l’avènement des antibiotiques, après la Deuxième Guerre mondiale :
« Auparavant, la tuberculose et d’autres maladies étaient considérées comme une fatalité, car incurables, explique Bernardino Fantini. La variole lors des épidémies tuait deux enfants sur cinq. La mort frappait à n’importe quel âge. »
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