« En 2018, la France a naturalisé 110 014 étrangers, indique l’Office statistique de l’Union européenne dans un document publié sur son site. Les Marocains arrivent en tête avec 14 % du total des ressortissants de pays tiers devenus Français, suivis des Algériens (13,5 %) et des Tunisiens (6,1 %). Les Marocains sont également 1ers en Europe. [...]
“En 2018, quelque 672 300 personnes ont acquis la nationalité de l’un des 27 États membres de l’Union européenne (UE), un chiffre en baisse par rapport à 2017 (700 600) et 2016 (843 900)”, informe le document.
“Les citoyens marocains formaient le plus grand groupe de nouveaux citoyens d’un État membre de l’UE dont ils étaient résidents en 2018 (67 200 personnes) […] devant les citoyens de l’Albanie (47 400) […] et de la Turquie (28 400 personnes)”, ajoute le rapport. » (Sputnik News)
Il faut mettre ces informations en perspective avec un article du Temps (suisse) du 26 septembre 2018, l’année où les statistiques reprises par Sputnik ont été récoltées.
Le Maroc joue donc à la fois deux rôles, l’un en faveur de l’UE (qui le rémunère de manière directe ou indirecte pour cela) et l’autre en quelque sorte en sa défaveur, puisque les Marocains forment le plus gros poste de départs vers l’Europe ! Le roi Mohammed VI dispose donc d’un levier important dans ses négociations commerciales avec l’Europe. C’est aussi ce rôle (d’arbitre ou de maître-chanteur) qu’Erdoğan a joué au plus fort de la guerre syrienne avec les 3,6 millions de réfugiés syriens accueillis dans son pays.
En 2018, suite à la guerre civile des deux factions principales en Libye (que l’intervention franco-britannique de 2011 n’a pas éteinte, loin de là), les migrants venus d’Afrique ont détourné leur chemin de la Libye vers le Maroc. Les côtes marocaines sont donc devenues le point de départ principal des migrants subsahariens vers l’UE.
« La France arrive à la 4e place des pays européens ayant octroyé la nationalité à des ressortissants étrangers en 2018, avec 110 014 naturalisations. Le Royaume-Uni est 1er (157 004), suivi de l’Allemagne (116 750) et de l’Italie (112 523). Ainsi, dans l’Hexagone, les Marocains sont également 1er avec 14 % du total des naturalisations, suivis des Algériens (13,5 %) et des Tunisiens (6,1 %). »
Pour ce qui concerne les (jeunes) Marocains eux-mêmes, rois du départ, c’est évidemment le détroit de Gibraltar et l’Espagne qui sont en point de mire. Une fois posé le pied sur le continent européen, ils ruissellent dans les grands pays occidentaux. Le Temps du 26 septembre 2018 relate une information qui en dit long sur les velléités de départ des jeunes locaux :
« Le week-end dernier, la presse du royaume s’est fait l’écho de rassemblements de centaines de jeunes Marocains sur plusieurs plages de la région de Tanger, attirés par une hypothétique traversée gratuite vers l’Espagne, des promesses propagées par les réseaux sociaux et une vidéo montrant des Marocains embarquant à bord d’un zodiac aux puissants moteurs. Selon les médias marocains, la foule réclamait “l’immigration gratuite”. “Tout le monde veut partir. Ouvrez-nous la route et laissez-nous passer. Ici, il n’y a pas de travail pour nous. On veut partir”, déclarait un jeune. »
Ainsi, le Maroc joue-t-il sur deux tableaux. Et sa politique « antimigratoire » a un sens... très politique, nous explique Le Temps :
“Le royaume a toujours utilisé la migration vers l’Europe comme un levier politique pour obtenir satisfaction sur d’autres dossiers, comme sur les droits de pêche”, fait remarquer un observateur qui souhaite garder l’anonymat. Il semble que le Maroc est aujourd’hui davantage enclin à coopérer avec les Européens et à endiguer les départs vers les côtes espagnoles. Depuis la fin du mois d’août, Rabat accepte de reprendre les migrants qui ont réussi à franchir les barrières des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Il fait aussi valoir qu’il a intercepté 54 000 migrants en mer en 2018.
Des dizaines de milliers migrants qui sont renvoyés vers le sud du pays, « aux portes du désert ».
En France, pour en revenir aux migrants marocains qui arrivent chez nous, leur sort est régi par un accord datant de 1987 qui stipule :
Les ressortissants marocains peuvent obtenir une carte de résident après 3 ans de séjour régulier sous couvert d’une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié », au lieu de 5 ans dans le cadre du droit commun.
Le conjoint et les enfants admis au titre du regroupement familial sont autorisés à séjourner en France dans les mêmes conditions que la personne rejointe. En conséquence, ils reçoivent soit une carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » soit une carte de résident, titres qui les autorisent à exercer une activité professionnelle.
Les Marocains bénéficient donc d’une sorte de dérogation par rapport aux autres migrants, ce qui explique (en partie) qu’ils constituent le premier poste d’arrivants. D’un point de vue plus général, et politique, on peut assez rapidement penser que le frein donné à l’immigration noire en direction de l’UE par les autorités marocaines « autorisent » celles-ci à envoyer plus de candidats marocains au départ en Europe !
Ce que confirme le partenariat signé entre le Maroc et l’UE en juin 2013 :
Le partenariat de mobilité UE-Maroc fixe un ensemble d’objectifs politiques et prévoit des initiatives à mettre en place pour garantir une bonne gestion de la circulation des personnes. Parmi ces initiatives, l’UE et le Maroc vont entamer des négociations sur un accord pour faciliter les procédures d’octroi des visas pour certaines catégories de personnes, notamment les étudiants, les chercheurs et les hommes et femmes d’affaires et reprendront les négociations sur un accord de réadmission des migrants irréguliers.
Le Partenariat vise ainsi à mieux informer les citoyens marocains possédant les qualifications requises sur les offres d’emploi, d’étude et de formation disponibles dans l’UE ainsi qu’à faciliter la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles et universitaires. Le Partenariat vise aussi à soutenir une meilleure intégration des ressortissants marocains séjournant régulièrement dans l’UE.
En matière de migration irrégulière, l’UE et le Maroc vont coopérer pour mieux lutter contre les réseaux de trafic de migrants et de traite d’êtres humains et assister les victimes. Ils travailleront de manière étroite pour assister le Maroc à mettre en place un système national d’asile et de protection internationale.
CQFD !
En politique, et encore plus en géopolitique, rien n’est gratuit : tout est rapport de forces, pouvoir de nuisance, chantage et pression. En faisant faire le (sale) boulot de tri humain par le Maroc, l’Union européenne se lave les mains et peut ainsi rester démocrate et humaniste, en envoyant quelques ONG pleurnichardes pour la galerie. Mais il y a forcément une contrepartie, planquée dans les traités secrets, ceux auxquels le grand public n’a pas accès car le cynisme ne se dit pas : il se pratique.
C’est pourquoi Erdoğan, qui a touché 6 milliards d’euros de l’UE pour contenir 4 millions de migrants après 2016, tout en jouant avec le robinet du migroduc contre le couple Merkel-Macron, « peut » aujourd’hui rafler la cerise du gaz (en partie) chypriote ou grec en Méditerranée. Merkel et Macron font les gros yeux, sortent les grands mots (« jeu dangereux », « sanctions »), la caravane passe, car des accords secrets ont peut-être été passés. Attendons pour cela la décision européenne sur les « sanctions » envers la Turquie lors du sommet des 24 et 25 septembre.