Pendant les premières semaines de guerre, le Système a tenté d’hitlériser Poutine. Il attaquait l’Ukraine, il allait s’en prendre aux pays baltes, puis à la Finlande, la Suède, ce sera alors le tour de la Pologne, et enfin les chars russes déferleraient sur l’Europe de l’Ouest, laissée presque sans défenses.
Pour l’instant, l’ogre russe se contente du sud de l’Ukraine, dans lequel il se forge un couloir entre l’Ukraine proprement dite, amputée des républiques du Donbass, les deux mers intérieures (Noire et Azov), pour atteindre la Moldavie, en passant par Odessa. Cela semble être le plan.
Pour l’instant, l’invasion de la France n’est pas à l’ordre du jour chez Choïgou, le ministre de la Défense russe. Mais cela n’empêche pas la presse française de nous considérer, via l’OTAN, en guerre contre des Russes qui ne nous ont rien fait, et à qui nous n’avons rien fait, jusqu’à ce que Macron, tout seul, comme un grand, décide d’envoyer des armes lourdes – les fameux canons Caesar – sur le terrain des opérations.
L’Express : Alors que la guerre en Ukraine s’annonce longue, craignez-vous une indifférence grandissante de la part des opinions occidentales ?
Bernard-Henri Lévy : Oui, bien sûr, c’est toujours le risque en démocratie d’opinion. Tocqueville l’a bien montré à la fin de De la démocratie en Amérique. L’opinion est un géant fragile. Elle se fatigue. Se lasse. Et, finalement, chancèle. Poutine a compris cela. Je n’imagine pas qu’il ait lu Tocqueville. Mais il connaît cette loi des démocraties. Et je l’imagine, dans sa datcha, ou ses palais, ou ses bunkers, calculant, supputant, comptant les jours qu’il faut, dans une démocratie, pour que « l’Opinion » en ait marre et passe à autre chose.
Là, je sens que ça commence. Pas une hostilité, non. Mais une indifférence. Une lassitude grandissante face au spectacle de cette guerre en Europe qui était, au début, assez neuf mais qui commence à lasser. C’est terrible. Et c’est, d’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles nous avons, avec Marc Roussel, pressé le pas et fini si vite ce film sur l’Ukraine. L’indifférence croissante des opinions est, aujourd’hui, l’ennemie des Ukrainiens. Autant que les missiles.
BHL a écrit dans L’Express que Poutine bénéficiait de la fatigue des populations de l’Ouest, autrement dit, que l’invasion russe devenait légitime, que les Français la considéraient comme normale, qu’ils ne s’indignaient plus, comme BHL dans son bloc-notes du Point. Et que ce qui nous menaçait, c’était l’acceptation de la force, la politique du fait accompli, comme celle d’Hitler en 1936, lorsque les forces occidentales l’ont laissé manger la Tchécoslovaquie.
Tous ces parallèles ont été faits 150 fois, ce qui n’a rien changé à la guerre en question, mais qui fait partie de la guerre psychologique, qui consiste, depuis l’axe BHL-Macron, à faire de Poutine la menace suprême contre la paix, contre l’Europe, contre l’Occident, contre notre niveau de vie. L’article des Échos sur la faiblesse occidentale est un modèle du genre.
Vladimir Poutine nous tient par notre talon d’Achille : le pouvoir d’achat. Il a bien compris la faiblesse de nos sociétés, enivrées de confort, de vacances et d’avantages sociaux, bercées par la certitude de la paix que certains ont appelée la fin de l’Histoire. L’issue de la guerre en Ukraine dépendra bien sûr des forces en présence, de la résistance du front mais aussi de celle des arrières. « Pourvu que l’arrière tienne bon », disaient les poilus de 14-18. Pourvu que la conscience de l’Occident ne nous oublie pas, ne serait-ce que le temps des vacances, pensent sûrement les combattants ukrainiens du front du Donbass !
