« Au bord de la faillite, le pays pourrait sombrer bientôt dans le chaos, ce qui provoquerait des vagues migratoires inédites auxquelles la France n’est pas préparée. »
Ainsi débute un long sujet de 14 pages dans le numéro de Valeurs actuelles du 11 janvier 2018. Un article basé sur une hypothèse réaliste mais réunissant toutes les psychoses : il estime que la faillite économique (et sociale) algérienne va provoquer une réaction en chaîne qui va se transformer en tsunami migratoire vers la France et en explosions terroristes, soit la décennie noire de l’Algérie (1990-1999) mais chez nous. Un scénario très Zemmour mais dont certaines bases sont irréfutables. C’est l’histoire qui donnera raison ou pas aux journalistes de l’hebdomadaire de droite.
« Comme l’ex-Union soviétique, “l’Algérie repose sur le trépied armée, FLN [Front de libération nationale, le parti au pouvoir, NDLR], services de renseignements [qui se haïssent, NDLR]. Si l’un tombe, tout s’écroule”, explique le spécialiste de la géopolitique méditerranéenne Pierre Razoux, directeur de recherche à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), auteur de la Guerre Iran-Irak (Perrin). »
Dès les premiers paragraphes, le ton – alarmiste – est posé :
« Quand l’Algérie explosera… Cette hypothèse, probable, compte parmi les craintes majeures des services de renseignements français. Cette chute pourrait profondément déstabiliser le bassin méditerranéen, déjà fragilisé par la situation de la Libye et par les pays qui ne sont pas parvenus à se relever des “printemps arabes”. Mais aussi la France. C’est, en effet, l’ancien colonisateur que les Algériens, qui le vouent pourtant aux gémonies, appelleront au secours. Des dizaines de milliers d’entre eux pourraient ainsi débarquer sur nos côtes dans les prochains mois. Que faire ? »
Le bilan économique et social de l’Algérie, ce pays jeune puisqu’il n’a que 55 ans, est effectivement lourd de menaces pour l’intégrité et l’avenir du pays. La mono-économie fondée sur les énergies fossiles n’a pas permis l’industrialisation du pays, malgré les efforts soviétiques de Boumédiène (1932-1978). Et la baisse des prix du pétrole, comme chacun sait, réduit les réserves de devises qui permettent d’acheter la paix sociale.
« Avec la mort prochaine d’un Abdelaziz Bouteflika très affaibli, dans ce pays où le tiers de la population est au chômage et où les deux tiers de la population ont moins de 30 ans, quatre possibilités s’offrent à la jeunesse : rejoindre l’armée, survivre de subsides sociaux, se radicaliser en rejoignant les groupes terroristes islamistes ou fuir. C’est ce dernier choix qu’est en train de faire une partie de la population, qui a compris que son pays ne peut pas lui offrir d’avenir. »
Le tableau relativement désastreux peint par Valeurs actuelles va paradoxalement satisfaire les nostalgiques d’une Algérie française, puisque la plupart des Algériens, jeunes et moins jeunes, qui se destinent à quitter leur pays choisissent la France. Une reformation par l’histoire à l’envers ! Sous-entendu : malgré le sentiment antifrançais cultivé en Algérie, colonisation oblige, c’est la France qui sauvera les Algériens !
« Et l’Espagne ne sait plus que faire de cet afflux sur ses côtes. Le problème se déplace : considérant être mal traités en Espagne, les clandestins algériens souhaitent souvent rejoindre leur cousin, leur frère, leur soeur en France et bénéficier du regroupement familial pour obtenir, un jour, la nationalité française. Ou alors, utiliser les dispositions prévues par les… accords d’Évian. Et profiter de notre arsenal social, dont l’aide médicale de l’État (AME), qui prend en charge la totalité du coût de soins des clandestins. En 2016, cette aide a bénéficié à 311 310 personnes, soit 49 % de plus qu’en 2011. Pour 2018, l’État a estimé son coût à 1 milliard d’euros. »
L’augmentation récente des départs d’Algériens, qui ne faisaient pas les gros bataillons de migrants vers l’Italie ou la France, est selon le renseignement français, qui surveille la situation algérienne comme le lait sur le feu, annonciatrice de mouvements de population massifs. Du côté des autorités d’Alger, on ne punit quasiment plus ces candidats au départ, qui visent aujourd’hui en premier lieu les côtes espagnoles. Et avec des moyens moins rudimentaires que les migrants subsahariens : embarcations rapides, voire jet-skis pour les plus fortunés !
