L’éducation nationale couvrirait-elle les enseignants pédophiles par un système de mutations successives ? C’est du moins le soupçon qu’est venu raviver l’affaire de Villefontaine.
« Omerta phénoménale », « pressions sur les parents de la part du corps enseignant », « pressions psychologiques » : c’est la sonnette d’alarme que tirait Marie Grimaud, l’avocate d’Innocence en danger, le 1er avril dernier sur LCI à propos de la récente émergence des affaires de pédophilie dans le corps enseignant. Des affaires qu’elle considère n’être que la « partie émergée de l’iceberg ». Déjà, en 1997, Ségolène Royale, alors ministre de l’Enseignement scolaire, s’était penchée sur la question en commandant notamment un rapport pour « enquêter sur les mutations douteuses » dont bénéficieraient des fonctionnaires mis en cause pour des faits de violence sexuelle. À cette époque, un professeur de gymnastique, Bernard Hanse, s’était suicidé suite aux accusations mensongères d’un élève et Ségolène Royale s’était vue accuser de « chasse aux sorcières ».
Le traitement médiatique de l’affaire d’Outreau avait finit par rependre l’idée que « la vérité ne sort pas de la bouche des enfants » et depuis lors, la grande presse réservait ses scandales de pédophilie à la seule Église catholique.
Mais depuis la fin du mois de mars, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem se retrouve prise dans une vague de scandales de pédophilie sans précédent. Et l’affaire qui a ouvert la boîte de Pandore à la fin du mois de mars dernier, celle de Villefontaine, vient raviver les soupçons de Ségolène Royale sur les « mutations douteuses »…
Rappel des faits. Le jeudi 19 mars, comme tous les jeudis depuis décembre 2014, à l’école du Mas-de-la-Raz, à Villefontaine (Isère) qu’il dirige et où il enseigne, Romain Farina organise un « atelier du goût » pendant lequel ses élèves de CP ont les yeux bandés. Un paravent est installé au fond de la classe. Ce jour-là, une des élèves soulève le bandeau, et se rend derrière le paravent. Elle surprend l’agression sexuelle d’un de ses camarades et en averti ses parents le soir même. Le lendemain matin, des plaintes sont déposées à la gendarmerie.
Placé en garde, le directeur d’école avoue des actes de pédophilies sur neuf élèves de CP, puis est mis en examen pour « viols aggravés, agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans et acquisition et détention d’images pédopornographiques ». Avec la médiatisation de l’affaire, les langues se délient et une quarantaine de signalements sont déposés pour des agissements similaires dans plusieurs écoles de la région, où Romain Farina est passé au gré de ses mutations successives et régulières. Sur ces différentes mutations, Paris Match (8 avril) rapporte :
« Romain Farina change d’établissement à chaque rentrée. À Saint-Clair-de-la-Tour, en septembre 2011, il est nommé directeur, responsable d’une classe à double niveau CP-CE1. Au bout d’un an, il quitte l’établissement pour le groupe scolaire du Ruisseau, à Villefontaine, à 30 kilomètres. […] Personne ne s’étonne de ses changements de poste. Seuls les délégués des parents d’élèves font part de leurs inquiétudes. Pas de retour... Il faudra cette deuxième arrestation pour que sa photo soit publiée dans la presse. À Lyon, une femme le reconnaît. En 2004, Farina était l’instituteur de sa fille, à Vénissieux. Aujourd’hui, l’ancienne écolière a 18 ans. Elle se souvient encore des “ateliers du goût”. »
Alors même que la mutation dans le corps enseignant est une procédure longue et contraignante pour laquelle un premier dossier doit être rempli à la fin du mois de novembre, soit seulement trois mois après la rentrée des classes, Romain Farina obtenait donc une nouvelle mutation « chaque année » ! On notera également que dans le cas de l’école de Villefontaine, où il officiait depuis septembre 2014 seulement, Romain Farina avait commencé ses attouchements au mois de décembre. Le directeur d’école était-il certain d’une nouvelle affectation dès l’année suivante ?
Ses mutations successives auraient-elles été facilitées par son engagement syndical et politique ? En effet, l’instituteur pédophile fut notamment membre du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP), syndicat d’extrême gauche dont il était le représentant pour le secteur de La Tour-du-Pin. Il avait récemment quitté le SNUIPP pour rejoindre le SNE-FGAF (Syndicat national des écoles – Fédération générale autonome des fonctionnaires).
Romain Farina figurait également en neuvième place sur la liste municipale « divers gauche » à Saint-Georges-d’Espéranche en 2014 et était candidat sur la liste socialiste menée par Thierry Lagrange dans la commune des Avenières (Isère) en 2008. Cette année-là, le 25 juin 2008, il avait d’ailleurs été condamné par le tribunal de Bourgoin-Jallieu pour détention, recel et diffusion d’images à caractère pédopornographique à seulement six mois de prison avec sursis avec obligation de soins de deux ans. En 2001 déjà, la justice s’était penchée sur le cas Farina, mais l’affaire avait été classée sans suite.
Notons au passage que si Romain Farina n’a pas enseigné entre 2008 et 2011, ce n’est que parce qu’il bénéficiait d’un congé parental, puis d’un congé maladie. Évidemment, pour Najat Vallaud-Belkacem, tout ceci n’est qu’un « dysfonctionnement » et pour Manuel Valls, l’affaire révèle « des défaillances et sans doute des fautes ». Les différents éléments de l’affaire semblent pourtant corroborer ce qu’évoquait déjà le 17 février 2001 Libération, à savoir « les soupçons qui pèsent sur l’Éducation nationale d’avoir par le passé couvert, ou à tout le moins réglé par de simples mutations, certaines affaires dont l’administration avait eu connaissance ». Il apparaît aujourd’hui que ce « passé » est loin d’être révolu.