Malgré les nombreuses sensibilisations, le mariage des mineures reste une réalité, selon le ministère de la Justice qui a révélé qu’entre 2009 et 2018, 319 177 demandes de mariages des mineures ont été accordées. Le phénomène est en plein essor, puisqu’il représente 13 % des unions en milieu rural, contre 6,56 % en milieu urbain.
Dans certaines régions, le mariage des mineures représente un taux très important, parfois égal à celui du mariage authentifié, surtout dans la région de Draa-Tafilalet. C’est d’ailleurs le taux élevé de ce type de mariage qui a poussé l’association Droits et Justice à lancer une étude en avril 2019, dont les résultats ont été livrés le 07 mars dernier.
Cette enquête a été menée auprès de 627 femmes dont 408 vivant dans les villes et 207 en milieu rural. Parmi les femmes sondées, âgées de 30 à 78 ans, beaucoup ont été mariées de force dès l’âge de 14 ans, en milieu rural dans la région de Draa-Tafilalet.
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Comme raison pouvant expliquer ces unions forcées, il y a la vulnérabilité, la pauvreté, la non-scolarisation et la pression sociale. Mais aussi les dispositions législatives autorisant le mariage des mineures.
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L’enquête révèle que dans 40 % des cas, l’épouse mineure et le marié sont souvent liés par des liens de famille. Il peut être le cousin, le voisin ou encore une connaissance du père ou du tuteur de la mariée.
De même, le mariage consanguin représente 18 % des mariages contractés durant la période de l’enquête. En zone rurale, il est de 20,41 % contre 13,51 % dans les villes.
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L’article qui suit, plus fouillé, a été diffusé dans Le Monde du 1er mai 2017.
Les généticiens marocains sont peu nombreux dans le pays, où le mariage entre cousins persiste pourtant, avec un taux national de consanguinité de plus de 15 %.
Pour transporter Mouna à l’hôpital, sa mère doit la porter sur le dos. Une fois par semaine, Malika parcourt la cinquantaine de kilomètres qui sépare sa modeste maison, près du village de Sidi Rahal, du centre hospitalier universitaire (CHU) de Marrakech, où elle conduit sa fille de 6 ans. Écharpe nouée aux hanches qui retient Mouna bien serrée contre elle, Malika marche, fait de l’auto-stop, partage un taxi quand elle trouve. À chaque visite, elle pose la même question : « Ma fille va-t-elle guérir ? » À chaque visite, on lui répond que non. Il n’existe aucun traitement pour délivrer Mouna de ses handicaps. Rien qui puisse la faire marcher ou voir correctement à nouveau. Malika retourne alors dans son douar, le dos courbé, écrasée par ce fardeau qu’elle porte depuis des années. Le poids de la culpabilité : lorsque, vingt-sept ans plus tôt, elle a accepté de prendre son cousin germain pour époux.
La petite Mouna souffre d’une maladie génétique héréditaire qui a provoqué chez elle une malvoyance, un retard psychomoteur et une paralysie des jambes. Son frère Hassan, 16 ans, est atteint de la même maladie, causée par l’union de leurs parents. Car les mariages entre cousins au premier degré favorisent les maladies autosomiques récessives, c’est-à-dire transmises à la fois par la mère et le père. Quand les deux parents sont porteurs sains du même gène « malade » hérité du même ancêtre, l’enfant a un risque sur quatre de développer la maladie.
Au Maroc, les mariages intrafamiliaux ont considérablement diminué au fil des générations. Dans les villes, la population, plus éduquée, a balayé cette vieille coutume. Mais en milieu rural, elle continue de faire des dégâts, en particulier dans le sud du pays, où 33 % des unions sont consanguines, selon une étude publiée par des universitaires marocains en 2007. À l’échelle nationale, le taux de consanguinité est encore élevé : 15,25 %, selon une étude réalisée par l’Institut national d’hygiène (INH) en 2009.
Traditionnellement, les familles d’agriculteurs y trouvent un avantage lié aux questions d’héritage et de propriété. D’autres entendent préserver la lignée familiale, en particulier dans les tribus. Dans les régions enclavées, la faible densité de population limite le choix du conjoint et les habitants se retrouvent au fur et à mesure liés par le sang, sans avoir conscience des risques.
Retards psychomoteurs et mentaux
Malika non plus ne savait pas. À 47 ans, cette femme originaire du sud du Maroc n’a jamais mis les pieds à l’école.
« Je suis analphabète, dit-elle. Mais je suis la seule de mon village à avoir enfin compris pourquoi tous ces enfants naissent handicapés. »
Dans sa minuscule maison en terre rouge, Malika s’occupe seule de ses enfants pendant que son mari travaille dans les champs d’oliviers qui entourent le village. « Mon époux est le fils de ma tante maternelle. » Elle donne à manger à Mouna, le regard dur. « Un jour, il a demandé ma main. J’avais 20 ans. J’ai dit oui parce que je ne connaissais pas les risques. J’aurais dû dire non. » Elle ferme les yeux un instant, comme pour effacer ses derniers mots. « Enfin, soupire-t-elle, c’est Dieu qui l’a voulu. »
Le couple a d’abord eu trois filles, saines. Puis Malika est tombée enceinte de jumeaux. « J’ai accouché chez moi. L’un d’eux a crié tout de suite, l’autre est tombé par terre, c’était Hassan. » À l’époque, le médecin généraliste pensait que le handicap était dû à la chute. « Son frère jumeau allait très bien ! Mais Hassan boitait, alors on l’a opéré des deux jambes », raconte la mère de famille. Aujourd’hui, Hassan a complètement perdu l’usage de ses jambes. Il souffre également de malvoyance et de retards psychomoteurs et mentaux.
