Petite introduction avant de lire le texte que Pierre-Antoine Cousteau, alors emprisonné, a adressé à son avocat le 26 janvier 1946, et qu’Arthur Sapaudia a repris sur son site.
Au-delà de faciles jugements politiques rétroactifs, et d’un choix politique qui lui appartient, Cousteau éclaire dans cette lettre la position complexe des patriotes authentiques dans la période à la fois mouvementée et indécise des années 40.
Le collabo ne l’est pas tant que ça, et montre qu’il a tenté de résister malgré tout de l’intérieur. Il ne cache rien de son antisémitisme, qui était alors la norme à droite et à gauche depuis un bon demi-siècle, un antisémitisme politique aussi classique que l’anticapitalisme qui colorait alors la droite nationale et la gauche communiste des années 30.
En révélant son positionnement à la fois de gauche sociale (ou socialiste dans le vrai sens du terme) et de droite nationale, Cousteau brouille la ligne binaire simpliste imposée par la propagande d’après-guerre, qui deviendra cinquante ans plus tard, sous l’influence du CRIF (anciennement UGIF !), le fameux cordon sanitaire : oui, il y avait intersection entre la gauche du travail et la droite des valeurs à l’époque, plus ou moins héritière de la ligne du Cercle Proudhon.
Dans la tempête de l’histoire, la ligne Cousteau a été associée à la collaboration, alors qu’elle tentait tout simplement de survivre entre les deux énormes broyeurs, l’hitlérisme et le stalinisme.
Avant de remonter le temps, mais peut-être pas tant que ça !, c’est l’occasion de republier un article de Libé du 3 mars 1997.
Jean-Marie Le Pen, accusant dans un livre à paraître le 6 mars [Le Roman d’un président, par N. Domenach et M. Szafran (Plon)], Jacques Chirac d’être « l’otage d’organisations juives », le président de la République s’est bien gardé de dire un mot hier alors qu’il recevait la communauté juive à l’Élysée. Les propos du leader d’extrême droite ont d’ailleurs été fort peu commentés.
Le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) a dénoncé « les phantasmes antisémites de Jean-Marie Le Pen » qui « continuent à le faire délirer », tout en assurant vouloir éviter « le piège » tendu par le président du FN : provoquer le scandale pour faire la une des médias, puis dénoncer la manipulation dont il serait la victime.
Le président du Crif, Henri Hajdenberg, ajoute que son organisation est « déterminée à voir la justice condamner Jean-Marie Le Pen pour ses déclarations antisémites sur le complot juif ». De son côté, le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) a condamné la « nouvelle provocation calculée » de Jean-Marie Le Pen, qualifiée de « véritable lance-flammes antisémite ».
Politiquement, je viens de ce qu’il est convenu d’appeler la « gauche ». Sans m’être jamais inscrit à aucun parti je ne sympathisais, lorsque j’étais adolescent, qu’avec les socialistes et même avec les communistes. Lorsque je réfléchis aujourd’hui aux raisons de cette sympathie, je pense qu’elle était surtout inspirée par l’attitude qu’adoptèrent alors les gens de gauche en politique étrangère. Il y a en effet, dans mes réactions politiques, une « constante » que je retrouve à travers toutes les fluctuations : l’horreur de la guerre et plus spécialement l’horreur de la guerre franco-allemande. (…)
Donc, de 18 à 25 ans, j’étais entièrement sous l’influence des nombreux écrivains qui proclamaient que la guerre était un crime, quelle qu’elle soit, que de toute façon elle ne « payait pas », que les Allemands étaient des hommes comme les autres, que le bonheur de l’Europe dépendait d’une entente avec le Reich, que les nationalistes de la tradition revancharde de Barrès et Déroulède éraient des misérables, qu’on croyait mourir pour la Patrie et qu’on mourait pour les marchands de canons etc. etc.
