Pour la première fois, un des plus hauts dignitaires de l’Église française, Mgr Aupetit, archevêque de Paris, prend la parole après les avis du Conseil national d’éthique. PMA, GPA, fin de vie, il répond à toutes les questions. Y compris sur la pédophilie.
C’est la voix de l’Église de France désormais la plus écoutée et la plus influente. Mgr Michel Aupetit, 67 ans, archevêque de Paris depuis janvier, nous a reçus, chez lui, une bonne heure durant afin d’évoquer les sujets d’actualité qui font trembler ses fidèles : PMA, GPA, recherches sur l’embryon humain, euthanasie, avortement… C’est pour sa maîtrise de ces dossiers sensibles, pour défendre également haut et fort la ligne conservatrice des catholiques, que le pape François l’a choisi.
Car avant d’être ordonné prêtre il y a 23 ans, ce fils d’un cheminot qui ne mettait jamais les pieds à l’église, était médecin généraliste. De ses années dans un cabinet en banlieue, ce diplômé en bioéthique a gardé le sens du contact. D’un abord facile, il répond, avec sa voix de crooner, spontanément et sans langue de bois pour faire passer son message toujours très conservateur.
PMA et GPA : « On fait de l’embryon humain un cobaye »
- « Est-il pensable que l’on puisse considérer qu’un enfant n’a pas besoin de père ? » questionne l’archevêque sur la PMA.
Comment avez-vous accueilli l’avis du conseil consultatif national d’éthique (CCNE) qui s’est dit, mardi, favorable à l’extension de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes ?
Je l’ai accueilli sans surprise. Il y a longtemps que je pense que le CCNE n’est plus ce qu’il était. J’ai connu celui du Pr Bernard. À l’époque, il avait été voulu comme un comité de Sages qui puisse s’exprimer de manière indépendante. J’avoue très honnêtement que je ne sens plus cela aujourd’hui. Le résultat était quand même assez attendu, ce qui est d’ailleurs un peu inquiétant. On se demande pourquoi on a fait des États Généraux puisqu’ils n’ont aucun impact sur la décision finale.
Vous pensez que la communauté catholique n’a pas été entendue lors de ces débats ?
Le problème n’est pas là. Ce n’est pas l’Église catholique qui est en jeu. L’Église catholique est un éveilleur de consciences. La vraie question est : qu’est-ce que la dignité de l’homme ? Cela va bien au-delà de la conception catholique de l’humanité. Nous pensons qu’une société doit se construire sur la fraternité, sur la recherche du bien commun. Or, on ne trouve aucun argument à ce niveau-là. On n’a que des impressions, des « oui, on pourrait », « non, on ne pourrait pas » mais pas de véritable argumentaire.
Quels sont, selon vous, les principaux sujets qui touchent le plus à cette dignité de l’homme ?
Il y en a au moins deux. D’abord cette question de la PMA. Est-il pensable que l’on puisse considérer qu’un enfant n’a pas besoin de père ? Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit. Il peut y avoir, bien évidemment, des enfants élevés sans leur père pour des raisons accidentelles ou parce qu’ils sont abandonnés mais là on décrète légalement qu’un enfant n’en a pas besoin.
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Croyez-vous en une Manif pour Tous bis ?
Je ne suis pas sûr que les gens se mobilisent comme ils l’ont fait au moment du Mariage pour Tous. À l’époque, d’ailleurs, ils s’étaient surtout mobilisés contre la PMA. Ils savaient que le mariage allait déboucher sur ces problématiques de procréation, et donc de filiation. Et c’est bien ce qui risque d’arriver. Alors vont-ils se remobiliser alors que précédemment cela n’a servi à rien sur le plan légal ? Je ne sais pas. Je pense quand même que ces manifestations, avec des centaines de milliers de personnes, et pas seulement des catholiques, ont servi au réveil des consciences. Elles ont montré qu’il n’y avait pas de consensus.
Êtes-vous rassuré par le gouvernement qui explique que l’extension de la PMA n’entraînera pas la levée de l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA) ?
Je n’y crois pas une seconde. D’abord parce que lorsqu’il y a eu le Mariage pour Tous, on nous avait déjà affirmé qu’il n’y aurait pas de PMA. Au nom de quoi refuserait-on aujourd’hui la GPA ?
L’animateur Marc-Olivier Fogiel sort la semaine prochaine un livre où il raconte son bonheur d’être père de deux filles grâce à la GPA. Vous ne croyez pas à ce bonheur et au fait que ces enfants puissent être heureuses ?
Elles sont encore jeunes mais à l’adolescence… Ce moment où l’on cherche à savoir d’où l’on vient. Le risque d’un déséquilibre est alors important. Je ne souhaite bien sûr aucun mal à cette famille, mais je dis simplement : est-ce qu’on prend la mesure de ce que les enfants qui sont dans cette situation vont avoir à vivre ? Comment vont-ils accepter d’avoir fait l’objet d’une certaine marchandisation ? Est-ce que le fait de savoir qu’ils sont nés dans ces conditions va leur permettre d’être apaisés ?
