Il y a quelques mois, les médias traditionnels nous faisaient, une fois de plus, l’éloge de George Clooney, présenté comme un homme de paix menant une lutte humanitaire au Soudan du Sud, allant même jusqu’à investir ses propres cachets Nespresso pour faire surveiller Omar el-Béchir, le « dictateur » du Soudan, avec l’aide de Google et d’une société d’imagerie satellite Digital Globe [1]. Cet engagement géopolitique mené par Clooney est en réalité un exemple très représentatif du « philantrocapitalisme », nouvelle forme de « charity business » agissant comme un outil des grands groupes agroalimentaires et du soft power anglo-saxon.
Nespresso et TechnoServe
Cette volonté de Clooney de mettre fin au régime « dictatorial » du Soudan intervient au moment ou sa collaboration avec Nespresso prend une nouvelle tournure suite au partenariat avec TechnoServe, organisation américaine à but non-lucratif créée en 1968. Voici comment Clooney présente son action :
« Ce programme, grâce à de nouvelles sources d’une activité durable dans cette région, aidera les agriculteurs et leurs familles à se construire un avenir. Il apportera revenus et sécurité à des milliers d’agriculteurs et à leurs familles vivant dans des communautés qui produisent du café [2]. »
Nespresso avait déjà prévu d’être la première compagnie à offrir du café en provenance de ce pays après l’indépendance en 2011 [3].
Sans surprise, parmi les partenaires de TechnoServe figurent des organismes philanthropiques comme les fondations Bill & Melinda Gates, Rockefeller et Ford, l’institut Aspen, Google.org, DSM Nutritional Products, ainsi que des multinationales telles que Coca Cola, Unilever, Cargill, Nestlé, Vodaphone, Danone, General Mills, Kellogg’s et Microsoft ; mais aussi des organismes bancaires en relation avec la Banque mondiale comme l’Inter Development Bank et la Master Card Foundation ; et enfin des organismes agricoles, l’USDA (département de l’Agriculture des États-Unis), USAID (l’Agence des États-Unis pour le développement international) dont l’administrateur, Rajiv Shah, travaillait auparavant pour la fondation Gates, sans oublier la non moins connue AGRA (l’Alliance pour une révolution verte en Afrique) présidée par Kofi Annan et fondée par les fondations Rockefeller et Bill & Melinda Gates qui sont les deux plus importants instituts derrière la création ou le financement de tous les autres [4].
Trouver le dénominateur commun
Tous les organismes précédemment cités ont la particularité de former un maillage efficace leur permettant de s’implanter partout dans le monde, en particulier dans les pays en voie de développement.
Ce maillage permet aussi une certaine cohérence idéologique. Or, en général, mais concernant l’Afrique en particulier, quel est l’un des points communs que partagent le CFR (Council on Foreign Relations), les fondations Ford, Rockefeller et Bill Gates, DSM, les grandes multinationales de l’agroalimentaire mais aussi tous les organismes philanthropiques qu’ils financent afin de faire avancer leur agenda ? La réponse est assez simple et se résume en trois lettres : les OGM ! [5]
En effet, ce n’est pas un secret que la fondation Gates a des parts importantes dans les sociétés Cargill et Monsanto dont l’ancien vice-président pour le développement international (pendant 25 ans), Robert Horsch, travaille actuellement comme directeur du programme de développement agricole de Gates [6]. La société DGM travaille, quand à elle, avec Monsanto au développement de produits OGM. L’un des directeurs de l’USDA, Roger Beachy, était auparavant directeur du Centre Danforth et ses travaux en tant que biologiste à l’université de Washington l’ont conduit, avec l’aide de Monsanto, à développer la première culture de tomates génétiquement modifiées.
Sans oublier que les fondations Rockefeller et Ford ont toujours été à l’avant-garde du discours pro-OGM, notamment à travers le financement de leur « révolution verte » [7].
Dean Kleckner, membre émérite du prix mondial de l’alimentation – récompense qui reçoit aussi des financements de la fondation Gates, de Monsanto et de quelques multinationales précédemment citées –, avait d’ailleurs déclaré dans un éditorial en 2006 que cette « révolution verte du XXIeme siècle doit aussi être une révolution génétique [8] ».
TechnoServe avait également reçu des financements de Monsanto lors de précédentes campagnes en Afrique du Sud [9] mais aussi au Kenya comme le démontre le schéma ci-dessous issu du site AGRA Watch :
Comble du contrôle total, ce maillage est si bien organisé qu’on retrouve également les mêmes instituts au sein de l’opposition aux OGM aux États-Unis ! Ainsi, le PUBPAT – organisation de services juridiques spécialisée dans le droit des brevets –, qui représente des familles de fermiers dans leur combat contre Monsanto, avoue être soutenue dans son travail par la fondation Rockefeller et l’institut Open Society de Soros. Une autre organisation d’avocats, qui s’occupe elle aussi de familles de fermiers pour des cas similaires, prend quand à elle ses financements à la fondation Rockefeller [10].
Quand à Gary Hirshberg – co-président d’AGree, initiative de politique agricole elle aussi fondée par les mêmes instituts précédemment cités –, il est le co-fondateur du mouvement de campagne national pour la labellisation des OGM – « Just Label It, We Have the Right to Know » [11].
Bien que Nespresso se défende d’utiliser du café génétiquement modifié, On peut légitimement les suspecter d’habilement préparer le terrain. D’ailleurs, en 2006, Greenpeace avait déjà accusé la compagnie d’avoir fait breveter un café génétiquement manipulé afin de le rendre plus soluble. En 2010, Nespresso déclarait sur son site :
« Dans le cadre du plan Nescafé, Nestlé va distribuer aux agriculteurs 220 millions de plants de café à haut rendements, résistants aux maladies d’ici à 2020. Cette aide va aider les agriculteurs à rajeunir leurs plantations, multipliant ainsi le rendement des terres existantes et augmenter leurs revenus. »
C’est un investissement pour la marque de 500 millions : 350 pour Nescafé et 150 pour Nespresso [12].
Au-delà des considérations sanitaires, ce que nous voyons ici c’est le développement du marché captif inventé en 1870 par Rockefeller, avec ses lampes à pétrole, et étendu ici à toutes les sphères de la consommation [13]. Ceci est évidement à mettre en perspective avec la mise en place de marchés transatlantique et transpacifique, qui permettront de faciliter la production et la vente de ces produits, notamment d’un point de vue juridique [14].
C’est donc progressivement la fin de la diversité qui se met en place. D’abord pour les producteurs, qui devront se contenter de cultiver des gammes de produits respectant le cahier des charges des multinationales imposé dans les laboratoires des pays occidentaux, comme nous le démontre le « plan Nescafé ». Mais aussi pour les consommateurs, bien que le « branding » permette encore de le masquer en leur donnant l’illusion du choix… parmi les « nombreuses » sélections de produits proposés par les marques.
- La diversité alimentaire selon Nespresso
Voir aussi, sur E&R : « Les États-Unis agiront si nécessaire au Soudan du Sud »