L’auteur de ces lignes redéfinit la terreur rouge :
Les plus belles pages sur l’histoire du sacrifice ont été écrites par Ernest Renan au XIXe siècle. Il s’agissait, à l’époque et dans les faits, du sacrifice suprême de la vie. Celui qui nous est demandé aujourd’hui n’est pas le sacrifice du sang mais celui bien moins douloureux et bien plus relatif de notre confort, et encore, pour un temps très limité. Face à Poutine, nous avons, nous peuples européens, le choix entre la résistance et la soumission. Le maître du Kremlin compte sur le mécontentement des Européens. Il les sait sensibles au prix des carburants. Il utilise contre nos opinions l’arme de la terreur. Non pas la terreur telle qu’on se l’imagine, avec ses échafauds et ses prisons sordides, mais une terreur bien plus sourde… celle qui vient percuter les habitudes de vie.
On dirait du Nicolas Werth, le spécialiste de la terreur rouge, du stalinisme démoniaque, du cannibalisme soviétique, bref, de la menace russo-soviétique (russoviétique ?) qui plane à nouveau sur l’Occident, notre confort, notre vie de pachas.
Justement, dans Le Point du 14 juillet 2022, le grand spécialiste des famines et des massacres bolcheviques est cité abondamment. Le Point, où officie BHL, tente cette fois, après un long portrait « secret » de Staline, de staliniser Poutine. En reconnaissant que l’analogie ne fonctionne pas tout à fait...
Dans ce sujet, on aime bien « l’obsession de l’encerclement », c’est-à-dire la paranoïa de Poutine, qui est évidemment le seul à voir des points d’avancée de l’OTAN partout autour de son pays...
BHL, lui, avec a guerre mondiale de retard, continue à essayer d’hitlériser Poutine et ses soutiens, se heurtant en cela à une réalité granitique : le sacrifice de millions de Soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le révisionnisme historique au secours de l’OTAN
Et puisque nous sommes dans la Seconde Guerre mondiale, nous allons parler de Shoah. Dans ce registre, la presse mainstream française a du mal à tordre le réel, mais elle trouve des biais. Le dernier en date est à mettre au crédit du Monde, qui tente de dénazifier rétroactivement l’Ukraine, le tombeau des juifs d’URSS de 1941 à 1944.
La propagande poutinienne assène sans relâche que « l’opération spéciale » lancée le 24 février 2022 a pour but essentiel de dénazifier l’Ukraine. Les médias à la solde du Kremlin clament à qui mieux mieux que les Ukrainiens ont été des collaborateurs de l’occupant nazi, qu’ils ont assassiné des « paisibles citoyens soviétiques » et que leurs successeurs actuels perpètrent un « génocide » antirusse dans le Donbass. Stepan Bandera (1909-1959) et les milices nationalistes ukrainiennes, fortes de quelques milliers d’hommes, personnalisent ce supposé fanatisme meurtrier « fasciste ».
Maintenant, grâce au Monde, on apprend que les partisans soviétiques ont participé, au moins passivement, au massacre des juifs !
Plus de la moitié [des juifs d’Ukraine occidentale, soit 2,1 millions d’individus, NDLR] ont péri au cours du conflit : la grande majorité (900 000 à 1 million) a été exécutée au bord de fosses communes en 1941, une forte minorité a dû vivre quelques mois en ghetto avant d’être gazée au camp de Belzec, et quelques centaines ont été assassinés par les nationalistes dans les forêts où ils avaient trouvé refuge. Alors qu’ils comptaient dans leurs rangs des juifs du cru et des camarades d’unité juifs, les partisans soviétiques qui se cachaient ici aussi n’ont pas tenté de gêner le massacre systématique organisé par l’occupant.
Pourtant, l’auteur reconnaît un fait désagréable :
Cependant, la mémoire de la Shoah, comme celle de la Première Guerre mondiale avant elle, n’est pas abolie. Elle est instrumentalisée lors de campagnes d’échelle régionale. Les principales cibles sont baltes (notamment lettones) et ukrainiennes : ce sont les deux principaux fournisseurs de supplétifs exterminateurs, et les nations qui ont vu le plus grand nombre de ressortissants s’exiler en Occident après la guerre.
La nazification rétroactive des Russes est chose difficile. Bon courage aux révisionnistes pro-ukrainiens de la presse française !