Il n’y a pas que les superstars dans la vie, il y a aussi les grands acteurs. Ils sont d’une autre race, moins exposés, moins médiocres, voire carrément brillants (Gene Hackman), mais sans eux, pas un film ne tiendrait. John Hurt était de ceux-là.
Ils sont la charpente discrète des oeuvres cinématographiques. On disait que la France avait de grands rôles secondaires : ils n’avaient pas la gueule d’Alain Delon, mais formaient l’armature du béton des grands films ou des films inoubliables. Bertrand Blier, Jean-Pierre Marielle, Paul Crauchet (L’Armée des ombres), Daniel Duval hier, Michel Bouquet, Michael Lonsdale, Simon Abkarian et Olivier Gourmet (le truand fascinant de Sur tes lèvres) aujourd’hui...
John Hurt appartient à cette famille de grands acteurs qui n’ont pas les honneurs de la presse people, et dont les apparitions ne laissent jamais indifférent.
John Hurt dans Alien (1979) :
John Hurt (dans le rôle de Max) dans Midnight Express (1979) :
Et enfin John Hurt dans 1984, le film tiré du livre du même nom, écrit en 1949, et que tout le monde s’arrache aujourd’hui parce qu’il met à nu la structure oligarchique de la société. C’est le roman du totalitarisme démocratique, celui qui contrôle les hommes, surveille les dissidents, réduit la liberté à une illusion. Hurt y incarne l’antihéros Winston Smith, l’isolat humain écrasé par le Parti. Dans ce monde fermé, irrespirable, la maladie (mentale) devient le dernier refuge de la liberté humaine.
J’irai au paradis car l’enfer est ici, la meilleure illustration de la puissance des rôles secondaires, avec l’histoire d’une bande de truands uniquement composée d’excellents seconds rôles. On est loin de la bande à Canet, avec Lellouche et le petit Bedos...
Mort de John Hurt, acteur mélancolique
L’acteur britannique est mort vendredi [27 janvier 2017] à 77 ans des suites d’un cancer du pancréas. D’Elephant Man à Harry Potter, son visage a toujours porté une forme de profonde tristesse.
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L’homme qui vient de succomber à un cancer du pancréas quelques jours après son soixante-dix-septième anniversaire exsudait la mélancolie.
Alors, notre regard est biaisé. Par ce rôle qui l’a installé dans le panthéon du cinéma et le nôtre, celui de John Merrick alias Elephant Man dans le chef d’oeuvre homonyme de David Lynch (1980). Dissimulé par un masque composé de 27 éléments mouvants, qui a nécessité pendant le tournage neuf heures de maquillage quotidiennes, Hurt le bien nommé toucherait le cœur le plus sec. On fait corps avec la créature John Merrick, être ultrasensible et cultivé sous la difformité, dont la « bonne » société victorienne et les mandarins ès médecine s’entichent comme attraction ou objet d’expérimentation - vous avez dit « monstrueux » ?
L’incroyable performance surgie du magma de chair et d’excroissances, pour laquelle il sera nommé aux Oscars dans la catégorie meilleur acteur, tient notamment à deux éléments constitutifs de John Hurt : son regard et sa voix. Regardez des photos de l’acteur tout au long se sa vie : toujours, avant même la mort accidentelle (chute à cheval) en 1983 de son grand amour, le mannequin français Marie-Lise Volpelière-Pierrot, il a eu cette prunelle à la fois perçante et douloureuse, comme habité par un chagrin inconsolable. Son timbre était, lui, suave et caverneux à la fois, entre « cake aux fruits marinés au brandy et beurre de cacahuètes étalé en couche épaisse avec un couteau dentelé », dixit le Guardian.
Il a valu à John Hurt une carrière parallèle dans le doublage, entre autres chez Lars Von Trier (le narrateur de Dogville) et a contribué, les années passant, à lui donner des airs de vieux sachem à qui on ne la fera jamais.