Euthanasie : « Une loi qui va dire ce que l’on peut faire ou ne pas faire, c’est extrêmement compliqué »
- Pour Mgr Aupetit, ouvrir la porte à une aide active à mourir n’est « pas très sérieux ».
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Selon vous, il ne faut pas toucher à la loi actuelle sur la fin de vie…
Elle a au moins le mérite d’exister et de permettre une forme de souplesse. Faire une loi qui va dire ce que l’on peut faire ou ne pas faire, c’est extrêmement compliqué en matière de fin de vie. L’important, c’est que la personne puisse vivre ces moments qui sont d’une intensité extraordinaire. Si on supprime ces instants d’intimité entre un parent qui s’en va et ceux qui restent, il y a quelque chose de volé. Il faut généraliser les soins palliatifs et permettre aux proches d’y participer, en accompagnant leur tendresse d’un geste concret. Ce qui est insupportable, c’est de voir les gens souffrir sans pouvoir rien faire.
IVG : « Le médecin est libre, c’est capital »
- Lorsqu’il était médecin, Michel Aupetit, « en conscience », a refusé de pratiquer l’IVG
Un président de syndicat de gynécologues a récemment assimilé l’IVG à un homicide, suscitant une vive polémique jusqu’au gouvernement. Le soutenez-vous ?
Je le soutiens dans son expression. Est-ce qu’un médecin peut encore s’exprimer librement ? La réponse est oui. La liberté de conscience est le droit le plus fondamental de toute société. Une société qui l’annihile, ça s’appelle une dictature. L’objection de conscience fait partie du droit médical et elle est intouchable. Ce droit doit être absolument préservé, je peux vous dire que les médecins vont réagir durement si on y touche.
Des sénateurs PS, sous la houlette de Laurence Rossignol, ex-ministre de la Famille, ont déposé vendredi une proposition de loi pour supprimer cette clause de conscience…
C’est terrible. Cela signifie qu’on entre dans une forme de dictature qui dit : « Vous n’avez pas le droit de penser, votre conscience doit être éteinte ».
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Pédophilie : « Pourquoi pas une commission d’enquête parlementaire »
- Mgr Aupetit assure que le célibat des prêtres concernant la problématique de la pédophilie au sein de l’Eglise est « une fausse question »
Dans les débats sur la bioéthique, l’Église a systématiquement mis en avant l’intérêt de l’enfant. Mais comment peut-elle être crédible alors que ces mêmes enfants sont parfois la proie de prêtres pédophiles ?
Il faut absolument que l’Église soit cohérente. Il nous faut une conversion radicale sinon, c’est évident, on ne peut pas avoir de parole crédible. Il faut remercier les victimes que nous ne savions peut-être pas entendre, mais aussi les médias d’avoir révélé toutes ces affaires. C’est une bonne chose. Il y a un abcès, il faut que le pus soit complètement vidé. Nous avons déjà pris des décisions, nous avons fait des signalements, nous nous sommes entourés de juristes… Nous ne pouvons pas régler ces problèmes nous-mêmes, il nous faut travailler avec le droit civil et écouter de plus en plus les victimes, les accompagner pour qu’elles se reconstruisent.
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Face aux scandales de prêtres pédophiles, l’Eglise catholique allemande vient d’appeler à une réflexion sur le célibat. Faut-il autoriser les membres du clergé à se marier ?
Je crois que c’est une fausse question. Personnellement, je pense que la pédophilie n’est pas du tout liée au célibat. C’est une structure mentale, et il est possible que certains profils pédophiles se réfugient dans l’Église et dans le célibat. Mais la grande majorité d’entre eux sont mariés et pères de famille. Croire qu’en mariant les prêtres, il n’y aura plus de problème, c’est une douce illusion.
Migrants : « S’il y a des gens perdus, bien sûr qu’il faut les accueillir »
- L’archevêque explique que l’on « peut aider à réfléchir » ceux qui veulent fermer la porte aux migrants
La France devrait-elle accueillir l’Aquarius, ce navire humanitaire qui sauve des migrants en mer et que l’exécutif ne veut pas voir accoster à Marseille ?
S’il y a des gens perdus, bien sûr qu’il faut les accueillir ! On ne peut pas laisser des personnes en détresse. Elles sont là, il faut s’en occuper, ça, c’est l’Évangile. Mais après, il faut bien sûr une réflexion politique qui ne nous appartient pas forcément. Pourquoi des populations de pays qui ont un potentiel extraordinaire sont-elles obligées de fuir pour venir chez nous ?
Une frange importante de catholiques veut fermer la porte aux migrants, ça vous choque ?
Avant d’être choqué, il faut parler avec eux. Par le témoignage, les rencontres, on peut les aider à réfléchir. Je ne crois pas que ce soit une question du refus de l’étranger. C’est plutôt la question d’une certaine insécurité culturelle qui semble en jeu. Notre pays se sent remis en cause par une culture venue d’ailleurs et qui ne s’intègre pas. Si nous disons que l’accueil des migrants est juste, dans la mesure de notre capacité à leur offrir des conditions de vie digne, et que c’est dans la Bible, cela fera son chemin.