En mars 2017, on dénombrera plus de cent sondages sur la présidentielle en France. Pourtant les méthodes des instituts de sondage sont contestées. Et contestables.
Le oui des Britanniques lors du référendum sur le Brexit, l’élection de Donald Trump aux États-Unis, les désignations de François Fillon et de Benoît Hamon lors des primaires en France... Les exemples récents de gros plantages ne manquent pas. Et les méthodes utilisées par les instituts de sondage sont de plus en plus critiquées. Y compris au sein de la profession. Franceinfo a recensé dix raisons qui expliquent en quoi les sondages sont à lire avec précaution.
1. Les sondages sont presque tous réalisés avec des panels de volontaires
Les techniques ont évolué depuis les premières études des années 1930. À l’origine, les sondeurs employaient des armées d’enquêteurs qui frappaient aux portes et interrogeaient les gens chez eux. On reconstituait ensuite un échantillon représentatif de la population française. Pour Alain Garrigou, créateur de l’observatoire des sondages, cette méthode était « la meilleure, mais aussi la plus chère ». Et puis, à un moment, « beaucoup de portes restaient fermées » et les méthodes ont dû évoluer. « Lors des sondages par téléphone, explique Alain Guarrigou, les gens se sont mis à raccrocher. Le taux de non-répondants a considérablement augmenté, les coûts aussi. Il fallait dix appels pour faire une interview ! Alors arrive Internet, en 2000. Les sondages en ligne sont lancés. »
La quasi-totalité des sondages politiques sont donc aujourd’hui réalisés par Internet, à partir de base de données que les plus gros instituts créent et administrent eux-mêmes. Les plus petits achètent, voire louent, ces « access panels » qui leur servent à constituer leurs échantillons. Une donnée essentielle a donc changé : les sondés ne sont plus trouvés au hasard des cages d’escaliers ou des annuaires téléphoniques. Ce sont des volontaires qui viennent s’inscrire sur les panels pour répondre à des questionnaires. Pour Jean Chiche, statisticien et chercheur au Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, le volontariat pose problème : « En statistique, il n’est jamais bon de travailler sur des échantillons de volontaires, car ils peuvent être plus sensibles aux thématiques des enquêtes, plus en adéquation avec le système. Une partie de plus en plus importante va passer au travers parce qu’elle ne souhaite pas être importunée. Tout le travail est de persuader les citoyens d’accepter de répondre aux enquêtes. »
2. Les sondés sont rémunérés…
Pour inciter les Français à s’inscrire sur leurs panels, les sondeurs ont une méthode : ils leur offrent des cadeaux, voire de l’argent. Ces « gratifications », comme on les appelle dans le métier, restent modestes : de 50 centimes à 1 euro par sondage.
Mais elles font tiquer certains pourfendeurs des instituts qui dénoncent une « professionnalisation des sondés ». D’autant que la récompense est essentielle pour de nombreux inscrits, comme Guillaume, un jeune père de famille de l’Est de la France qui répond à des dizaines de sondages tous les mois : « La gratification est un élément primordial. Je ne réponds pas aux sondages qui ne sont pas rémunérés. Je suis inscrit sur un panel depuis 2012 et j’ai déjà reçu un babyphone, un balai aspirant, un coffret de jardinage, des abonnements, des livres… »
3. Et ils peuvent mentir pour obtenir des cadeaux
Les instituts de sondage estiment que ces petites gratifications ne peuvent en aucun cas influencer la qualité des réponses. Pourtant, le même Guillaume admet qu’il lui arrive de ne pas toujours dire la vérité. « Il m’est arrivé de mentir quand les questions sont tranchées dès l’entrée du sondage, par exemple : ’Êtes-vous fumeur ?’ Si vous répondez ’non’, le sondage s’arrête et vous ne gagnez pas de points. Donc je dis que je suis fumeur, ce qui n’est pas le cas. Pour les sondages politiques, quand aucune réponse ne convient tout à fait à mon opinion, je choisis la moins mauvaise. »
Ce nouveau type de mensonge auquel peuvent être confrontés les sondeurs n’est pour l’instant – officiellement – pas pris en compte par les instituts. Les sondages par Internet semblaient pourtant leur avoir retiré une épine du pied : la sous-estimation systématique des votes extrémistes et son corollaire, la surestimation du vote centriste. Un sondeur se souvient : « Dans les années 1990, avec les sondages téléphoniques, il fallait multiplier par deux ou trois les nombre de réponses pour obtenir une estimation correcte du vote Le Pen. » Ce problème, bien connu des instituts, avait déjà été observé lorsqu’il fallait estimer le vote communiste au temps de la splendeur du PCF. Les sondés n’aiment pas raconter à un enquêteur que leur choix penche vers un bord ou l’autre du prisme politique. En revanche, le fait d’être seul face à un écran semble les désinhiber puisque les « corrections » apportées aujourd’hui sont nettement plus faibles. Reste qu’il y a toujours un traitement des chiffres obtenus à la sortie des questionnaires.
4. Les méthodes de redressement des instituts restent opaques
Les chiffres publiés ne sont jamais ceux qui sortent « brut » des questionnaires. Ils sont traités de façon à compenser les mensonges et les biais de l’échantillon notamment. Cette méthode porte un nom : le redressement.