« Désormais, pour 1 500 à 2 000 euros, les trajets se multiplient entre des ports comme Dellys, à l’est d’Alger, et Majorque, aux Baléares. Nouveau phénomène également : les bateaux, équipés de GPS, sont plus endurants et plus solides que ceux autrefois vendus en Libye. Certains “go fast” utilisés pour les trafics de stupéfiants servent même à transporter les personnes. L’été dernier, on a vu des migrants faire la traversée en Jet-Ski contre 5 000 euros par personne… »
Petit coup de pied de l’âne en passant, les dirigeants du FLN, leurs familles et leurs proches auraient déjà pris leurs dispositions pour un « retour » en France au cas où les choses tourneraient mal pour l’Algérie et pour eux. Aucun problème de visa pour ces privilégiés, qui ne feront pas la queue devant l’Institut français d’Alger.
Si le scénario de l’hebdomadaire est volontairement noirci, il n’en reste pas moins que les chiffres avancés font réfléchir : « Pour les prochains mois, des notes des services de Madrid évoquent l’arrivée possible de près de… 90 000 clandestins algériens sur le sol espagnol. » Côte français, on redoute « l’arrivée potentielle de près de 100 000 ressortissants algériens dans les prochaines années, si la situation s’aggrave ». Et l’on retombe sur le fameux plan Ronces fuité par Zemmour, qui prévoit la reprise par l’armée française de cités et de banlieues entières tombées dans l’islamisme...
Aux problèmes économiques et sociaux s’ajoute une démographie galopante qui rend encore plus fragile la relation du peuple algérien à ses gouvernants. Les émeutes et manifestations de 1988-1989 sont en partie le fruit de la baisse du pouvoir d’achat du peuple algérien, même si la lutte de pouvoir au sein des clans en haut lieu a pu jouer avec un certain chantage alimentaire. Le scénario actuel est à cet égard plus sensible encore 30 ans plus tard : il y a toujours plus de naissances (preuve que le niveau de santé a augmenté aussi) pour un avenir de plus en plus flou...
« La démographie algérienne inquiète au plus haut niveau, avec ses 41,2 millions d’habitants au 1er janvier 2017 et plus de 1 million de naissances chaque année depuis 2014, contre 800 000 en France, qui compte pourtant 25 millions d’habitants de plus. Chacun le sait désormais, le château de cartes peut s’effondrer à tout moment. Survivra-t-il au possible cinquième mandat présidentiel de Bouteflika en 2019, alors que ce dernier n’est plus que l’ombre de lui-même ? Du côté français, on cherche avant tout à ne pas jeter de l’huile sur le feu.
“L’intérêt de la France est que l’Algérie tienne pour empêcher une vague migratoire et de nouveaux attentats terroristes sur notre territoire”, fait valoir le spécialiste Pierre Razoux. Mais depuis le déplacement d’Emmanuel Macron en Algérie, le 6 décembre, qui a pu “voir de ses propres yeux la difficile situation du pays”, selon une source élyséenne, on craint désormais le pire : si l’Algérie explose, la France sera la première touchée. »
On peut aussi voir l’envers de ce noir tableau : la France et l’Algérie sont, malgré de nombreux différends, liées. Historiquement et culturellement. Les 100 000 Algériens tentés par le repli en France en cas de chaos ou de dissolution de leur pays ne vont pas déstabiliser la France : ce ne sont pas nécessairement des terroristes mais des diplômés qui vont passer ! Le problème migratoire français n’est pas dû à l’Algérie, même si deux à trois millions d’Algériens vivent (officiellement) en France au bénéfice de lois favorables au regroupement famiial.
Le problème est plus géopolitique que démographique : la déstabilisation de l’Algérie est une réalité. Qui a déjà éprouvé durement le peuple algérien durant la décennie noire, faisant au bas mot 200 000 victimes, sans oublier les milliers de disparus. On sait aujourd’hui le rôle que le wahhabisme de l’Arabie saoudite a joué dans ce scénario sanglant. Depuis, c’est la lutte acharnée mais non officielle entre l’Amérique et la France pour le contrôle de l’Afrique de l’Ouest et du Nord qui est un nouveau facteur de déstabilisation de l’Algérie.
On sait là encore quel est le rôle de l’Empire dans les printemps arabes de 2011, que ce soit en Tunisie ou en Égypte. L’islamisme servant in fine les intérêts américains, ce qu’on a pu voir en Afghanistan ou en Syrie. Que ce soit en Afrique du Nord ou au Proche-Orient, les Américains ne reculent devant rien pour avancer leurs pions, détruire les régimes qui ne leur sont pas favorables, et évincer ce qui reste de présence française. Dans ce conflit, l’Algérie est probablement une cible de choix pour l’Empire.
C’est le moment pour les pays non alignés, devant une menace commune, de resserrer leurs liens. Même si tout est fait pour les distendre.
Pour plus d’informations sur l’Algérie, l’émission Le Dessous des cartes diffusée sur Arte fin décembre 2016 :