Ce n’est qu’à la naissance de la petite dernière, Mouna, que Malika a commencé à avoir des doutes.
« Elle est née en bonne santé, mais elle boitait comme son frère, se souvient-elle. C’est un pédiatre de l’hôpital de Marrakech qui nous a dirigés vers la généticienne. »
La professeure Nisrine Aboussair, petite femme de 40 ans coquette et affirmée, est cheffe du premier service de génétique médicale individualisé et intégré à un CHU public au Maroc, qu’elle s’est battue pour créer en 2014.
« Le service n’était pas prévu dans les plans du CHU Mohammed-VI de Marrakech [inauguré en 2008], indique-t-elle. Il a fallu sensibiliser tout le monde, même le personnel médical, à l’importance de cette spécialité dans un pays où elle est encore trop peu développée. »
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Toujours au Maroc, on apprend dans un article du Monde diplomatique de 2011 (un article payant) qu’il y a un rapport direct entre la démographie, la politique et l’immigration.
Cet article remet plusieurs choses à leur place. Les deux derniers paragraphes, sous-titrés « Révolte contre le père, rejet du dictateur » expliquent beaucoup de la situation actuelle.
Ces vingt dernières années, la convergence démographique des pays des rives sud et nord de la Méditerranée s’est poursuivie à un rythme soutenu. L’indice de fécondité — qui a servi à donner une image repoussante des mondes musulmans (1) — montre que le Liban, la Tunisie, le Maroc, la Turquie et l’Iran atteignent désormais des niveaux qui se rapprochent de ceux des pays européens.
Ces métamorphoses démographiques sont porteuses de transformations politiques irréversibles. Au Maroc, l’indice de fécondité n’a cessé de baisser depuis 1975, pour atteindre 2,19 enfants par femme lors de l’enquête de 2009-2010. En milieu urbain, il est à 1,84 enfant par femme, au-dessous du seuil de renouvellement des générations. C’est également le cas de la Tunisie, depuis une décennie.
Eu égard à la démographie, les révoltes arabes apparaissent comme inéluctables. Le processus que l’Europe a connu à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle s’est propagé dans le monde entier ; il ne pouvait épargner le sud de la Méditerranée, qui vit depuis quatre décennies les mêmes transformations démographiques, culturelles et anthropologiques. Le monde arabe n’est pas une exception : le croire reviendrait à pécher par essentialisme, en inventant un Homo arabicus ou un Homo islamicus par définition rétif au progrès.
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Il faut aussi noter le net déclin de l’endogamie, c’est-à-dire de l’étanchéité du groupe familial qui entraîne le repli des groupes sociaux sur eux-mêmes et la rigidité des institutions. Une société s’ouvrant sur l’extérieur est plus prompte à se révolter face à un gouvernement autoritaire. La scolarisation de masse et la baisse de la natalité peuvent ainsi, indirectement, provoquer une prise de conscience et déclencher les révoltes.
Les effets de ces bouleversements sur la sphère familiale sont à double tranchant. Limiter sa descendance permet de mieux soigner ses enfants, de mieux les nourrir, de les scolariser à un meilleur niveau et plus longtemps. Dans une famille restreinte — modèle vers lequel la famille arabe s’achemine —, les interactions père-mère et parents-enfants deviennent également plus « démocratiques », ce qui ne peut qu’avoir des répercussions positives sur le plan social et politique. Les problèmes surviennent lorsque vivent ensemble un enfant instruit et un père analphabète mais détenteur du pouvoir absolu (héritage des sociétés patriarcales). La cohabitation devient alors malaisée. Ces troubles familiaux se retrouvent à une échelle plus globale et peuvent expliquer — partiellement du moins — certains phénomènes islamistes.
Les statistiques disent qu’entre 50 et 70 % des jeunes Tunisiens, Algériens et Marocains rêvent de gagner l’Europe. Tous ne font pas le voyage mais la tendance n’a jamais baissé, bien au contraire.
En 2002, un article du même Monde diplomatique expliquait que le Maghreb était en quelque sorte le Mexique de l’Europe.
Le Maghreb apparaît d’une certaine manière comme le Mexique de l’Union européenne. En 2001, ce pays comptait 100 millions d’habitants, mais près de 35 autres millions résident aux États-Unis (dont une dizaine de millions de clandestins, à raison d’un nouveau million chaque année). À ce jour, le Maghreb compte 70 millions d’habitants, et il est probable que 10 à 15 millions de Maghrébins séjournent en Europe. Le ratio pour le Maroc serait de 30 millions d’habitants pour 5 à 7 millions de résidents à l’étranger (100 000 à 200 000 départs par an nourrissent ce flux). Le mouvement d’exil n’est pas près de s’éteindre, sauf à entreprendre une lutte à la base contre cette nouvelle traite qui ne dit pas son nom.