En 1933, lorsqu’Hitler a accédé au pouvoir, les choses ont changé, presque du jour au lendemain. Brusquement, sans transition, les plus ardents pacifistes se sont transformés en bellicistes féroces. Sans qu’on l’avouât trop ouvertement, on préparait la grande croisade contre le fascisme et l’on acceptait que la France fût au premier rang de cette croisade, que les soldats français se fissent décerveler non point pour la France mais pour assouvir les rancunes de gens que dérangeait l’idéologie hitlérienne.
En même temps se produisait à droite une évolution contraire. Les gens de droite (dont je ne nie pas l’aveuglement et les tares) qui avaient été jusque-là partisans d’une politique de force et de prestige devinrent brusquement d’une extrême prudence. En un mot, la gauche était devenue le parti de la guerre et la droite le parti de la paix.
C’est à peu près à cette époque que je tombai sous l’influence de Pierre Gaxotte alors rédacteur en chef de Je Suis Partout. J’avais fait sa connaissance au Coup de patte (dirigé par Augustin Martini) où il tenait une rubrique. II m’avait complimenté sur mes articles et demandé de collaborer à Je Suis Partout. (…)
C’est Gaxotte qui a été mon professeur de fascisme, qui m’a converti aux idées d’autorité qui triomphaient au-delà de nos frontières. J’y étais d’autant plus prédisposé que, comme je l’ai dit plus haut, l’évolution belliciste de la gauche me scandalisait. Le fascisme que nous prêchait Pierre Gaxotte m’apparaissait d’abord comme un moyen d’assurer la paix car une France dégagée des entraves démocratiques eût été dans les meilleures conditions possibles pour s’entendre avec l’Allemagne nationale-socialiste, avec l’Italie fasciste, avec l’Espagne de Franco.
D’autre part, sur le plan intérieur, la France donnait le spectacle d’une affligeante décadence dont Gaxotte faisait la critique avec une impitoyable logique maurrassienne et nos voisins totalitaires étaient au contraire en pleine ascension. Comment n’être pas tenté de penser que les mêmes méthodes produiraient chez nous les mêmes résultats ? Si nous étions « fascistes », ce n’était pas, comme l’ont dit les imbéciles, par servilité à l’égard de l’étranger mais pour que la France puisse être mise en mesure de tenir son rang en Europe et, éventuellement, de faire front efficacement contre nos voisins.
Un autre élément s’ajoutait aux précédents pour m’amener à me rallier aux enseignements de Pierre Gaxotte : le bolchevisme. Personnellement, je n’étais pas hostile, en principe, au communisme. Beaucoup de choses me séduisaient dans l’œuvre de Lénine. Et je n’avais que répugnance pour la civilisation capitaliste, pour le règne de l’argent, pour la primauté des coffres-forts. Cette civilisation capitaliste d’ailleurs avait fait son temps. Nous assistions à son agonie. Mais par quoi remplacer le libéralisme capitaliste ? Le communisme était une solution. Seulement ce n’était pas une solution française. En devenant communiste la France risquait de n’être plus qu’une province russe et d’être gouvernée de Moscou. Le fascisme que nos prêchait Gaxotte nous séduisait par contre parce que nous pensions qu’il nous permettrait de liquider le capitalisme en demeurant strictement français, en conservant notre indépendance familiale.
En résumé nous étions « fascistes » à Je Suis Partout :
1/ Parce que c’était un gage de paix franco-allemande,
2/ Parce que c’était un moyen de liquider la démocratie bourgeoise et arracher la France sa décadence,
3/ Parce que c’était un moyen de faire sur le plan national l’indispensable révolution socialiste, sans être sous tutelle russe et avec des méthodes que nous voulions plus humaines et moins violentes.
Pourtant nous ne nous dissimulions pas le péril allemand. C’est un fait qu’aucun d’entre nous (et moi-même moins que quiconque) n’a jamais éprouvé de tendresse sentimentale à l’égard de l’Allemagne. Personnellement, je me suis toujours senti mal à mon aise au-delà du Rhin et jamais je n’ai été avec des Allemands en parfaite communion spirituelle (comme cela m’est arrivé par exemple avec des Espagnols).
