Le 20 juin 1990, dans son fameux discours prononcé à La Baule lors du seizième sommet franco-africain, François Mitterrand déclara que c’était par déficit de démocratie que le continent ne parvenait pas à se « développer ». En conséquence de quoi, il conditionna désormais l’aide de la France à l’introduction du multipartisme.
Le résultat fut que, dans toute l’Afrique francophone, la chute du système de parti unique provoqua une cascade de crises et de guerres, le multipartisme y exacerbant l’ethnisme et le tribalisme jusque-là contenus et canalisés dans le parti unique. Avec pour conséquence le triomphe électoral des ethnies les plus nombreuses, ce que j’ai baptisé il y a plus de trois décennies l’« ethno-mathématique électorale ».
L’échec fut donc total car le postulat français, qui était que les élections allaient permettre de dégager un consensus « national » entre les factions ethno-politiques, ne fut pas vérifié. En effet, non seulement la démocratie a échoué à régler les conflits africains, mais plus encore elle les a nourris. Trois exemples :
1) Au Sahel, comme ils sont minoritaires, les nordistes qui sont assurés de perdre les élections sont donc exclus du pouvoir par les urnes. Pour eux, la « solution » électorale n’est donc qu’une farce puisqu’elle ne fait que confirmer à chaque scrutin les pourcentages ethniques, donc leur subordination démocratique aux sudistes.
2) Au Rwanda, où les Tutsi forment 10 % de la population et les Hutu 90 %, sous la pression de la France, le président hutu Habyarimana fut contraint d’accepter le multipartisme. Or, ce système fit remonter au grand jour les profondes fractures de la société rwandaises jusque-là engerbées au sein du parti unique. Le résultat fut une atroce guerre civile suivie du génocide de 1994 à l’issue duquel les Tutsi du général Kagamé qui n’étaient pourtant toujours que 10 % de la population, reprirent par les armes un pouvoir perdu par les urnes trois décennies auparavant. Ici, la démocratie a donc débouché sur le chaos, puis sur un génocide, et finalement sur la déstabilisation de toute la région des Grands Lacs et du Kivu .
3) En Libye, après y avoir provoqué l’anarchie, la France, ses alliés de l’OTAN et ses partenaires de l’UE ont prétendu reconstruire le pays à partir d’un préalable électoral. Or, ce dernier est inapplicable car il se heurte de front au système politico-tribal, les tribus libyennes ayant en effet leurs propres règles internes de fonctionnement qui ne coïncident pas avec la démocratie occidentale individualiste fondée sur le « One man, one vote ».
La Russie de Vladimir Poutine a très exactement pris le contre-pied du « diktat » démocratique de François Mitterrand. À la différence du président français, elle considère en effet, et tout au contraire, que la cause des blocages de l’Afrique n’est pas le manque de démocratie, mais son instabilité politique… Une instabilité largement provoquée par cette même démocratie…
Aujourd’hui, de plus en plus nombreux sont les pays africains qui font la même analyse. Voilà les raisons de l’éviction de la France, un phénomène qui s’inscrit dans le cadre du grand basculement en cours et que les dirigeants français, englués dans leurs concepts universalistes n’ont pas vu venir. En Afrique, comme d’ailleurs un peu partout dans le monde, nous assistons en effet à la fois à la fin d’un cycle, et à un changement de paradigme.