Le Brexit affole les Anglais, et par ricochet, les Européens. Le décrochage du Royaume-Uni sonnerait le glas de l’Europe. C’est la version officielle, destinée à faire bien voter nos voisins d’outre-Manche et à tétaniser les peuples qui penseraient s’en sortir mieux tout seuls.
En réalité, un Brexit serait non seulement complexe à établir (deux ans d’ajustements économiques), mais un vote populaire britannique favorable au « leave » pourrait être retourné par les instances oligarchiques européennes à la manière du référendum français du 29 mai 2005. Le Traité de Lisbonne avait neutralisé le « non » français. Comprendre que les peuples ne décident que s’ils votent comme leurs élites l’ont décidé.
Pourquoi cette interview de Michel Rocard ?
Nous avons voulu montrer que la lucidité d’un ancien Premier ministre (de François Mitterrand) pouvait aller jusqu’à révéler le double jeu des Britanniques dans la Communauté européenne, double-jeu que De Gaulle avait saisi dès le départ, mais que cette lucidité n’allait pas jusqu’à remettre en question cette Europe affaiblie. L’idéologie européiste est en réalité anti-européenne, ou en tout cas anti-indépendance.
Théoriquement, l’union fait la force ; loi qui ne vaut pas pour la trentaine de pays (on ne les compte plus depuis l’Europe des 9) faisant partie de l’Union. Une Union décidée à l’origine par le grand frère américain, qui a toujours voulu protéger et préserver son grand marché, ainsi que sa ceinture anticommmuniste.
Car l’Europe est vitale pour les États-Unis. Une Europe indépendante, politiquement et commercialement, et l’Empire perdrait ses plus belles plumes. Depuis un demi-siècle que cette communauté a été bâtie, l’Oncle Sam est toujours intervenu pour entretenir son affaiblissement, et l’ouvrir à ses produits, à sa culture, à son armée. Et gare à qui ne s’aligne pas sur sa notion de la démocratie : les Serbes peuvent en témoigner.
Aujourd’hui, l’Europe en tant que telle ne pèse rien diplomatiquement, rien militairement. C’est un espace politique maintenu sous la menace des invasions commerciales et migratoires. Et chaque velléité d’indépendance est punie d’un terrorisme, d’un chaos ou d’une guerre venus d’ailleurs.
Pour Michel Rocard, qui refuse de regarder à l’étage du dessus, la France, quand elle redevient la France, indépendante et fière, quand elle sort des chemins tracés par l’Empire, prend un chemin dangereux. Pour lui, le Brexit est une chance pour l’Europe. Or la présence ou l’absence des Anglais ne changerait fondamentalement rien à cette dépendance européenne vis-à-vis des Américains. Le Parti socialiste, qui engage la France dans la voie de la soumission à cette fausse Europe, y perdra tout son crédit. Mais cela, il ne peut pas le dire.
Morceaux choisis de l’entretien de Michel Rocard donné à Paris Match le 30 mai 2016.
Paris Match. Sommes-nous dans une impasse politique ?
Michel Rocard. Pas encore. Nous ne sommes pas arrivés au terme du processus. Mais nous sommes dans un moment de crispation politique très grave parce qu’inhabituel dans son ampleur. Surtout, et c’est le plus inquiétant, il n’y a aujourd’hui aucune négociation entre les partenaires sociaux et le patronat.
Cette crispation est-elle la faute du gouvernement, du Medef, des syndicats ?
C’est d’abord la faute à l’Histoire de France. La France n’a jamais appris à discuter avec elle-même. C’est une très grave fragilité, une terrible faiblesse pour notre pays. La crise actuelle montre aussi que le gouvernement n’a pas su mener les négociations jusqu’au bout. Mais les partenaires étaient-ils prêts ? La responsabilité est partagée par tous.
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Faut-il retirer la loi ?
Je ne le pense pas. Afficher sa faiblesse n’est pas une bonne sortie. Ce serait très grave que tout cela se termine par une défaite de la puissance publique en tant que régulateur. Ce serait terrible. Mais cela ne signifie pas que le texte est intouchable et qu’on ne peut pas le modifier en amendant l’article 2 qui fait débat.
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Le politique – et donc François Hollande – est-il impuissant ?
La reprise des négociations et l’arrêt des antagonismes sociaux ne dépendent ni du politique en général, ni de François Hollande en particulier. Personne n’a l’autorité suffisante pour arrêter ce conflit. Il y a de moments où la balle est dans le camp de l’autre et où l’accélérateur est moins important que le frein. Il faut que la négociation reprenne entre les syndicats et le patronat et que le conflit s’arrête. Ensuite, seulement, le pouvoir pourra reprendre sa route normalement.
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L’exécutif peut-il sortir de cet enchaînement de crises qui donne un air catastrophique à cette fin de quinquennat ?
Ma confiance va aux Français en général. Ce sont eux qui vont calmer le jeu des partenaires sociaux. Si nous reprenons un dialogue normal, nous serons ramenés à une situation avec un peu de reprise, de la croissance et peut-être une baisse durable du chômage. Cela permettrait de mieux finir ce quinquennat. Et le président de la République pourrait alors reprendre des fonctions « normales », comme il le dit lui-même !
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Le Parti socialiste a-t-il encore un avenir ?
Il est visiblement en question. Le PS connaît une des crises les plus graves, les plus profondes de son histoire. Mais il est né en 1905, a été interdit en juin 1940, a connu à la fin de la IVème République des crises au moins aussi fortes. Si le risque de la fin du PS existe, en faire une certitude pour un corps aussi robuste et ancestral c’est aller quand même un peu vite.
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Pourquoi êtes-vous favorable à la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne ?
Parce que ce sera l’ouverture d’un verrou. Depuis qu’elle est là, depuis 1972, elle a, avec efficacité, continuité et cohérence, interdit toute avancée intégratrice de l’Europe que ce soit pour la diplomatie, en matière de défense, en économie, en gestion de l’euro, en gestion budgétaire, etc. Nous avons besoin que l’Europe recommence à jouer un rôle politique, diplomatique, et même militaire, fort. La France est trop souvent seule. Or aussi longtemps que les Britanniques seront là, on ne pourra rien faire. Si le Brexit se fait, cela devient possible. Encore faut-il le vouloir et que les dirigeants européens saisissent cette chance ! La survenance du Brexit ne comporte aucune garantie mais c’est une permission. Nous en avons besoin pour la survie de l’Europe.