Nous ne méconnaissions nullement l’existence du pangermanisme. Nous savions que l’Allemagne constituait par ses traditions et par sa masse un terrible danger pour ses voisins. Mais nous étions des réalistes. Nous savions aussi que la France émasculée par 150 ans de démocratie ne pouvait plus prétendre à être le gendarme de l’Europe. Nous pensions qu’avant de recommencer à avoir une politique étrangère virile il fallait que la France se refit à l’intérieur. La France ne s’était pas remise de la terrible saignée de 14-18. Une autre guerre, même victorieuse, risquait de lui porter le coup de grâce. D’où la nécessité de s’entendre à tout prix avec nos voisins, même s’il ne s’agissait que d’arrangements provisoires, de cotes mal taillées ou d’accords aussi peu reluisants que ceux de Munich.
L’Allemagne, c’était visible, était comme une chaudière prête à éclater. Il fallait que son trop plein se déversât d’un côté ou d’un autre. Nous pensions, nous, qu’il fallait tout faire pour que ce fut à l’Est et non pas à l’Ouest. Et nous enragions de voir que certains politiciens français faisaient tout, justement, pour que l’orage éclatât sur le Rhin, pour que la France fût au premier plan de la bagarre, pour que la fureur germanique se détournât de l’Ukraine, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et se donnât libre cours en Alsace ou en Champagne.
Une guerre était inévitable entre le Reich et l’URSS. Que risquions-nous à la laisser éclater, quitte à n’intervenir que plus tard lorsque les adversaires seraient épuisés ? Nous souhaitions, en somme, que la France fit ce qu’a fait l’URSS qui, fort judicieusement, s’est tenue à l’écart de la guerre franco-allemande (dont, il est vrai, elle escomptait qu’elle serait plus longue et plus meurtrière).
En somme, à la veille de cette guerre nous étions :
a) Sur le plan intérieur, partisans d’un régime du type fasciste,
b) Sur le plan extérieur, partisans d’une politique de paix impliquant les plus larges concessions, sauf naturellement dans le cas où la France aurait été directement menacée (à Dantzig elle n’était qu’indirectement menacée).
Ce faisant, nous étions persuadés que nous servions la France et c’est seulement l’intérêt de la France qui nous inspirait.
[...]
Mandel, cependant, à qui il fallait des « responsables » pour justifier les désastres militaires que subissaient les armées de la démocratie avait intenté en juin 40 des poursuites contre Je Suis Partout pour complot contre la sûreté de l’État. J’étais au front et je n’ai appris que beaucoup plus tard que la police avait gravement saisi à mon domicile Mein Kampf, les œuvres de Lénine et une collection de Je Suis Partout. L’histoire de ce « complot » est racontée en détail par Lesca dans son livre Quand Israël se venge (Grasset).
[...]
J’étais avant la guerre – et de nombreux écrits en font foi – antirépublicain, anti-maçon, antisémite, adversaire des démocraties capitalistes et du panslavisme bolchevik, partisan de l’autorité et d’un rapprochement avec nos voisins totalitaires. Fallait-il renoncer à exposer ces idées parce que les Allemands étaient à Paris ?
[...]
PS. Je m’aperçois en me relisant que j’ai omis de vous parler des Juifs. Or c’est sur ce chapitre que l’on va me coincer le plus facilement. Voici donc, à ce propos, ce que je peux répondre :
Mon antisémitisme n’est pas, comme celui des autres collaborateurs de Je Suis Partout qui presque tous venaient de l’Action française, un antisémitisme de longue date. C’est au cours des années qui ont précédé la guerre que j’ai compris le problème juif. Ceci en fonction de l’horreur que la guerre m’inspirait. À cette époque tous les Juifs (ou presque) étaient devenus (après avoir choyé la « bonne » Allemagne républicaine) de furieux bellicistes. Galtier-Boissière qui n’est point un fasciste l’a reconnu dans le numéro spécial du Crapouillot consacré à la crise de Munich.
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New York vue par Cousteau en 42